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"C’est un changement de cap radical dont ce pays a besoin !"

Comme l’ensemble des Français, le monde universitaire a été violemment ébranlé par les attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015 qui ont frappé à Paris la rédaction d’un journal et ses invités, des policier-e-s, les clients et le personnel d’un magasin casher. Au sein de leurs établissements, de leurs laboratoires, de leurs départements, et à travers leurs sociétés savantes, les universitaires ont exprimé leur tristesse et leur désarroi. Le SNESUP-FSU les a appelés à participer aux rassemblements des 7, 10 et 11 janvier. Premier syndicat de l’enseignement supérieur public, profondément attaché à la laïcité, il réaffirme avec force son engagement à défendre les libertés fondamentales contre toutes les formes de fascisme et à combattre l’antisémitisme, l’islamophobie et toutes les manifestations du racisme.

Si l’on peut comprendre et partager l’émotion collective et l’ampleur des mobilisations citoyennes qui ont suivi ces attentats, il appartient aussi à la communauté des chercheurs et des enseignants de conduire une réflexion approfondie sur les ressorts sociaux et politiques d’un tel événement, sur ses effets et sur notre manière d’y répondre. Une fois la sidération passée, il revient à l’esprit critique de reprendre ses droits.

Deux semaines après ces terribles événements, il apparaît en effet que le gouvernement a opté pour une réponse principalement policière et militaire. Le SNESUP-FSU dénonce cette illusion sécuritaire, dont les premières victimes sont précisément les libertés fondamentales prises pour cibles par le terrorisme. Il tient à rappeler que les attentats ayant tué dix-sept personnes à Paris, loin d’un prétendu « choc des civilisations », ne sont pas le fait d’acteurs extérieurs à notre société. Ce terrorisme djihadiste s’est nourri de l’oppression exercée par les dictatures du Maghreb (Tunisie, Libye) et du Proche Orient (Égypte, Syrie, Irak) contre leurs peuples d’une part, des projets géopolitiques et idéologiques de certains États musulmans (notamment l’Arabie saoudite et le Qatar), alliés à la France et aux autres pays membres de l’OTAN d’autre part, et enfin de la situation insupportable de colonisation et de perte de droits les plus élémentaires infligée à la population palestinienne. Il prend probablement naissance dans le champ de ruines laissé par les guerres lancées en Irak, en Afghanistan et en Libye depuis quinze ans par les alliés occidentaux de la France et la France elle-même.

Mais il est également d’autres champs de ruines qui lui ont servi de terreau : celui des prisons, réponse répressive qui a été préférée aux politiques de prévention de la petite délinquance, celui des espaces de relégation, dans lesquels on a confiné la misère. La ségrégation sociale et ethnique qui accompagne l’explosion des inégalités économiques, culturelles, scolaires, procède directement du tournant néolibéral pris il y a plus de trente ans et poursuivi par tous les gouvernements qui se sont succédé. À la marginalisation et à la stigmatisation des quartiers populaires, s’ajoutent l’appauvrissement des services publics, le chômage de masse, la précarité de l’emploi et du logement, autant de problèmes sociaux aggravés par la crise financière qui s’est ouverte en 2008 et par les politiques d’austérité dont on mesure quotidiennement l’inefficacité et les effets désastreux. Les perspectives d’emploi s’obscurcissent pour des millions de concitoyens, la pauvreté sous toutes ses formes s’étend, quand au même moment la richesse des plus fortunés atteint des sommets et quand la criminalité en col blanc des élites bénéficie de la plus grande indulgence. Même la promesse d’égalité des droits que représente le droit de vote des étrangers aux élections locales n’a pas été tenue. Seuls la compétitivité, l’innovation et l’esprit d’entreprise, comme l’illustre à nouveau la loi Macron, semblent prévaloir contre toute autre préoccupation, si ce n’est aujourd’hui la sécurité de nos concitoyens, non pas même sociale mais seulement physique.

Les clivages sociaux ainsi engendrés par le creusement des inégalités se traduisent par un renforcement des logiques communautaires et des idéologies identitaires sur lesquelles prospèrent les forces réactionnaires et les extrêmes droites populistes. Autrement dit, la question cruciale de la laïcité et des libertés fondamentales ne peut être dissociée de la question sociale, laquelle porte des enjeux éminemment politiques relatifs aux principes d’organisation de notre société et aux valeurs de liberté et de solidarité. Quel projet voulons-nous partager ? Alors que le capitalisme néolibéral a refermé le champ des possibles, n’offrant comme alternative que la compétition et la consommation, il nous appartient d’ouvrir des perspectives de bien-être collectif et d’épanouissement personnel qui fassent pièce à l’obscurantisme et au néo-conservatisme en plein essor.

