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« Ce que nous constatons, c’est un irrespect du droit international qui, pour les Etats-Unis, n’a aucune valeur » (CubaDebate)

Depuis le 2 mai, la chasse aux « trafiquants » de biens « volés » aux propriétaires par l’infâme Révolution cubaine à partir du 1er janvier 1959 est ouverte aux Etats-Unis. Et les premières demandes ont été déposées le même jour à Miami : qui réclame les docks portuaires de Santiago de Cuba et de La Havane (ou une partie du moins), qui veut récupérer l’aéroport de La Havane (ou une partie du moins), qui atteste du legs d’un sien cousin pour… etc., etc. Exxon est aussi au starting-block. Bref, à Miami, c’est la fête. Pour l’instant, seuls les biens cubains sont visés. Pour les investissements étrangers, on verra plus tard…

Alors, pour comprendre un peu mieux les tenants et aboutissants de la Loi Helms-Burton au nom de laquelle les réclamations sont maintenant déposées devant des cours des USA, je vous livre les excellentes explications et précisions offertes à la Table ronde de la télévision cubaine par le directeur du Département Amérique du Nord au ministère cubain des Relations extérieures, qui viennent compléter très utilement celles déjà parues, sous la même signature, dans Le Grand Soir il y a environ un mois, parce qu’elle dépassent le simple Titre III pour s’étendre à l’ensemble de cette loi et en analyser le véritable objectif.

Jacques-François Bonaldi
La Havane, 4 mai 2019

« Ce que nous constatons, c’est un irrespect du droit international qui, pour les USA, n’a aucune valeur »

CubaDebate, 4 mai 2019 |

La mise en œuvre, ce jeudi 2 mai, du fameux Titre III de la Loi Helms-Burton a relancé la discussion autour de ce monstre législatif étasunien qui a converti en loi le blocus contre Cuba et étendu ses effets au reste du monde, pas maintenant, mais depuis les années 90 du siècle passé.

Le débat soulève plusieurs questions que notre Table ronde télévisée a voulu éclaircir en mars dernier avec Carlos Fernández de Cossío, directeur général du département Etats-Unis au ministère des Relations extérieures, à propos des différents délais prévus pour appliquer définitivement le titre en souffrance.

Arleen Rodríguez Derivet : Pourquoi le titre III de la Loi Helms-Burton est-il si fameux ?

Carlos Fernández de Cossío : La Loi Helms-Burton comprend quatre titres. Le Titre III contient deux dispositions qui le rendent exceptionnel : le président des Etats-Unis peut éviter l’application de ce titre spécifique, autrement dit suspendre son application pour une période donnée ou, à supposer qu’il soit déjà en vigueur, suspendre la présentation de demandes devant les cours étasuniennes de la part de ceux qui réclament des biens nationalisés par Cuba au début de la Révolution.

La Loi Helms-Burton, et donc ses quatre titres, est entrée en vigueur en 1996, mais le président d’alors et tous ses successeurs ont bloqué la possibilité que des réclamants aux USA puissent présenter devant des cours des demandes contre les sociétés qui, selon eux, « trafiquent » avec les biens nationalisés au triomphe de la Révolution.

Q : Pourquoi le suspendaient-ils ?

Parce qu’ils estimaient que c’était de l’intérêt des Etats-Unis – intérêt national et intérêt de politique extérieure – que ces demandes ne soient pas présentées devant la justice. Mais l’important, c’est de comprendre la Loi Helms-Burton dans sa totalité, et pas seulement son Titre III qui en est un aspect spécifique.

La Loi Helms-Burton avec ses quatre titres a été conçue d’entrée, en 1996, pour durcir le blocus économique contre Cuba et tenter de l’universaliser, autrement dit faire en sorte de codifier le blocus économique en une seule loi, ce qu’il n’était pas jusque-là, interdire donc qu’il puisse exister une évolution vers une normalisation des relations entre Cuba et les USA, et concevoir un programme d’intervention à Cuba afin que le gouvernement étasunien soit sûr de pouvoir exercer sa tutelle sur les destinées de la nation cubaine. D’où les quatre titres.

