Saluons avec effusion la performance de Guetta qui, le 27 août au matin, s’est livré à un exercice particulièrement gratiné de messianisme apocalyptique. Sur un ton de prophète et en multipliant les liaisons prétentieuses dont il a le secret**, ce Nostradamus du pessimisme réac a fait le tour de la planète sans y trouver le moindre germe d’espérance. Même Patrick Cohen en paraissait gêné : il faut tout de même ménager l’auditeur matinal qui a besoin d’un peu de bonne humeur pour être productif au travail ! Mais les « géopoliticiens » de haute volée comme Guetta se rient de pareils soucis. Pour ce D.J. de l’apocalypse branchée,
La crise chinoise est un trou noir infernal dont ce pays ne pourra se sortir par la faute de sa dictature totalitaire, tentée de fuir dans un nationalisme impérialiste ; à cause des petits hommes jaunes et rouges, le monde occidental, qui sans cela irait si bien, va plonger dans la récession.
La Russie ne peut que s’enfoncer : bien fait pour elle, elle n’avait qu’à pas déstabiliser la gentillette Ukraine et à laisser gentiment l’OTAN s’installer sur ses frontières occidentales ; là aussi, c’est le tsar néo-stalinien du Kremlin qui entraîne le monde dans la crise militaire et dans la spirale récessive.
Le Brésil court à la catastrophe : la faute à Dilma Roussef et à la corruption, aucune cause systémique naturellement...
Les pays du sud producteurs de pétrole sont foutus ; rien à voir avec la volonté conjointe des EU et de l’Arabie saoudite de mettre financièrement à genoux la Russie et le Venezuela.
La Syrie va exporter ses millions d’hommes dans le monde prise en tenaille entre le « boucher de Damas » et « Daesh », comme si les manigances de l’Occident, encouragé par Guetta, n’étaient pour rien dans la mort programmée de la nation syrienne... Bref, ce n’est pas l’Occident qui a déstabilisé et envahi l’Irak, l’Afghanistan, la Libye, la Syrie, ce sont ces pays – qui ont eu le tort de ne pas accepter notre bienfaisant « modèle » exportable à coup de B. 52 et de « Rafales », qui, voyez-vous, « NOUS » envahissent (oh, bien sûr, Guetta n’est pas un affreux facho, il est pour qu’on « accueille » ces millions de réfugiés, pourvu qu’ils ne campent pas dans le 16ème arrondissement...).
Par bonheur, ma chère, il subsiste inexplicablement un havre de paix sur cette planète d’affreux Popov, d’Asiates malappris et de tire-bouchonnés levantins ; même si cet Eden est malheureusement cerné par le « terrorisme » universel, même ci ce paradis terrestre abrite quelques dizaines de millions de chômeurs, de pauvres, de sans-toit et de précaires, la belle EUROPE fait envie au monde entier, si mal informé sur ses réalités. D’ailleurs, la crise grecque ne vient-elle pas, dixit Guetta, d’y trouver une « issue si raisonnable » grâce à ce faux méchant de Tsipras, enfin devenu « raisonnable » malgré les « idéologues » de son parti : merci du cadeau pour les ouvriers du Pirée qui devront désormais trimer au grand soleil grec jusqu’à 67 ans***, pendant que leurs gosses sans emploi joueront les bouche-trou détestés et sous-payés en Allemagne, ce pays-modèle qui tue l’emploi chez les autres pour surexploiter chez lui, sous l’œil amène du néonazisme renaissant, les ouvriers grecs, yougos, portos, ritals, polaks, et bientôt, Franzosen, érigés au rang si compassionnel de « migrants »...
Ce qui frappe dans les « analyses » matutinales de Guetta, c’est qu’en fait de « géopolitique », elles ne sont qu’une addition moralisante de constats, d’ailleurs biaisés, qu’elles ne procèdent d’aucune vue large et systémique, que leur fil conducteur est un manichéisme plat (il y a les méchants : Bachar, Poutine, le Chinois fourbe aux mille visages, et heureusement, il y a les gentils, l’OTAN qui, bien évidemment, se défend toujours : chacun sait que l’Ukraine est terre « atlantique », que les armées US ne stationnent pas à des milliers de km des côtes américaines et que ce sont les Syriens, les Russes, les Chinois, qui interviennent tous azimuts dans les affaires françaises, américaines ou britanniques...). Guetta ne connaît pas la crise globale, systémique du capitalisme dont les difficultés actuelles de la Chine sont un EFFET et non une CAUSE (quand les politiques d’austérité et de précarité écrasent l’Europe et l’Amérique du nord, il est un peu plus difficile d’exporter à l’ « atelier du monde »...), il ne sait pas qu’il existe un impérialisme occidental, héritier bouillonnant du colonialisme d’hier. Non, voyez-vous, le Nord-Ouest de la planète est GENTIL, le SUD et l’EST (de l’Europe, mais aussi du monde) sont soit MECHANTS, soit IRRESPONSABLES et IMPREVISIBLES.
Conséquence logique, derrière le verbe vernissé de Guetta : ARMONS-NOUS et PARTEZ, car bien entendu, les Saint-Jean-Bouche d’Or qui prêchent la croisade antiterroriste sur les ondes, tantôt contre l’Empire du mal soviétique, tantôt contre Khadafi, tantôt contre Bachar, tantôt contre Chavez, tantôt contre Poutine, etc., sautent rarement en parachute sur les zones de conflit où ils envoient mourir les autres. Après quoi, ils font la morale aux vilains franchouillards qui se demandent ce que « nous » allons faire du flot de réfugiés dans un pays qui compte déjà cinq millions de chômeurs et des millions de mal logés... Mais ce n’est pas grave, puisque ce sont les villes ouvrières en crise comme Calais ou Aubervilliers qui hériteront du problème !
Ils appellent ça la « géopolitique ». Du moins les missionnaires de jadis étaient-ils les premiers à partir le moment venu à la tête des Croisés, ce qui refroidissait un peu leurs ardeurs fanatiques quand l’affaire tournait mal sur place... Mais on est tellement mieux dans le « desk » d’une matinale où les interventions calibrées des auditeurs sont triées sur le volet et où, de toute façons, le Guetta parle toujours le dernier...
Floreal
* et dire que tous ces journalistes faiblement surmenés persiflent quand ils parlent des vacances des enseignants... qui, EUX, ont bien besoin de congé pour tenir bon durant l’année face à leurs conditions de travail lourdement dégradées !
** il est vrai que cela compense faiblement le fait que la quasi-totalité des autres discoureurs de France-Inter ne font plus une seule liaison : « ont hété », « c’est hun cas particulier », etc. Débraillé linguistique des uns, pédanterie grotesque des autres (dira-t-on bientôt « des hautres » ?), c’est tout hun !
*** s’ils y arrivent : ce n’est plus la retraite des vieux qu’ils toucheront après avoir cotisé toute leur vie, c’est la retraite des morts !