RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Bhopal : les coulisses feutrées d’une catastrophe (Le Soir de Belgique)

Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, une explosion dans une usine de pesticide répand un gaz toxique sur la ville de Bhopal, en Inde. Suite à cet accident industriel, un des plus lourds à ce jour, de dix à vingt mille personnes perdront la vie. Plusieurs centaines de milliers d’autres en sortiront blessées.

Le propriétaire de l’entreprise était alors Union Carbide. En 1984, Victor Dedaj travaillait comme consultant informatique pour cette multinationale à Genève. Vingt-cinq ans après, il témoigne.

4 décembre 1984. Le lendemain de la catastrophe. Victor Dedaj arrive au prestigieux immeuble d’Union Carbide. Le siège « Europe and Middle East » de la multinationale se trouve à Genève, chemin Louis Dunant. Du septième étage, ses occupants observent régulièrement les manifestations des laissés-pour-compte devant les bâtiments des Nations unies.

Même s’il est un consultant externe, Victor n’a aucune difficulté à franchir les portiques de la société Union Carbide SA. En permanence sur place pour gérer le système informatique comptable, il est un des rares « extérieurs » à posséder son badge d’entrée. Ses responsabilités sont importantes. Victor gère notamment tous les paramètres informatiques des rapports financiers envoyés au siège central, à Danbury (Connecticut - USA).

Le couloir qui mène au restaurant de la société est jalonné de photos représentant quelques sites industriels de la société. Ce jour-là , Victor remarque des traces de poussières délimitant un cadre. Quelqu’un a discrètement retiré un tableau : celui du site de Bhopal. Ce sera la seule réaction interne à propos de la catastrophe. Victor ne se souvient d’aucune discussion, aucune information donnée par la direction à ce propos. Et certainement pas d’un traumatisme collectif du personnel. « Si le 11 Septembre s’était déroulé en Inde, personne ne s’en souviendrait », assène-t-il.

La fureur du monde, fût-elle provoquée par Union Carbide, ne rentre pas dans l’immeuble cossu de la multinationale. « L’ambiance était feutrée, on était entre nous, se souvient Victor. Les choses allaient de soi, c’était une façon d’être. Et personne ne parlait de Bhopal. Le sujet ne rentrait pas dans les perspectives du personnel. Je dirais qu’il aurait été indélicat de parler de "ces choses-là " . » Aussi, quand le journaliste et romancier Dominique Lapierre décrit des employés en sanglots, Victor hausse les épaules : « Bhopal dépendait de Genève. Si rien n’a été perçu chez nous, je doute que la catastrophe ait durement affecté les employés américains. »

De fait, à Genève, la catastrophe et ses conséquences dramatiques pour des milliers d’Indiens ne changent rien à la « belle époque » d’Union Carbide. Alors que des indices signalent des manquements criants de la société, les salaires restent plantureux. Les avantages en nature sont légion. Et surtout, la fête est « permanente ». Victor se souvient des virées au PussyCat en Mercedes avec les pontes d’UC. Travestis en hauts talons et champagne à volonté. Sur le compte de la société évidemment.

Mais en 1985, les nuits blanches sont aussi occupées par le travail. Victor est chargé de gérer l’éclatement des bases de données d’Union Carbide en plusieurs entités. L’objectif : séparer les différentes activités de la société et les revendre au plus offrant. Il évoque une opération « exceptionnelle ». Lorsqu’il a reçu la consigne de séparer les activités d’UC, « il s’agissait tout simplement d’échapper à la justice indienne, cela allait de soi et tout le monde le comprenait ainsi ».

Une des nouvelles entités juridiques dont Victor crée la comptabilité est composée de… cinq employés, basés à Genève. Victor se demande à quoi elle sert. « A jeter des miettes aux pigeons indiens », répond le responsable informatique Europe, Ken Brown.