Le Titre I exige que la communauté internationale se plie au blocus et l’applique, au point que le département d’État doit chaque année informer le Congrès de la manière dont les sanctions économiques, financières, commerciales contre Cuba s’appliquent à l’échelle internationale, dans le transport maritime par exemple et dans d’autres domaines. Le titre I a donc des visées absolument extraterritoriales.

Ce Titre I signale aussi que, désormais, le blocus est une loi, qu’il est totalement codifié. Ainsi donc, les différentes dispositions présidentielles existant jusqu’alors et aussi la Loi Torricelli qui existait depuis 1992, se sont converties en un corpus de loi total que seul le Congrès peut modifier.

Le Titre II, lui, conçoit et établit le programme de ce que sera Cuba à l’avenir, notamment de ce qu’il va se passer à compter du renversement du pouvoir révolutionnaire dans notre pays.

Un gouvernement de transition y sera installé sous la tutelle des Etats-Unis et il devra dès le premier moment garantir la restitution aux réclamants des Etats-Unis de tous les biens nationalisés à Cuba ou le paiement de la compensation correspondante.

Ainsi donc, si ce scénario du renversement du pouvoir révolutionnaire se réalisait un jour – mais c’est impossible – chaque Cuba devra se poser la question suivante : la maison où je vis, l’école où vont mes enfants, la communauté où se trouve l’édifice que j’habite, le centre de travail où je suis, le restaurant privé que je possède, la terre que je cultive et que m’a donnée la Réforme agraire, etc., qui en était le propriétaire avant et va-t-il me le réclamer ? Si cette prétention de renverser le Gouvernement révolutionnaire se réalisait, n’importe quel Cubain se retrouvera devant le risque réel qu’on lui enlève ses biens ou qu’on exige de lui qu’il en rembourse la valeur.

Q : Ça, c’est le Titre II…

C’est le Titre II. Ce n’est qu’une fois que tous les biens auront été rendus, qu’une fois que les demandes de tous les Étatsuniens qui ont des réclamations à Cuba auront été satisfaites, ainsi que celles de tous les Cubains qui sont partis et qui réclameraient ce qu’ils estiment posséder à Cuba, eux ou leurs descendants, que le blocus sera levé ! Autrement dit, même la Révolution renversée, même avec un gouvernement de transition dirigé par un proconsul étasunien nommé comme administrateur de cette période, même dans ces conditions-là, donc, le blocus se maintiendrait ! Les sanctions économiques infligées à Cuba se maintiendraient ! C’est ce que légifère le Titre II. Voilà pourquoi je dis qu’on ne peut parler uniquement du Titre III.

C’est justement pour pouvoir écrire le scénario du Titre II que le blocus s’internationalise grâce au Titre I et au Titre III : il s’agit de décourager l’investissement étranger à Cuba, et, pour ce faire, pour continuer de porter préjudice à l’économie cubaine, les anciens réclamants dont les biens ont été nationalisés auront le droit de présenter devant les cours étasuniennes des demandes contre quiconque, selon eux, « trafique » avec ces biens ; la loi Helms-Burton établit même, d’ailleurs, que ce réclamant aura le droit de toucher le triple de la valeur originale de ce bien, plus une augmentation pour inflation, ou le prix original du bien multiplié par trois.

Il s’agit là d’une ineptie juridique, d’un acte qui prétend étendre la juridiction des Etats-Unis hors de leur territoire, permettre aux cours étasuniennes de légiférer, de juger et d’émettre des verdicts au sujet d’actes qui ont lieu hors du territoire des USA de la part de sociétés cubaines ou étrangères agissant aux termes des lois cubaines, conformément au droit international ou en vertu de la législation d’un pays tiers faisant des affaires à Cuba.

