Dans cette livraison du Sarkophage n° 15, Paul Ariès philosophie sur la « vie bonne » : « Nous pourrions nous moquer de cette attention accordée au sensible, sauf si nous admettons que la société productiviste fait au quotidien l’économie du sensible. […] L’imaginaire est toujours lié à une perception du monde, or la perception spontanée dominante est aujourd’hui à la consommation du monde. Le politique n’est plus capable de permettre au poétique de se formaliser sous une forme symbolique : songeons à la disparition des visionnaires et des tribuns, puisque le seul discours autorisé est celui des économistes, des technocrates. Est-il insignifiant que le conseil scientifique d’ATTAC soit impulsé par des économistes, alors que les combattants de Massoud se disaient des poèmes ? A-t-on assez pensé à l’importance de la poésie et des poètes dans la Résistance ? Qui se souvient que c’est le grand poète roumain, Mircéa Dinescu qui a lancé, sur les ondes radiophoniques, l’appel à l’insurrection contre les Ceausescu ? Écoutons ce que nous dit le poète militant guadeloupéen Patrick Chamoiseau : le principe d’une poétique, c’est de parier sur les formes invisibles qui se trouvent dans le réel. Cette dimension poétique du vivant, c’est celle des grands mythes, y compris révolutionnaires. Une vie simple, c’est déjà une vie qui rappelle l’urgence et la beauté de vivre. »
Philippe Godard réfléchit à la place du fait-divers dans les journaux télévisés : « Qui se souvient des journaux télévisés du tant honni ORTF ? Les faits-divers n’y occupaient qu’une bien petite place par rapport à aujourd’hui. Ce beau succès médiatique sur le long terme n’est-il qu’un hasard. » L’auteur cite Chomsky et le problème de la criminalité aux Etats-Unis : « C’est un effort très soutenu pour transformer les Etats-Unis en quelque chose ayant la structure de base d’une société du tiers-monde, avec des secteurs extrêmement riches et de nombreuses personnes sans couverture sociale. »
Chez nous, « la mort d’un supporter toulousain agressé par des hooligans serbes occupe quatre ou cinq fois plus d’espace que le massacre de plusieurs centaines de personnes perpétré à Conakry par l’armée guinéenne. »
Le fait-divers est bien une politique : « Sarkozy a réussi ce tour de force de faire croire qu’il faisait baisser le crime tout en le laissant croître, et surtout en se servant du sentiment d’insécurité pour renforcer le contrôle social. […] Multiplier les caméras dans les rues [n’est-ce pas Delanoë ?] et intensifier le fichage par les services de l’État ne sert pas à arrêter les criminels mais à généraliser et à rendre toujours plus intense la soumission à un ordre qui n’a plus rien de républicain. »
Alain Cuénot revient sur les suicides à France Télécom : « On constate avec effarement la frilosité des sociologues du travail et des représentants syndicaux dans leur appréhension du système capitaliste et de son implacable logique d’exploitation salariale. »
Le sociologue des médias Armand Mattelart s’en prend à « l’idéologie de la communication » : « Trente ans après l’intronisation des technologies informationnelles comme voie de sortie de crise, le capitalisme traverse une des récessions les plus violentes de son histoire. »
Laurent Paillard dénonce les commissions en tant qu’instrument de dépolitisation : « Tout se passe comme si Sarkozy considérait la société comme un jeu de mécano dans lequel on pourrait changer des pièces sans modifier l’équilibre d’ensemble. » Les commissions permettent « d’acheter la participation de membres de l’opposition et de donner une apparence de scientificité à l’action du gouvernement. » C’est le triomphe de « l’idéologie gestionnaire ».
