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Marx torturé ? Et enfin retrouvé ?

Michel Peyret

9 juillet 2009

MARX TORTURE ? ET ENFIN RETROUVE ?

Il faut s’attendre à ouïr des mugissements dans les campagnes françaises car, là , il ne peut être question de rugissements, les lions n’existent que dans les cirques !

L’objet probable de ces manifestations sonores ! Un «  hors-série » de 122 pages du journal LE POINT consacré à Marx !

Avec ces sous-titres :

- Ce qu’il a vraiment écrit,
- Comment sa pensée a été détournée,
- Son histoire,
- Son héritage.

Et avec M. Aglietta, E. Balibar, J. Bidet, F. Fischbach, M. Godelier, A. Tosel...

Le comble sera certainement un texte de Jean Vioulac qui titre : «  L’imposture soviétique » et se propose d’établir que «  les révolutionnaires russes de 1917 ont torturé les concepts de Marx pour justifier une dictature bureaucratique et sanguinaire très éloignée des oeuvres du théoricien de la disparition de l’Etat. »

Je dis immédiatement le plaisir, l’intérêt, la satisfaction intellectuelle qui ont été les miens à la lecture de ces quelque 120 pages, et sans trop m’attarder sur quelques phrases qui forcent quelque peu le trait, tant l’ensemble a pour l’essentiel établi et confirmé l’opinion que je m’étais forgée à la lecture, ou relecture, de Marx ces dernières années, en essayant de trouver sous la gangue des idées reçues la pensée originale et précieuse de l’auteur, avec Engels, du Manifeste du parti communiste !

RETROUVER LA PENSEE ORIGINALE

J’avais ainsi fait le constat, qui m’interrogeait, de ce que des pans entiers, des thèmes capitaux de ces penseurs, semblaient avoir été ignorés, non seulement des dirigeants soviétiques de diverses époques, mais également par ceux des partis communistes de la 111eme Internationale poursuivie sous différentes formes après la deuxième guerre mondiale !

Et j’étais ainsi parvenu à l’idée, partagée avec d’autres, que le communisme qui là se réclamait de Marx ne pouvait avoir échoué puisque ce n’était pas lui qui avait été expérimenté ni en URSS ni ailleurs !

La conséquence de ce constat n’était pas moins importante : si le communisme d’un de ses principaux fondateurs n’avait pas été entaché par les caractéristiques du «  bilan globalement positif », il pouvait être de nouveau la perspective neuve et accueillante pour le genre humain, et ceux qui disaient vouloir y renoncer avaient de fortes probabilités de s’inscrire en réalité dans la gestion «  à perpétuité » du capitalisme !

LA FIN DU PURGATOIRE

L’approfondissement de la crise du capitalisme «  aidant », capitalisme qu’il faut bien finir par appeler par son nom, et parvenir à considérer non sans résistances que la «  crise » qui l’affecte est bien celle de ce système, Marx sort du purgatoire où l’avait entraîné l’échec du prétendu communisme.

Le «  hors-série » du Point en est même une des preuves, a fortiori quand c’est lui-même qui met les points sur les «  i » !

Ainsi, Catherine Golliau s’interroge-t-elle : «  A quel Marx s’intéresse-t-on aujourd’hui ? »

Après avoir noté qu’il a une vision globale du monde, à la fois politique, économique et sociale, que dans son analyse du capitalisme il s’est montré à la fois historien, sociologue, philosophe et critique, elle considère aussi qu’il s’est beaucoup trompé :

«  Tout n’est pas juste chez Marx, de même que tout n’est pas à garder chez Platon ou chez Aristote...

«  Une certitude : l’auteur du Capital sort renforcé de son purgatoire. Mieux : nettoyé ! Tel un temple dégagé de sa gangue de lianes, sa pensée apparaît à vif, débarrassée des «  embellissements » ajoutés par ceux qui s’étaient réclamés de son nom...

«  Aujourd’hui, un vrai retour aux textes de Marx est possible, grâce au formidable travail d’édition et de réédition en cours, notamment en France.

«  Distinguer entre pensée marxienne, celle de Marx, et pensée marxiste, celle qui l’a interprétée, c’est dorénavant possible.

«  Et quel Marx apparaît alors ?

«  Un théoricien qui défend le prolétariat mais admire le capitalisme et reconnaît le rôle historique de la bourgeoisie, un activiste politique confiant dans la démocratie parlementaire. Un Marx inédit. Le vrai ? »

L’interrogation me semble justifiée !

QUE SAIT-ON VRAIMENT DE MARX ?