Et le Titre IV poursuit le même but, puisqu’il entend punir, en leur interdisant d’entrer aux USA, ceux qui « trafiquent » avec des biens nationalisés. Voilà donc la Loi Helms-Burton dans son ensemble.

C’est justement à cause des problèmes que cela causerait aux Etats-Unis avec leurs alliés, avec des tiers – comme ils le reconnaissent eux-mêmes – que la loi contient cette disposition qui permet au président de suspendre cette possibilité de présentation de demandes devant les cours étasuniennes.

Et cette suspension a été appliquée tous les six mois par le président Clinton, par George W. Bush durant ses deux mandats, par Barack Obama durant ses deux mandats et par Donald Trump lui-même durant les deux premières années de son administration, jusqu’à ce que celui-ci a décidé en janvier dernier que la suspension ne durerait que 45 jours, puis pour 30 jours, avec une exception, et que, cette fois-ci, oui, des demandes pourraient être présentées aux USA contre les sociétés cubaines qui « trafiquent » censément avec des biens nationalisés, autrement dit celles qui sont inscrites sur une liste dressée en novembre 2017 et actualisée un an plus tard.

La loi repose sur deux gros mensonges : le premier, une énorme contre-vérité que Washington ne cesse de répéter, c’est que Cuba constitue une menace à la sécurité nationale des Etats-Unis ; le deuxième, c’est que les nationalisations réalisées au triomphe de la Révolution étaient indues ou illégitimes, la Loi Helms-Burton confondant à dessein, délibérément, les termes nationalisation et confiscation.

Immédiatement après le triomphe de la Révolution, c’est exact, celle-ci a promulgué une fois portant confiscation des biens et propriétés des batistiens, de ceux qui avaient coopéré avec le régime de Fulgencio Batista, des voleurs qui avaient volé le pays, qui avaient mal acquis des biens et des propriétés. Alors, oui, il y a eu des confiscations, ce que permettait la Constitution de 1940 alors en vigueur.

Mais ces « confiscations » ou « saisies » n’ont rien à voir avec les nationalisations, autrement dit des expropriations absolument légales et légitimes aux termes de cette même Constitution de 1940 qui les entérinait. Et la Révolution a promulgué une loi spécifique dans ce but, qui prévoyait par ailleurs des compensations pour tous les biens nationalisés, aussi ceux d’étrangers que ceux de Cubains. La première grande loi de nationalisation a été celle de la Réforme agraire (19 mai 1959).

Demandez-vous : comment un pays sous-développé, absolument dominé sur le terrain économique par les transnationales d’un autre pays, pouvait-il mettre en œuvre le programme de développement auquel il s’était engagé et pour lequel il avait fait une révolution, s’il n’avait pas la possibilité de redistribuer la richesse, de redistribuer les biens ?

C’est bien cela qui justifie les nationalisations et qui est en soi une source de droit, dans la mesure où la redistribution de la richesse était une cause nationale, ce qui a d’ailleurs permis d’assurer la justice sociale dans notre pays. La Loi Helms-Burton présente ceci comme un acte illégitime, alors qu’il s’agit pourtant de quelque chose qui était adossé et reste toujours adossé au droit international.

La communauté internationale s’était prononcée auparavant en faveur des nationalisations. Par la suite, l’Assemblée générale des Nations Unies a reconnu dans différentes résolutions le droit des pays sous-développés de nationaliser pour des causes d’utilité publique.

Elle reconnaît aussi l’obligation de compensation, laquelle passe par un accord entre le gouvernement qui nationalise et le gouvernement du pays dont les biens ont été nationalisés. Faute d’accord, c’est la loi du pays qui nationalise qui prime.

Mais cette obligation n’a été reconnue par l’Assemblée générale des Nations Unies qu’en 1974, soit bien des années après les nationalisations cubaines. Autrement dit, ce que nous avons fait est absolument conforme à ce qui était alors la pratique internationale et, tout simplement, au droit international.

