Asphyxier la Grèce, pour la faire plier. Après quatre mois de négociations et d’atermoiements, les créanciers d’Athènes serrent encore le nœud coulant, espérant obtenir de la gauche grecque qu’elle tourne le dos à ses engagements. Mais plutôt que de céder aux injonctions de la Commission européenne, du FMI et de la Banque centrale européenne (BCE), qui exigent de nouvelles coupes dans les salaires, une réforme consacrant la précarité sur le marché du travail et la casse du système de retraites, le gouvernement grec pourrait au contraire choisir de faire défaut. Au total, la Grèce doit rembourser 1,5 milliard d’euros au FMI, en quatre échéances, du 5 au 19 juin. Jusqu’en octobre, ce sont près de 10 milliards d’euros qu’Athènes doit verser à ses créanciers, principalement à la BCE (6,7 milliards d’euros). Cela dans un contexte où le gouvernement, à court de liquidités, a déjà dû réquisitionner fin avril les réserves de trésorerie des entités publiques pour honorer le paiement des pensions et des salaires des fonctionnaires. Alors que les caisses sont vides, l’exécutif pourrait choisir de ne pas s’acquitter des prochaines échéances, ce qui serait une première dans la zone euro. Le ministre des Finances, Yanis Varoufakis, l’a dit clairement, lundi : il préfère « un défaut envers le FMI plutôt que sur les salaires », leur versement et celui des pensions représentant à ses yeux une « absolue priorité ». Hier, c’est un porte-parole de Syriza, Nikos Filis, qui a évoqué le scénario du défaut, dans une intervention télévisée. « C’est désormais le moment de vérité, le 5 juin, a-t-il insisté. S’il n’y a pas d’accord d’ici là qui règle le problème actuel du financement, ils n’auront pas d’argent. »
Les créanciers sont dans une stratégie de pourrissement
Alors que les négociateurs grecs se disent optimistes, le ton est plus sec du côté des créanciers, qui conditionnent toujours le versement de la dernière tranche du plan de financement, 7,2 milliards d’euros, à l’adoption de nouvelles réformes antisociales. « Nous faisons des progrès, même si je continue à le dire de manière prudente », temporise le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem. Lundi, le quotidien grec To Vima évoquait l’existence d’un « plan Juncker » transitoire aux conditionnalités moins strictes pour faire aboutir les négociations. Un plan dont on assure, côté grec, n’avoir jamais eu connaissance. Alors que Paris et Berlin invitent Athènes et ses créanciers à « accélérer » les négociations, François Hollande et Angela Merkel devaient rencontrer Alexis Tsipras en marge du sommet de Riga qui s’ouvre aujourd’hui. Samedi, à Athènes, le premier ministre grec insistait, lors d’une conférence du magazine The Economist, sur la nécessité de sortir de l’absurde dépendance à des financements extérieurs affectés au remboursement d’une dette non viable.
Quatre mois après l’arrivée de Syriza au pouvoir, la bataille politique est aussi celle du temps. Les gardiens de l’austérité parient sur l’effritement du soutien populaire au gouvernement grec, bien sûr. Mais ils espèrent aussi que la pression fera voler en éclats la formation de gauche, pour laisser place à une alliance moins récalcitrante entre des « modérés » de Syriza et les pro-mémorandum de To Potami et du Pasok. À la direction du parti, on fait au contraire le pari du mouvement populaire, au-delà des frontières de la Grèce. Hier, le secrétaire général de Syriza, Tassos Koronakis, lançait un appel solennel à la solidarité de « toutes les forces sociales et politiques progressistes et démocratiques qui reconnaissent que la lutte de la Grèce est une lutte pour la démocratie et la justice sociale en Europe ».
Rosa Moussaoui
L’Humanité, jeudi 21 mai 2015.