Quand le gros chat Cayrol s’en va, les souris de l’Elysée dansent.
La nouvelle vient de tomber : Roland Cayrol tire sa révérence au monde des sondages. Il quitte le groupe CSA, acteur majeur du secteur des enquêtes de marché et des sondages d’opinions dont le chiffre d’affaire atteint prés 34 millions d’euros. Le politologue, créateur de l’institut CSA, n’exercera plus de responsabilités directes mais restera « conseiller permanent »… Traitement spécial pour services rendus ? Toujours est-il que le départ de Roland ne peut laisser indifférent.
Tout d’abord, parce que Roland Cayrol a su s’imposer dans le monde politico-médiatique à coups de chiffres bien sentis, de calculs savants et du vernis universitaire fourni par son statut de directeur de recherche au Centre de recherches politiques de Science Po. (Cevipof). Il s’est révélé être un personnage incontournable et a contribué à donner le ton dès lors qu’il s’agissait de relever l’avis d’experts sur les grands (ou petits) évènements de notre vie politique. Ainsi, Roland s’est affirmé comme celui qui savait déchiffrer l’opinion de ceux qui ne parlent pas ou que l’on écoute pas, cette majorité silencieuse qu’il décrivait dans un ouvrage collectif en 2003 au titre éloquent : A l’écoute des gens ordinaires.
Ainsi, à la manière d’un Robin des bois des temps modernes, Roland contribuait à travers ses études d’opinion à l’approfondissement de la démocratie.
Alors pourquoi partir ? et surtout pourquoi céder ses parts de marché de l’institut CSA au groupe Bolloré alors que ce même Roland dénonçait avec force il y a peu l’intrusion de grands groupes économiques dans la presse, menaçant ainsi son indépendance.
Il s’agit là d’un aspect qui ne peut nous laisser indifférent, puisque c’est le riche et proactif groupe Bolloré qui bénéficie du départ de Roland en acquérant, le 9 juillet 2008, 60 % du groupe CSA dont il détenait déjà 40 % depuis 2006.
Le groupe familial presque bicentenaire de Vincent Bolloré, se tourne depuis quelques années vers les médias et la communication. Propriétaire de la chaîne de télévision Direct 8, Bolloré a lancé en juin 2006 le quotidien gratuit Direct Soir. Il est également présent dans le monde de la publicité et du marketing en tant que premier actionnaire du groupe français Havas et du groupe britannique Aegis. Il détient aussi une participation de 30% dans le groupe de production audiovisuelle et de cinéma Euro Média qui rassemble les activités de production et de prestations dans l’audiovisuel. Et, cerise sur le gâteau, Vincent Bolloré est un ami proche de Nicolas Sarkozy qu’il avait gracieusement ( ?) invité sur son yacht après son élection présidentielle.
Dans ces temps de confusion du pouvoir et des médias, le rachat de l’institut CSA donne l’occasion de dénoncer une fois de plus la collusion entre ces deux sphères. Une collusion qui non seulement nuit au débat démocratique, mais qui plus est l’oriente et le manipule. Dans ce cadre, les sondages apparaissent comme de véritables instruments de propagande indignes d’une démocratie mature.
Roland Cayrol s’en va, il aura su tirer grand bénéfice de ses positions et du rôle des sondages dans l’arène médiatique et politique. A la manière de l’ex-directeur général d’IPSOS Giacometti devenu depuis janvier conseiller spécial de Sarkozy. Quel cynisme ! Alors que la rhétorique des représentants des Instituts implique de parler d’indépendance et de scientificité, les arcanes des calculs ne révèlent que collusion et asservissement.
Finalement, Roland part en révélant la main mise de grands groupes économiques complices des politiques sur la propagande antidémocratique. N’est-ce pas là le plus grand service qu’il pouvait nous rendre ?