Q : Et pourtant, malgré ce droit de Cuba, la Révolution a compensé tous ceux qui étaient d’accord de recevoir une compensation, à l’exception des compagnies étasuniennes. Lors des conversations avec l’administration Obama, a-t-on discuté des compensations ?

Oui, oui, toutes les nationalisations faites ont envisagé d’entrée un mécanisme de compensation. Cuba reconnaissait qu’elle devait nationaliser pour se développer, mais aussi à des fins de défense nationale, car il ne faut pas oublier qu’elle était en butte à l’agression des USA. Mais notre loi reconnaissait toutefois que le propriétaire devait être compensé.

Selon la pratique internationale, vous ne compensez pas le propriétaire en soi ; le gouvernement du pays d’origine de la compagnie et celui du pays qui nationalise négocient et aboutissent à un accord qu’on appelle DE SOMME TOTALE, aux termes duquel ce dernier compense en bloc le gouvernement du pays des propriétaires qui se charge ensuite de compenser ses ressortissants. Et c’est à partir d’accords de ce genre que Cuba a compensé le Canada, la Suisse, l’Allemagne, la France, l’Espagne et le Royaume-Uni. Nous avons mis des années à finir de payer ces compensations.

Dans le cas concret des USA, la Révolution avait même promulgué une loi de compensation spécifique qui prévoyait plusieurs points, car l’économie cubaine était alors absolument dépendante des Etats-Unis, en particulier pour ses exportations de sucre.

La loi avait donc établi que, pour compenser les propriétaires, le gouvernement émettrait des bons remboursables sur trente ans à partir des portions d’exportation de sucre aux Etats-Unis qui dépasseraient les contingents ou quotes-parts fixés entre les deux pays : à cette époque, Cuba exportait aux USA plus de trois millions de tonnes annuelles au prix de 6,5 cents.

Ainsi donc, si les Etats-Unis avaient reconnu et accepté ce que Cuba leur proposait, les propriétaires auraient fini d’être compensés à la fin des années 80. Cuba était forcée d’établir une formule de ce genre, dans la mesure où, justement, Washington ne cessait de la menacer de réduire ou de supprimer ces contingents d’exportation, qui étaient la source fondamentale des revenus du pays. Et c’est bien pourtant ce qu’il a fait : réduire les exportations de sucre cubaines, puis les éliminer.

La Révolution avait donc fait preuve de sa volonté de coopérer, elle avait pris les mesures dans ce sens, mais les Etats-Unis s’y sont refusé. Quand vous essayez de vous expliquer pourquoi la Maison-Blanche a refusé, vous comprenez vite que son intention était, non de négocier quoi que ce soit, mais de liquider la Révolution cubaine.

En effet, à ce moment-là, la Maison-Blanche était déjà en train de préparer ce qui allait devenir l’invasion de Playa Girón, de la baie des Cochons. Et elle se disait : à quoi bon négocier avec ce gouvernement puisque nous allons le renverser par la force des armes ? Voilà pourquoi il n’y a pas eu d’accord avec les USA.

Q : Par ailleurs – mais les fanatiques de la Loi Helms-Burton n’en parlent guère – Cuba s’est dotée à son tour, en 1996, de sa propre loi antidote aux termes de laquelle ceux qui réclameront en s’en prévalant perdront le droit de toucher des compensations. Or, certaines sociétés étasuniennes, de grosses sociétés même, seraient disposées à en toucher. Si je le dis, c’est parce qu’à un moment donné, il y a eu des conversations sur ces compensations…

Oui, il y a eu des conversations ces dernières années. La loi de Réaffirmation de la dignité et de la souveraineté cubaines stipule plusieurs choses. Tout d’abord, elle établit que la Loi Helms-Burton est illicite, nulle, absolument sans aucune validité. Ensuite, elle établit comme un délit à Cuba toute coopération à l’application de la Loi Helms-Burton. Elle accorde aussi des garanties totales aux investisseurs étrangers à Cuba en matière de protection de leurs biens.

