Roger Martin
XXXX
à
Monsieur Luc Châtel
Ministre de l’Éducation nationale
Lundi 14 février 2011,
Monsieur le Ministre,
Le 4 septembre 2009, agissant au nom de la République française, vous m’avez honoré en me décernant le titre de Chevalier des Palmes académiques «  pour services rendus à l’Éducation nationale ».
J’ai le regret de devoir aujourd’hui renoncer à cette distinction honorifique et de vous renvoyer ci-inclus le document officiel que j’ai reçu il y a près de deux ans.
Comment en effet conserver cette distinction alors que tout ce à quoi j’ai cru depuis mon entrée dans la carrière d’enseignant en 1973 est systématiquement bafoué et détruit par le gouvernement auquel vous appartenez ?
Votre décision d’accorder de substantielles primes aux recteurs d’académie puis aux chefs d’établissement - en attendant la mise en place complète d’une évaluation au mérite pour les enseignants, fondée sur la docilité voire la servilité -, le passage obligé de la notion de savoirs à celle de compétences qui traduit en réalité la volonté d’abaisser le niveau et la formation pour produire de futurs salariés moins payés et toujours plus précaires, le renoncement à la double notation (administrative et pédagogique) au profit de celle, unique, d’un chef d’établissement recourant à des grilles d’auto évaluation dont la quasi-totalité des critères n’auront plus rien à voir avec les connaissances et la pédagogie, la suppression à la rentrée de 16Â 000 postes venant après celle de plus de 50Â 000 autres ces dernières années, l’augmentation sensible des heures supplémentaires au détriment des heures postes, le coup de pouce énorme accordé à l’enseignement privé, tout cela vient s’ajouter à des choix et des mesures initiés par vos prédécesseurs que vous semblez vouloir surpasser dans une politique de casse généralisée de l’Enseignement public.
Des choix et des mesures qu’il convient de qualifier de scélérats, comme on a pu, par le passé, parler de lois scélérates.
Permettez-moi, Monsieur le Ministre, de vous en rappeler quelques-uns :
arrestations dans leur classe d’élèves d’écoles maternelles et élémentaires enfants de sans-papiers,
expulsions de jeunes majeurs étrangers interdits de poursuite d’études,
constitution de fichiers électroniques d’élèves, jugés pourtant par monsieur Darcos lui-même comme «  liberticides »,
sanctions contre des directeurs d’écoles - avec suppression d’une partie de traitement et déchéance de leurs fonctions - accusés d’avoir refusé le fichier Base-élèves,
imposition de méthodes pédagogiques en lecture au gré des humeurs des ministres du moment,
sanctions contre des cadres formateurs des IEN refusant d’appliquer ces méthodes,
fichage d’enfants de moins de trois ans soupçonnés de n’être que de la graine de délinquants,
affaiblissement progressif de la langue française, au profit d’une novlangue vaguement anglo-saxonne préparant au remplacement définitif du français dans la quasi-totalité des institutions politiques, économiques, sociales et culturelles.
Je fais partie, monsieur le Ministre, de ces 55% de Français qui ont refusé le projet de Constitution européenne, et j’enrage de voir que toutes ces décisions que vous prenez, avec le feu vert de votre gouvernement et de son président, le sont au nom de cette Europe anti sociale que vous voulez à toute force nous faire avaliser.
Vous êtes bien placé pour savoir que ce programme est la conséquence des directives d’organismes transnationaux, OCDE, Parlement européen, Trilatérale, Groupe de Bilderberg et que la politique de l’Éducation nationale est à présent, dans notre pays, totalement subordonnée aux intérêts du MEDEF.
Parce que je suis devenu professeur de lettres par choix et par passion, parce que mes maîtres s’appellent Rabelais et Montaigne, Voltaire et Rousseau, Vallès, Hugo et Zola, Aragon et Eluard, parce que j’aime mon métier, j’ai donc le regret, comme d’autres collègues si j’en crois la presse, de vous renvoyer mes Palmes académiques.
Nul doute que vous trouverez facilement quelque fonctionnaire ambitieux, avec un plan de carrière à la place de la vocation, à qui les remettre.
Je vous remercie, Monsieur le Ministre, d’avoir pris le temps de me lire.
J’aurais voulu pouvoir vous assurer de mon respect, mais l’oeuvre destructrice à laquelle vous présidez m’empêche de le faire.
Je me contenterai donc de vous assurer de ma volonté ferme et entière de continuer à me battre de toutes mes forces, avec mon syndicat, le SNES-FSU, avec mon parti, le Parti communiste, et plus généralement avec ces millions de citoyens que vous avez affecté de ne pas voir dans les rues de nos villes, pour mettre en échec les menées d’un gouvernement qui ne se réclame du Général de Gaulle que pour mieux casser les conquêtes et les lois que le gouvernement qu’il présidait avait mises en place en application du programme du Conseil National de la Résistance.
Roger Martin
Professeur de Lettres au collège Charles Doche de Pernes-les-Fontaines.