Ces « miettes » seront ramassées en 1989. Alors qu’initialement, le gouvernement indien exigeait 3 milliards de dollars, la Cour suprême indienne passe un accord avec Union Carbide pour un dédommagement de 470 millions de dollars. En contrepartie, ce jugement dédouanait la multinationale de toute responsabilité civile ou pénale. Les victimes ne furent pas consultées. Satisfait de l’accord, Union Carbide s’empressa de payer les 470 millions dans les quinze jours ! Quand cet accord fut rendu public, l’action de la multinationale a gagné 2 dollars en un jour. Dans les dix ans qui ont suivi, Union Carbide a revendu ses diverses branches pour un montant d’environ 10 milliards de dollars. La dernière vente fut la section chimie, à laquelle appartenait Bhopal.

Mais pourquoi vendre si un accord avec la justice indienne renonçait à toute poursuite ? D’abord parce que le jugement fut revu : des poursuites pénales furent rouvertes en 1992, notamment envers le président de l’époque, Warren Anderson (1). Ensuite, selon Victor, « Union Carbide avait surtout peur que les procès et demandes de compensation financières se multiplient à l’infini. Au fur et à mesure que le temps avançait, il y avait de plus en plus de morts ».

De ces jeux d’argent, chaque victime a reçu, selon divers calculs, entre 500 et 1.000 dollars de dédommagements pour une vie gâchée. « 99 % des victimes n’avaient aucune idée de ce que les sommes en jeu pouvaient représenter pour l’entreprise américaine, à savoir : rien. »

Olivier Bailly

(1) Warren Anderson est le seul individu à être poursuivi pour répondre des manquements de la société américaine. Ce 31 juillet 2009, un magistrat indien a confirmé et émis une demande d’extradition pour Anderson.

Article original : Le Soir de Belgique

PHOTOS EXTRAITES DU SITE
http://www.bhopal.net/bhopalinthenews/archives/2008/07/decades_later_t.html

URL de cet article 9349
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

« Marine Le Pen amène le pire » (*)
Maxime VIVAS, Frédéric VIVAS
(*) Anagramme imparfaite cueillie sur Internet. Ce livre (publié par les éditions Golias) est une compilation de documents révélateurs de l’analogie entre le FN d’hier et celui d’aujourd’hui. Y sont démontrées la difficulté pour Marine Le Pen, malgré les habiletés tribuniciennes, à se dépouiller des oripeaux paternels les plus exécrables, la distorsion entre le discours du FN ripoliné et son programme, entre son programme et ses objectifs. Sont mis en relief le fiasco du FN dans les villes qu’il a (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

L’emprise des multinationales sur l’opinion publique des Etats-Unis est une des choses incroyables du monde occidental. Aucun pays développé n’a réussi à éliminer des média, et avec autant d’efficacité, toute forme d’objectivité - sans même parler de dissidence.

Gore Vidal

Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
Analyse de la culture du mensonge et de la manipulation "à la Marie-Anne Boutoleau/Ornella Guyet" sur un site alter.
Question : Est-il possible de rédiger un article accusateur qui fait un buzz sur internet en fournissant des "sources" et des "documents" qui, une fois vérifiés, prouvent... le contraire de ce qui est affirmé ? Réponse : Oui, c’est possible. Question : Qui peut tomber dans un tel panneau ? Réponse : tout le monde - vous, par exemple. Question : Qui peut faire ça et comment font-ils ? Réponse : Marie-Anne Boutoleau, Article XI et CQFD, en comptant sur un phénomène connu : "l’inertie des (...)
93 
Lorsque les psychopathes prennent le contrôle de la société
NdT - Quelques extraits (en vrac) traitant des psychopathes et de leur emprise sur les sociétés modernes où ils s’épanouissent à merveille jusqu’au point de devenir une minorité dirigeante. Des passages paraîtront étrangement familiers et feront probablement penser à des situations et/ou des personnages existants ou ayant existé. Tu me dis "psychopathe" et soudain je pense à pas mal d’hommes et de femmes politiques. (attention : ce texte comporte une traduction non professionnelle d’un jargon (...)
46 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.