Mais elle affirme aussi que Cuba est prête à nouer des négociations avec les Etats-Unis, sur un pied d’égalité, pour discuter non seulement des réclamations déjà certifiées et reconnues de demandeurs étasuniens, mais aussi des compensations auxquelles l’État et le peuple cubains ont droit en raison des dommages et préjudices causés par les États-Unis par leurs actions militaires, leur terrorisme, leur guerre bactériologique et leur blocus économique dans son ensemble.

La loi cubaine affirme aussi que ceux qui, en vertu ou en application de la Loi Helms-Burton, agiront au détriment du pays ou de tiers ne pourront pas, bien entendu, faire partie d’un arrangement futur en matière de compensations entre les deux pays.

En 2015-2016, les deux gouvernements ont eu justement deux ou trois séances de conversations à ce sujet : Cuba reconnaît les réclamants originaux, autrement dit ceux qui ont été touchés par les nationalisations au triomphe de la Révolution, mais présente aussi ses propres réclamations qui sont contenues non seulement dans cette loi de Réaffirmation, mais aussi dans la « Demande du peuple cubain », entérinée par une sentence du tribunal provincial de La Havane, où apparaissent les sommes concrètes que le peuple cubain réclame au gouvernement des Etats-Unis pour les préjudices qu’il lui a causés.

Q : Quelle est la position des organismes internationaux, des entreprises elles-mêmes qui seraient en train de négocier leur compensation aux Etats-Unis ? Ne seraient-ils pas touchés par cette décision prise aujourd’hui contre Cuba ?

La Loi Helms-Burton a contraint plusieurs gouvernements à promulguer ce qu’ils appellent des lois antidote qui considèrent comme illégale toute prétention d’y faire primer cette loi dans leur pays. Par exemple, le Mexique, le Canada, l’Union européenne ont adopté une législation contraire à la Loi Helms-Burton à cause de son caractère extraterritorial et parce qu’elle viole le droit international.

Mais on a entendu aussi des prises de position aux Nations Unies, à ce qui était alors l’Organisation de l’unité africaine (OUA), devenue maintenant l’Union africaine (UA), tandis que l’Association des États des Caraïbes (AEC) a même exigé la dérogation de la Loi Helms-Burton.

La Communauté des États latino-américains et caribéens (CELAC) s’est prononcée contre le blocus et contre la Loi Helms-Burton. Même l’Organisation des États américains (OUA), ce ministère des Colonies yankee, comme l’a qualifiée Raúl Roa, a adopté à la quasi-unanimité des déclarations contre cette loi. C’est une loi qui a isolé les Etats-Unis parce qu’ils prétendent légiférer sur ce qu’il passe dans d’autres pays.

D’ailleurs, aux Etats-Unis mêmes, des juristes jugent que, compte tenu de plusieurs de ses caractéristiques, c’est une loi anticonstitutionnelle.

Q : Pensez-vous que ces menaces des Etats-Unis au sujet du Titre III de la Loi Helms-Burton sont vraiment applicables ?

Il y a plusieurs cas de figure : il y a l’Étasunien de souche, il y a le Cubano-Américain qui n’est pas ressortissant étasunien… Il faut dire que de nombreux Cubains qui vivent maintenant aux USA et qui réclament ont tout simplement abandonné le pays, ont laissé derrière eux un entrepôt ou une petite fabrique, ou la grosse villa ou les terres qu’ils possédaient ; ce sont des gens qui sont partis sans plus parce qu’ils étaient convaincus que ça ne durerait pas longtemps, et que, dans quelques jours ou quelques semaines les Etats-Unis interviendraient et renverseraient le pouvoir révolutionnaire…

Ces biens, naturellement, on leur a donné ici une utilisation, car il était impensable de les laisser à l’abandon. Il se peut qu’il y ait là maintenant une école ou un entrepôt, quelque chose d’utilité économique ou sociale, parce qu’on n’allait pas attendre que la personne en question revienne, si tant est qu’elle revenait.

