Une petite majorité, mais une majorité suffisante du TSF, le Tribunal supérieur fédéral du Brésil (Supremo Tribunal Federal-STF) a décidé, mercredi 4 avril 2018, de rejeter l’appel présenté par les avocats de l’exprésident Lula. Cette décision réduit de façon drastique la perspective d’une candidature Lula aux présidentielles du 7 octobre prochain qu’il avait de grandes chances de gagner. En effet, les sondages le plaçaient nettement en tête des intentions de vote depuis plusieurs mois.
Tout n’est pas encore définitivement joué. Les juristes évoquent diverses options d’appel en dépit de l’appel rejeté par le Tribunal régional fédéral n°4 (TRF4) de Porto Alegre le 27 mars dernier. Un recours devant le Tribunal supérieur de justice concernant l’éventuel non-respect de la procédure, voire une nouvelle saisine du TSF s’appuyant sur la violation de certains éléments de la Constitution par le juge. Toutefois, ces experts reconnaissent que ces appels ne sont pas suspensifs. Dès lors, le juge de première instance Sergio Moro, pourra dès réception de la décision prise par le TSF le 4 avril, décider de faire appliquer la sentence ayant condamné en appel l’ex-président Lula à 12 ans d’emprisonnement.
Le TSF, in fine, a pris une décision cohérente avec celles des tribunaux ayant eu à se prononcer. Tous ont validé une condamnation pour corruption, reposant sur la délation d’un condamné cherchant à bénéficier d’un aménagement de sa peine, et sur l’intime conviction de culpabilité du juge de première instance, finalement avalisée par ses collègues. La messe était dès le départ chantée sur un mode laissant peu d’échappatoires au mis en examen.
La procédure suivie a jonglé avec les règles de droit dès le début de l’enquête. Cela s’est illustré par la descente de police au domicile de Lula, à 6h du matin, pour se voir signifier une mise en examen dont il n’avait pas été au préalable informé par la justice. Également par les écoutes téléphoniques de la présidente Dilma Rousseff, sans autorisation judiciaire correspondante, ainsi que par les informations tirées du dossier du juge communiquées au grand groupe média, « Globo ».
La procédure a fait l’objet d’un accompagnement « culturel » par les grands canaux d’information. Plus récemment, Netflix a fabriqué un feuilleton sur les scandales financiers, attribuant à l’acteur interprétant Lula des propos scandaleux tenus par d’autres. Diverses églises évangélistes ont relayé la mise à l’index de Lula. Les petites mains ayant animé les grandes manifestations de 2013 contre l’augmentation du prix des transports, via les réseaux sociaux, appellent aujourd’hui à manifester pour envoyer Lula en prison. Enfin, le général en chef de l’armée de terre a donné de la voix pour dénoncer une éventuelle mansuétude du TSF à l’égard de l’ex-président.
Les jeux étaient faits. Les jeux sont faits. Les cartes étaient distribuées de telle sorte qu’il ne pouvait en être qu’ainsi. Le final, ou quasi final du drame, était quelque part inscrit dans le premier pas de clerc démocratique commis en 2016 par le parlement avec la destitution inconstitutionnelle de la présidente Dilma Rousseff. Les choses sont depuis allées de mal en pis, si l’on veut considérer comme un bien, le nécessaire respect rigoureux des règles démocratiques dans un pays ayant vécu plus de 20 ans de dictature militaire[1].
Derrière ces évènements politiques, un enjeu économique et social était présent. La crise ayant affecté le Brésil à partir de 2013 appelait deux sortes de réponse. L’une de nature économique devait s’efforcer de trouver la voie d’un retour à la croissance. L’autre sociale devait, dans l’attente, procéder à une juste répartition des efforts à consentir pour amortir les effets de la récession. La destitution de la présidente Dilma Rousseff avait pour objectif premier d’écarter toute option de partage social des sacrifices.
Au prix d’un coup d’Etat parlementaire, les nouveaux dirigeants du pays ont pu mettre en œuvre une politique d’austérité, rabotant les acquis sociaux et l’investissement public, cédant au capital étranger les pans les plus prometteurs de l’économie nationale. Les conséquences de cette politique ont été nombreuses : 2 à 3 millions de personnes sont repassées sous le seuil de pauvreté et la délinquance a brutalement progressé. L’Etat a répondu par le biais de son armée, un jour à Brasilia, et l’autre à Rio, avec les résultats que l’on a pu constater, ceux de pompiers incendiaires.
Restait, pour éviter tout risque de retour en arrière, à éliminer Lula. L’ex-président garde une popularité très forte dans les milieux modestes. Pour la première fois dans l’histoire du Brésil, de 2003 à 2016, la pauvreté a massivement reculé. Les jeunes noirs et les plus pauvres en général ont eu accès à l’électricité pour tous, au logement et à l’université. La mémoire de ces avancées est encore très fraîche. Lula, porté par les retombées de ses réalisations sociales, a fait campagne dans tout le Brésil depuis un an. Il est en ce moment en tête des intentions de vote, autour de 35%. En dépit des campagnes de presse, des réseaux sociaux hostiles, et des tentatives violentes d’intimidation comme il y a quelques jours, lorsque son autobus a été visé par des tireurs non-identifiés.
Dans ce scénario qui se veut sobre et sans effusion de sang, il revenait donc à la justice de donner le coup de pied de l’âne. C’est aujourd’hui chose à peu près faite. Reste à savoir au lendemain de ces dérives démocratiques, judiciaires et morales ce qui va rester du Brésil refondé en 1988 sur les cendres d’une dictature. Toutes choses rappelant la fable du grand écrivain brésilien Machado de Assis, « O Alienista ». La Cité modelée par un apprenti sorcier se retrouve après bien des vicissitudes aux mains d’un irresponsable. Il se trouve aujourd’hui, si Lula venait à être définitivement écarté, un Aliéniste en bonne place pour le scrutin du 7 octobre. Il se nomme Jairo Bolsonaro. C’est un ancien militaire de la dictature, fier de son passé, proche des évangélistes, défenseur des valeurs traditionnelles et de la tolérance zéro à l’égard du crime. Il était avant la décision du TSF favorable à la mise sur la touche de l’ex-président Lula à plus de 20% des intentions de vote.
Jean-Jacques KOURLIANDSKY
[1] De 1964 à 1988
Tribune/IRIS 6 avril 2018