Au moment des allégations initiales contre Julian Assange, nous avons souligné le zèle inhabituel avec lequel il était poursuivi. (Le Guardian le 19 décembre 2010 et le 23 août 2012 - en français ici). Il ne ressemble à aucune autre enquête sur un viol que nous ayons vue ailleurs.
Le faible taux d’inculpation des hommes pour viols signalés au Royaume-Uni (les chiffres qui viennent d’être publiés montrent qu’il a encore baissé, passant de 14% à 2,5% en quatre ans) – résultant en grande partie d’enquêtes et de poursuites négligentes et biaisées, en dit long sur la façon dont le viol est généralement traité. Seulement un rapport sur 65 donne lieu à une sommation ou à une accusation. L’excuse de la police est qu’ils sont débordés et en sous-effectif.
Mais toutes les ressources ont été consacrées à l’affaire Assange, ce qui a coûté très cher au contribuable, ce dont on lui a ensuite fait le reproche.
Ce n’est pas à nous de décider si une allégation faite contre M. Assange est vraie ou non et si ce qui s’est passé équivaut à un viol ou à une violence sexuelle – nous n’avons pas tous les faits et ce qui a été dit n’a pas été vérifié. Mais nous savons que le droit des victimes de viol à l’anonymat et le droit des accusés d’être présumés innocents jusqu’à preuve du contraire sont tous deux essentiels à un processus judiciaire juste.
Dans cette affaire, le processus judiciaire a été corrompu dès le début et la justice a été refusée tant aux accusatrices qu’à l’accusé. D’une part, les noms des femmes ont été diffusés sur Internet ; elles ont été dénigrées, accusées d’avoir tendu un "piège de miel", leurs allégations rejetées comme "pas de vrai viol". D’autre part, M. Assange a été traité par la plupart des médias comme s’il était coupable, bien qu’il n’ait même pas été accusé.
Les procureurs suédois et britannique sont responsables de la manière dont les allégations des femmes ont été traitées. Comme dans toute poursuite pour viol, ce ne sont pas les femmes qui s’occupent de l’affaire, mais l’État.
Julian Assange a toujours dit clairement qu’il était disponible pour toute enquête sur les allégations, et il était en Suède lors de la première enquête qui l’a blanchi. Il a également précisé que sa seule préoccupation était de ne pas être extradé de Suède vers les États-Unis s’il y retournait, et c’est pourquoi il a demandé l’asile à l’ambassade équatorienne. La Suède a refusé de donner des garanties au motif qu’aucune demande de ce type n’avait été présentée par les États-Unis.
Mais dès que Julian Assange a été emmené hors de l’ambassade équatorienne après un changement de gouvernement, les États-Unis ont entamé une procédure d’extradition et porté 17 accusations, notamment d’"espionnage".
Nils Melzer met en garde contre les implications de la chasse aux sorcières contre M. Assange alors qu’il documentait les effets de son enfermement forcé, aujourd’hui de son incarcération. M. Melzer a écrit dans son éditorial :
« ...Assange avait été systématiquement calomnié pour détourner l’attention des crimes qu’il dénonçait. Une fois déshumanisé par l’isolement, le ridicule et la honte, comme les sorcières que nous brûlions autrefois sur les bûchers, il était facile de le priver de ses droits les plus fondamentaux sans provoquer l’indignation publique dans le monde entier. Et c’est ainsi que l’on crée un précédent juridique.... »
Nous sommes heureuses que M. Melzer ait révisé certains de ses commentaires sur les allégations des femmes, mais globalement sa position demeure. M. Assange est publiquement vilipendé afin de détourner l’attention de la vengeance et du silence de l’Etat. Nous sommes alarmées par le précédent que cela crée pour les journalistes et les dénonciateurs partout dans le monde. Nous nous opposons à la torture et à la peine de mort. Nous ne pouvons tolérer la façon dont les allégations de viol contre une personne continuent d’être utilisées pour poursuivre un programme politique visant à cacher le viol, la torture et le meurtre commis par l’État.
Après avoir travaillé avec des milliers de victimes de viols qui demandent l’asile contre le viol et d’autres formes de torture, nous n’avons rencontré que l’obstruction des différents gouvernements britanniques. À maintes reprises, ils ont accusé des femmes de mentir et les ont expulsées sans se soucier de leur sécurité. Ne nous dites pas qu’ils s’inquiètent des victimes de viol.
Où est la campagne demandant justice pour les viols et les meurtres que Wikileaks a révélés ? Qui prendra la parole au nom de ces victimes si les dénonciateurs sont réduits au silence ?
En 2004, en collaboration avec le Black Women’s Rape Action Project, nous avons écrit à des femmes parlementaires au sujet des crimes de guerre et des actes de torture, y compris les viols, commis sous occupation étasunienne et britannique en Irak et en Afghanistan. Nous n’avons reçu aucune réponse.
Chelsea Manning (actuellement réincarcérée malgré la commutation de sa peine par le président Obama) a pu utiliser Wikileaks pour dénoncer le vaste camouflage de viols, d’autres violences sexuelles et de meurtres, y compris de femmes et d’enfants, par les militaires étasuniens en Afghanistan, en Bosnie et en Irak. Ces victimes ne comptent-elles pas ?
Julian Assange et Chelsea Manning ont déjà subi des années d’isolement, de détention, d’emprisonnement, de diffamation et d’humiliation publiques, plus longues et plus honteuses que de nombreux hommes condamnés pour viol.
Une fois de plus, la fureur et la frustration des femmes face aux injustices auxquelles nous sommes confrontées sont manipulées par les gouvernements à leurs propres fins. Envoyer quelqu’un à la mort ou en prison à perpétuité et torturer quelqu’un aux Etats-Unis pour "espionnage" ce n’est pas rendre la justice pour des affaires de viol.
Publié le 28 juillet 2019 par Women Against Rape
Traduction : Romane
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