Ce bien n’a donc même pas fait l’objet d’une confiscation ou d’une nationalisation en bonne et due forme : dans le cas des Cubains, de nombreux biens ont tout simplement été abandonnés.

Un Étasunien, une grande transnationale ou un individu qui est parti de Cuba peut donc, aux termes de la Loi Helms-Burton, se présenter devant une cour des USA et y déposer une demande contre l’une des 206 sociétés inscrites sur la liste élaborée arbitrairement par l’administration étasunienne en 2017 et actualisée en 2018, afin qu’on lui rende son bien ou que la personne qui « trafique » avec, s’il s’agit des sociétés de la liste, lui paie le triple de ce qu’il valait.

Je prends un exemple concret. Un individu constate que sur la terre où il avait une exploitation, ou une société étasunienne qui était propriétaire de terres utilisées à la culture de la canne à sucre, ou une transnationale, il existe maintenant un hôtel, un magasin, un centre commercial : il peut désormais se présenter devant une cour étasunienne et exiger que cet hôtel, s’il est cubain et inscrit sur la liste des 206, lui paie le triple de la valeur de la terre occupée, parce qu’il s’agit d’un « trafic » avec son ancien bien.

C’est une monstruosité légale, car on prétend qu’une cour qui n’a pas la moindre juridiction à Cuba se prononce sur un fait survenu à Cuba par rapport à un bien qui se trouve à Cuba ayant appartenu à un moment donné à un Cubain ! Ça n’a pas de parallèle dans le droit international, c’est une prétention totalement extraterritoriale de la part des Etats-Unis qui veulent faire appliquer leur loi hors de leur territoire !

Q : Mais les plaignants cubains, par exemple les proches des victimes du terrorisme étasunien ou de l’invasion de Playa Girón, ne pourraient-ils pas, automatiquement, commencer à présenter des réclamations contre le gouvernement étasunien ?

Oui, mais nous, nous n’allons pas les présenter devant des cours étasuniennes. Nous avons déjà présenté deux réclamations devant le tribunal provincial de La Havane, qui sont les « Demandes du peuple cubain ». Ces deux Demandes sont faites, entérinées légalement devant un tribunal cubain, parce que les dommages ont eu lieu à Cuba, l’agression a été commise à Cuba, les morts sont cubains, à Cuba où nous avons un droit de juridiction. Mais Cuba ne va pas se présenter devant une cour des Etats-Unis, qui n’a pas de juridiction sur nous, pour imposer cette réclamation.

Un juge étasunien pourra bien dicter une sentence contre Cuba aux termes de la Loi Helms-Burton, ou aspirer à ce que quelqu’un paye quelque chose, mais Cuba ne reconnaît pas ce verdict.

Q : Quand on voit ce qu’il se passe avec les cours aux Etats-Unis, plus les mouvements qui ont eu lieu à Cuba pendant ces soixante ans, la terre, le logement et tout le reste, la solution de ces demandes, à supposer que quelqu’un les prenne au sérieux, pourrait durer des éternités…

Il pourrait y avoir des nombreux défenseurs, en effet. Si celui qui est parti veut punir celui qui « trafique » avec un logement, par exemple, et si ce logement a été occupé par une famille qui est partie ensuite aux USA, et par une autre et ensuite par une autre, contre qui donc va-t-il présenter sa demande ? Soixante ans se sont écoulés !

