Lundi 19 mars 2007.
Arrêté ce dimanche au Brésil, mon ami l’écrivain Cesare Battisti est devenu, à son corps défendant, un élément de la campagne électorale de Sarkozy.
Cesare Battisti, militant en 1977 d’un éphémère mouvement Prolétaires Armés pour le Communisme » (PAC) a d’abord été arrêté en Italie en 1979. Il s’est évadé en 1981, a vécu pacifiquement au Mexique, est venu en France en 1991, attiré par la « Doctrine Mitterrand » confirmée par un jugement à son arrivée sur notre sol, puis par un autre jugement et encore par le Premier ministre Lionel Jospin. Notre loi et la parole de la France l’avaient dit : il ne serait pas extradé.
La presse menteuse (et/ou paresseuse) affirme que François Mitterrand accorda l’asile aux seuls exilés « qui n’ont pas commis de crimes de sang ».
C’est faux. Sa déclaration solennelle devant le 65eme congrès de la Ligue des Droits de l’Homme, le 20 avril 1985 ne reprend cette nuance initiale qui figurait dans une première déclaration (22 février 1985). Pourquoi ? Parce que le pouvoir de Berlusconi qualifiait d’assassins tous les militants de gauche qui avaient appartenu à un mouvement armé pendant les années de plomb, ces années où les factieux, dont aucun n’est en prison, même pas ceux qui ont avoué, faisaient sauter la gare de Bologne avec ses voyageurs dedans. La « Doctrine Mitterrand » posait l’unique condition de renoncement à toute violence.
Puis, en février 2004, la France emprisonne Battisti alors même que la décision de sa naturalisation est sur le point d’être signée. Le combat des amis de l’écrivain pour s’opposer à la menace d’extradition a été soutenu très rapidement par 20 000 signatures, par une partie de la presse française, par des élus et par Attac qui a publié un communiqué.
Un revirement s’est manifesté ensuite, l’opinion étant troublée par une avalanche d’informations fausses, tronquées, à sens unique. Ainsi, Le Monde qui soutint Battisti s’est mis (avec Le Figaro, Marianne, etc.) à ouvrir généreusement ses colonnes à ceux qui le traitaient d’impitoyable assassin. Le quotidien vespéral s’est même excusé d’avoir subi « l’influence des intellectuels parisiens. » Au plus haut niveau de l’Etat, on faisait savoir la volonté d’extrader.
La formidable campagne d’intox puisait dans les informations de politiciens italiens soucieux de se refaire une virginité légaliste (à « droiche et à gaute »), des mouvements fascistes, des juges investis dans la répression (et cléments envers les factieux qui se livrèrent à de sanglants attentats).
Un des partisans de l’extradition le plus médiatisé en Italie, celui qui clame le plus fort qu’elle est justifiée, celui dont nos journaux reprennent les informations, se nomme Armando Spataro. On oublia de nous dire qu’il était le substitut du procureur représentant l’accusation contre Battisti.
C’est dans ce contexte d’hallali que, profitant d’une libération provisoire, Battisti a choisi la clandestinité et un nouvel exil.
Quelques exemples de désinformations :
Battisti est l’ex-dirigeant du mouvement des « Prolétaires Armés pour le Communisme » (PAC).
Faux ! Il fut un de ses plus jeunes militants de base, avant de le quitter pour désaccord sur les méthodes violentes, ce qui l’opposa à un des dirigeants qui fut ensuite le principal témoin à charge contre lui.
Lors d’une action armée, Battisti a tiré sur un enfant de 13 ans, depuis paraplégique (les télés italiennes et françaises l’exhibent, les journaux le disent « tétraplégique »).
Faux ! Le jour du drame, il est prouvé que Battisti n’était pas là . Il est également prouvé que la balle a été accidentellement tirée par le père de la victime. La justice italienne ne le conteste pas.
Les témoins oculaires abondent contre Battisti ?
Faux. Pas un seul n’a pu être produit parmi les dizaines qui ont assisté à des actes de violence impliquant le PAC. Battisti présente pourtant une particularité physique qui aurait dû le faire immanquablement remarquer : sa très petit taille.
Il a eu droit à un procès équitable dans le respect de la Constitution et des droits de la défense.
Faux. Il a été condamné à la prison à vie en son absence et à son insu, sans possibilité d’être rejugé (ce qu’il réclame), non pas sur preuves, ni sur témoignages directs, mais sur les dires d’un « repenti » (quiconque dénonce quelqu’un bénéficie de clémence). La Justice Italienne, dénoncée en cela par la Cour Européenne de Justice, ne prévoit pas de second procès après un jugement par contumace.
Il est prouvé qu’il a tué ?
Faux ! Il a toujours nié. Les seules charges sont les aveux d’un repenti (libre aujourd’hui) qui a chargé un ex-camarade dont il pensait qu’il ne risquait rien du fait de son exil au Mexique.
La parole des repentis est fiable.
Faux ! Et pas seulement pour les raisons déjà évoquées. Dans un livre publié chez Viviane Hamy (La vérité sur Cesare Battisti), Fred Vargas qui anime son Comité de Soutien national raconte sur des pages entières les tortures dont furent victimes les « repentis » pour les aider à charger leurs camarades. Amnesty International s’est exprimé maintes fois contre la violation des droits humains dans ces circonstances.
Battisti a fuit la Justice.
Faux. C’est la Justice versatile qui le fuit.
La Justice condamne tous les actes de violence.
Faux ! Les activistes de droite, et notamment ceux qui ont déposé une bombe dans la gare de Bologne (80 morts), sont libres en Italie alors qu’ils ont avoué leur crime. Notons qu’il en est de même en France pour les activistes de l’OAS, en vertu du principe selon lequel, un tiers de siècle après des périodes de "guerre civile larvée", il ne faut pas rouvrir les plaies.
Battisti, est un terroriste.
Faux ! Attiré en France par la promesse de ne pas être livré à l’Italie ("Doctrine Mitterrand") il a abandonné toute action politique, fondé une famille, s’est reconverti dans l’écriture de romans. Dans ses débats et conférences, dans ses rencontres avec les jeunes, il prônait la non violence ; il exhortait son auditoire à choisir d’autres voies d’action politique que celle qui s’était imposée à des milliers de jeunes italiens généreux devant un fascisme ambiant qui gangrenait leur pays.
Cesare Battisti faisait plus pour la paix civile en France que le boutefeu au Karcher qui se sert aujourd’hui de lui pour se faire élire.
Maxime Vivas
Cesare Battisti ou A la recherche de la justice perdue, par Fred Varga.
Cesare Battisti : ce que les médias ne disent pas, par Wu Ming 1.
Pourquoi Battisti n’a-t-il pas dit son innocence plus tôt ? par Fred Vargas.