La réponse démocratique et progressiste que le SNESUP entend défendre et promouvoir, doit être économique et sociale mais aussi culturelle, éducative et scientifique. Elle implique une participation large des citoyens dans le cadre de consultations et de débats qui doivent être organisés en urgence, prioritairement là où le dialogue semble bloqué, laissant place à la violence matérielle et symbolique. Elle doit aussi passer par une remobilisation des organisations politiques et syndicales, des associations et des collectifs, autour d’un projet commun d’émancipation et d’égalité. Il faut se donner les moyens de redistribuer les richesses, de rétablir les services publics, de soutenir le monde associatif et les institutions culturelles dans un souci de cohésion sociale et territoriale.

L’École et l’Université doivent remplir à cet égard une fonction stratégique. Il est regrettable que la ministre de l’Éducation nationale ait déclaré à l’Assemblée nationale qu’il y avait eu « de trop nombreux questionnements de la part des élèves » et qu’elle propose seulement « une revalorisation des rites républicains » et une heure d’enseignement moral et civique. N’est-ce pas précisément le rôle des institutions éducatives que d’apprendre aux élèves et aux étudiants à interroger le monde social et l’ordre politique, à exprimer leur position et à débattre de manière contradictoire en objectivant et structurant les arguments. Or, l’austérité et les réponses uniquement autoritaires sapent les possibilités matérielles et intellectuelles de cet apprentissage de la citoyenneté. Non seulement les coupes budgétaires tarissent les ressources financières nécessaires à un enseignement et une recherche de qualité, mais les réformes ayant affecté, ces quinze dernières années, les établissements d’enseignement primaire, secondaire et supérieur, ont grandement contribué à détériorer les conditions d’étude et de travail en leur sein.

Dans les universités tout particulièrement, les restructurations commencées en 2007 n’ont fait qu’accentuer la polarisation du système de formation entre les filières sélectives et les autres, tout en assignant aux activités scientifiques des objectifs de rentabilité économique, au détriment du développement des connaissances. Les enseignants-chercheurs, qui devraient contribuer à produire les savoirs critiques dont la société a aujourd’hui plus que jamais besoin, sont écrasés sous des tâches administratives chronophages, enjoints de produire des publications en nombre et de répondre à de multiples appels à projets en vue d’obtenir des financements qui n’arrivent jamais et qui sont trop souvent fléchés sur des thèmes dont les chercheurs ont perdu la maîtrise. Le SNESUP rappelle que le gouvernement actuel étrangle les finances des universités et des organismes publics de recherche et que, comme la secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur et de la Recherche l’a annoncé en ce début d’année, il prévoit de réduire encore l’emploi scientifique dans les trois années à venir ainsi que les crédits de la MIRES. Ces restrictions ne sont pas que matérielles, elles affectent également les problématiques scientifiques et la créativité conceptuelle. Le mot d’ordre de l’innovation, qui oriente les recherches vers des travaux produisant des résultats rapidement exploitables en termes marchands, engendre un véritable appauvrissement de la réflexion et une moins grande ouverture à la nouveauté. Ce sont la recherche fondamentale – qui a besoin d’une temporalité longue – et notre capacité à produire de nouvelles pensées qui s’en trouvent affectées.

Quel crédit accorder à l’apparent regain de ferveur pour la transmission des valeurs républicaines lorsque depuis des années, les réformes de l’enseignement n’ont cessé d’y substituer des priorités d’une tout autre nature valorisant la concurrence et les logiques de court terme ? Que fait-on du bien commun scientifique et culturel, lorsque la recherche est transformée en prétexte à l’évitement fiscal massif (CIR) et que les missions de l’université sont subordonnées à un objectif d’« excellence » vide de sens ? Que devient la démocratie universitaire lorsque collègues et étudiants sont soumis à des structures de décisions de plus en plus opaques et lointaines (IDEX, COMUE, HCERES) ? Ceux qui agitent maintenant l’étendard des valeurs démocratiques et républicaines, ne peuvent faire oublier des années de disette budgétaire et l’entreprise de sape de l’Université comme lieu de production et de transmission de savoirs critiques, d’exploration et de curiosité libre.

Dans un tel contexte, il appartient au monde universitaire et scientifique d’ouvrir des perspectives à la fois intellectuelles et politiques susceptibles de mobiliser et de rassembler toutes celles et ceux qui ne se résignent pas au repli sur soi, à la haine de l’autre et à l’austérité sécuritaire.
C’est d’un changement de cap radical que notre pays a besoin ! Avec ses partenaires associatifs et syndicaux, le SNESUP s’engage à y prendre toute sa part.

Paris, le 28 janvier 2015

SNESUP-FSU
SYNDICAT NATIONAL DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
78, rue du Faubourg Saint-Denis
75010 - PARIS
Tél. : 0144799621 - 0659126981
Courriel : sg@snesup.fr

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