Mais je tiens à souligner un point. S’il est vrai que c’est le Titre III de la loi Helms-Burton qui a attiré le plus l’attention à l’échelle mondiale par son caractère extraterritorial et par sa capacité à léser des tiers, la quintessence de cette Loi se trouve dans les Titres I et II, parce qu’ils révèlent la vraie mentalité coloniale de ses rédacteurs.

Ce sont eux qui prouvent que l’objectif réel n’était pas de donner satisfaction aux anciens plaignants, de leur transférer des fonds à titre de compensation. Non, l’objectif clef est d’interdire à Cuba de décider de ses destinées en toute souveraineté, de bloquer toute possibilité de faire évoluer les choses vers une normalisation des relations entre les deux pays, de dresser assez d’obstacles sur cette voie, et les auteurs de la loi ont utilisé en guise de prétexte la question des réclamations.

Et c’est si vrai que, avant le milieu des années 90, et même à ce jour-ci, les Etats-Unis n’ont jamais justifié, dans aucune déclaration, le blocus économique en présentant comme motif les réclamations. Jamais !

Ils ont toujours justifié le blocus par d’autres raisons : que Cuba était devenue un « agent des Soviétique dans les Caraïbes », que nous avions importé une idéologie étrangère au continent américain ; ensuite, que nous avions des troupes en Afrique, que nous y avions des missions internationalistes, que nous appuyions les mouvements révolutionnaires en Amérique centrale. Voilà les prétextes qu’ils avançaient. Ce n’est que dans le milieu des années 90, alors que le camp socialiste avait disparu, alors qu’il n’y avait plus de troupes cubaines en Afrique, alors qu’il n’y avait plus de mouvements révolutionnaires en Amérique centrale ni en Amérique du Sud qu’est apparu le prétexte des nationalisations.

Qui n’étaient pas d’ailleurs l’objectif réel de la Loi Helms-Burton : l’objectif réel derrière la conception de cette loi et son application actuelle, c’est interdire que Cuba puisse être souveraine.

Q : L’administration étasunienne actuelle, non seulement vis-à-vis de Cuba, mais tout particulièrement envers le Venezuela, et antérieurement vis-à-vis d’autres pays avec lesquels les USA avaient signé des accords, tels que l’Iran, la Russie, la Corée du Nord, etc., a donné des preuves qu’elle ne croit pas aux accords…

Ce que nous constatons aujourd’hui, surtout cette dernière année – sans pouvoir dire qu’il s’agisse de toute l’administration – c’est un irrespect du droit international, c’est la défense d’une philosophie selon laquelle le droit international existe comme simple référence, mais qu’il ne vaut pas pour les Etats-Unis.

L’an dernier, le poste de conseiller à la sécurité nationale de l’administration Trump a été occupé par un individu qui s’appelle John Bolton, qui avait déjà rempli diverses fonctions avec George W. Bush, qui avait déclaré publiquement que le droit international était une référence, mais qu’il ne saurait limiter l’action des Etats-Unis ou les empêcher de satisfaire à leurs intérêts dans l’arène internationale.

C’est cet individu, avec ces caractéristiques-là, qui conduit aujourd’hui la politique extérieure et de sécurité nationale des Etats-Unis. Il ne croit pas aux règles, il ne croit pas aux compromis, et il a apparemment une influence disproportionnée dans l’administration actuelle. De plus, c’est un menteur pathologique.

C’est lui qui, en 2002, avait accusé Cuba d’avoir un programme de mise au point d’armes de destruction massive et biologique, si bien que son chef, le secrétaire d’État Colin Powell, avait dû le démentir publiquement, tout comme l’ex-président James Carter avait dû le faire durant une visite à Cuba. Le Congrès étasunien avait dû ouvrir une enquête à cause de ces mensonges qu’il débitait.

Et cet individu accuse maintenant Cuba d’être responsable des problèmes de l’Amérique latine et des Caraïbes. Comme si Cuba était responsable des énormes niveaux d’inégalité existant sur le continent, de la quantité de migrants qui veulent entrer aux USA par leur frontière sud, de la croissance du trafic de drogues dans notre région ! Comme si le responsable de tout ça dans notre région n’était pas le capitalisme !