Romain Felli réfléchit sur le rapport entre « Démo-a-cratie participative et développement durable ». « La liste des déçus de la " participation " est longue. Combien de citoyens motivés ont cru à tort que leur voix pouvait être entendue dans une de ces séances de " démocratie participative " que les pouvoirs publics mettent en place à tous niveaux, pour finalement se rendre compte qu’il s’agissait au mieux d’une vaste opération de communication ? »
Un texte très intéressant d’Yvan Bureau sur « La peur » : « L’objectif des gouvernants […] est de durer le plus longtemps possible. Le choix des moyens pour atteindre cet objectif se concentre actuellement sur LA PEUR. Il faut que les populations aient peur, pour les maintenir sous contrôle, et les empêcher de prendre en main leur vie. »
La grippe aidant, « le ministre de la Justice a prévu la tenue des séances de tribunal à huis clos, avec un seul magistrat et la présence de l’avocat au dernier moment. […] Le patronat a prévu de pouvoir faire un " lock-out " et de déroger au code du travail en annualisant le temps de travail des salariés. »
Pierre Concialdi dénonce les statistiques fausses concernant le pouvoir d’achat. « Le phénomène s’est accentué ces dernières années avec un gouvernement qui affiche ouvertement une culture du résultat. » L’INSEE est, globalement, complice.
Pour Tülay Umay et Jean-Claude Paye, l’affaire Tarnac marque la fin du politique et le règne de l’image. On peut aujourd’hui en France « être placé pendant des mois en détention préventive avec un dossier vide. » L’arrachage des caténaires a été qualifié par le pouvoir et les médias complaisants de « terroriste » alors que la vie humaine n’avait jamais été menacée. Ce qui a en fait été reproché aux militants, c’était leur mode de vie : pensez, ils n’avaient pas de téléphone portable ! Pour le parquet, une échelle saisie devenait un « matériel d’escalade ». L’image « annulait alors la parole ».
La Princesse de Clèves étant morte et enterrée, vive le « savoir utile » (Michel Desmurget et Pierre Baraduc). L’argent se concentre sur un petit nombre de thématiques ciblées et médiatiques, la recherche est vue comme « un sport de haut niveau » si bien qu’aujourd’hui « Lobatchevski ou Eistein aurait du mal à convaincre un bailleur de fonds ».
Jean-Pierre Lemaire se prononce contre l’écologie de marché : « Les récentes polémiques sur la taxe carbone ont mis en lumière les difficultés rencontrées pour introduire des mesures écologiques dans des structures dominées par l’activité marchande. Depuis l’effondrement du " communisme réellement existant " , droite et gauche communique allégrement dans la nouvelle religion de " l "économie sociale et écologique de marché " (déclaration de principe du PS. »
Pour Jean-Luc Pujo, la gauche est " au défi de relever la nation " . « Par un mécanisme complexe, fait de glissements subtils, s’est imposée peu à peu - de combats antiracistes en combats pro-communautaristes - une logique destructrice de la première des communautés politiques : la nation. » Fabius ayant instauré les stock-options, Bérégovoy la libre circulation des capitaux, Strauss-Kahn les subprimes, « tout a été fait pour que l’Europe soit ce continent impuissant qui s’agenouille devant les forces de l’Empire du marché. »
Jean-Claude Paye ne croit pas à la lutte contre la fraude fiscale. « Comment pourrait-on à la fois épargner fiscalement les plus riches et faire régner la justice sociale ? »
En convoquant Rimbaud et Saint-Just, Frédéric Thomas demande ce qu’est « faire la révolution ».
Michel Dreyfus s’interroge sur le paradoxe de l’antisémitisme à gauche. Il estime que la « culture antifasciste a constitué dans la majorité de la gauche un barrage solide à tout antisémitisme. »
Bruno Viard relit avec pertinence Michel Houellebecq, « un antilibéral absolu », son « oeuvre complexe, pleine d’ironie et de pièges, avec deux voix bien distinctes dans ses romans, celle d’un pornographe cynique pour qui il n’y a que le sexe qui compte, et celle d’un moraliste austère qui ne jure que par l’amour maternel et le sentiment de la famille. […] Houellebecq ne voit que la face grimaçante de la liberté, la concurrence, et pour les vaincus, l’abandon et la solitude. »