Ce sont pourtant ces caractéristiques qui priment aujourd’hui dans la politique extérieure des Etats-Unis, sous l’influence, non seulement de cet individu, mais de certains autres qui sont parvenus à acquérir pas mal d’influence à la Maison-Blanche, du moins cette dernière année ou dernière année et demie.

Tu me demandais quelle a été la réaction face à tout ça. Tout d’abord, dans un pays comme le nôtre, l’unité nationale, la compréhension du problème que nous avons en face, la compréhension de leurs visées, grâce à l’étude de lois comme la Helms-Burton, des visées claires que chaque Cubain devrait connaître parfaitement, car c’est là la meilleure explication de ce que les Etats-Unis et l’impérialisme étasunien veulent pour notre pays.

C’est être convaincu que seul le socialisme a permis à Cuba de se défendre de ces prétentions au long de soixante ans. Sans sa révolution socialiste, Cuba n’aurait pas été capable de se soutenir face à des visées aussi hégémoniques de la part des Etats-Unis.

À l’échelle mondiale, c’est attirer l’attention, c’est mobiliser les forces progressistes, les forces éprises de paix, ceux qui, comme le disait Fidel, croient qu’un monde meilleur est possible et qui sont capables de comprendre quels dangers existent quand un gouvernement agit de cette manière face à tout le monde, comme nous le voyons faire au Venezuela.

La recette que les Etats-Unis appliquent au Venezuela, ils peuvent l’appliquer à n’importe quel autre pays, y compris aux pays développés, parce que l’administration étasunienne estime aujourd’hui n’avoir pas de bornes et n’avoir aucune raison de se limiter pour défendre ce qu’elle considère ses intérêts.

Q : Trump vient de dire qu’il ne permettra pas le socialisme dans le continent, comme ça, littéralement ! Est-ce qu’il veut rivaliser avec Ronald Reagan, avec George Bush père, en cherchant à laisser son empreinte : celui qui a liquidé le socialisme dans le monde ?

Il rivalise, en combinant John Quincy Adams, qui a conçu la Doctrine Monroe, et McCarthy, l’inventeur du maccarthysme. C’est la Doctrine Monroe avec son zeste de maccarthysme, accompagnée de la prétention d’expulser le socialisme de notre région. Une sorte de chasse aux sorcières contre des gouvernements, selon eux, mais aussi contre des mouvements sociaux, contre des militants, contre des figures aux Etats-Unis qui défendent le socialisme. En tout cas, le message est très clair. Il l’a utilisé en janvier dans son Message sur l’état de l’Union, il l’a utilisé de nouveau à Miami quand il a parlé de la Doctrine Monroe assaisonnée de maccarthysme en Amérique latine et dans les Caraïbes.

Q : Espérons que le monde comprendra que c’est comme ça, aussi, que s’est ouvert un chapitre sombre dans l’histoire de l’humanité qui a très mal fini…

Oui. Trump ne rivalise pas seulement avec Reagan et Bush ; rappelons-nous qu’Adolf Hitler, qui fonctionnait à partir de notions semblables et recourait constamment à la tromperie, a pu, grâce à la complaisance de nombreuses puissances de l’époque, s’emparer de l’Autriche, s’emparer de la Tchécoslovaquie… On connaît la suite.

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"c’est un cliché de journaliste que de souligner le caractère futile de lancer des pierres contre des tanks. Faux. Il est certain qu’il s’agit là d’un acte symbolique, mais pas futile. Il faut beaucoup de courage pour affronter une monstre d’acier de 60 tonnes avec des pierres ; l’impuissance du lanceur de pierres à arreter le tank ne fait que souligner l’impuissance du tank à faire ce qu’il est censé faire : terroriser la population."

Gabriel Ash

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