C’est la question que soulève pour sa part Laurence Moreau qui considère que Marx était capable d’être aussi grand que petit :
«  Marx est là , débraillé, excessif, curieux, méchant, touchant, insupportable et fascinant. »

Pourtant ce qui semble la préoccuper davantage, c’est de savoir si oui ou non on peut le comparer à Charles Darwin, le père de la théorie de l’évolution.
Elle lui donne la parole :

«  Je suis surpris de voir Darwin redécouvrir chez les bêtes et les plantes les caractères de la société anglaise avec sa division du travail, sa concurrence, l’ouverture des marchés, l’innovation et la «  lutte pour la vie », écrit-il à Engels en 1861, deux ans après la sortie de «  L’origine des espèces ».

Darwin et lui, même combat ?, interroge Laurence Moreau qui restitue cet échange de correspondance :

«  Quand sort la deuxième édition du premier livre du Capital, en 1873, Marx en envoie à Darwin un exemplaire avec la dédicace : «  Sincère admirateur. » Quelques mois plus tard, il reçoit la réponse suivante : «  Cher Monsieur, je vous remercie de l’honneur que vous m’avez fait...et je souhaite ardemment avoir été plus digne de le recevoir en comprenant davantage le sujet, profond et important de l’économie politique... »

Simple mot de politesse : on retrouve chez Darwin l’exemplaire du Capital dont seules quelques pages ont été coupées...!

«  Le jour de l’enterrement de Marx, poursuit et conclut Laurence Moreau, Engels n’en associe pas moins son ami au génie évolutionniste : «  Tout comme Darwin découvrit la loi de l’évolution de la nature, Marx découvrit la loi de l’évolution dans l’histoire humaine. »
«  Ainsi commença le «  grand récit » de Marx ».

LA PENSEE INCORPOREE DANS LE REEL

Que Marx doive quelque chose à Hegel, comme à d’autres penseurs d’ailleurs, est une évidence.

A la question : «  Quelle serait selon vous la grande leçon philosophique que Marx a retenue de Hegel ? », le philosophe Jean-François Kervégan répond :
«  Le fait que dans l’organisation de la société des hommes il y a de la pensée qui s’exprime, et que cette pensée n’est pas le fait d’un individu, fut-il un grand philosophe, mais une réalité objective, incorporée dans le réel. A sa manière, malgré son génie propre et les critiques qu’il lui adresse, Marx est resté fidèle à cette idée de Hegel. Je serais même tenté de dire qu’il est le seul véritable «  jeune-hégélien ».

LE MODE DE PRODUCTION

Pour Jacques Bidet, ce réel de la société, c’est avant tout celui du mode de production que Marx appréhende.

«  Ne pas y voir un grossier matérialisme », précise-t-il.

«  Il entend par là que pour analyser une société, il ne faut justement pas partir de la technique, mais de la relation entre technique et social.

«  Les forces productives ( les technologies, les compétences...) propres à une époque historique sont en effet inséparables de «  rapports sociaux de production » bien définis, c’est-à -dire des formes toujours particulières d’appropriation ou de contrôle des moyens de production, de direction, d’organisation du travail et de répartition du produit.

«  C’est ce couple qui forme la «  base économique ».

«  Et celle-ci est toujours liée à une «  superstructure » politique, juridique et idéologique qui correspond aux rapports sociaux de production, qui les encadre et les justifie : soit les institutions de l’Etat et de la culture.

«  La société tend toujours ainsi à se diviser en deux classes sociales, car ceux qui possèdent ou contrôlent les moyens de production et d’échanges sont en mesure de s’assurer une prééminence sociale et politique par rapport à ceux qui ne disposent que de leur «  force de travail ».

«  C’est là le fondement d’une «  lutte des classes » qui durera tant qu’il y aura des classes.
«  Mais il survient périodiquement des mutations technologiques.

«  Elles tendent naturellement à bouleverser les rapports sociaux de production établis.

«  Et donc aussi à révolutionner l’édifice social dans son ensemble.

«  C’est «  l’ère des révolutions » qui annoncent le passage à un autre mode de production.

BRISER LE MECANISME D’ETAT

Pour Marx lui-même, dans «  Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte », le pouvoir exécutif, «  avec son immense organisation bureaucratique et militaire, avec son mécanisme étatique complexe et artificiel, son armée de fonctionnaires d’un demi-million d’hommes et son autre armée de cinq cent mille soldats, effroyable corps parasite, qui recouvre comme une membrane le corps de la société française et en bouche tous les pores, se constitua à l’époque de la monarchie absolue, au déclin de la féodalité, qu’il aida à renverser...

«  La première Révolution française, qui se donna pour tâche de briser tous les pouvoirs indépendants, locaux, territoriaux, municipaux et provinciaux, pour créer l’unité civique de la nation, devait nécessairement développer l’oeuvre commencée par la monarchie absolue : la centralisation, mais, en même temps aussi, l’étendue, les attributs et l’appareil du pouvoir gouvernemental.

«  Napoléon acheva de perfectionner ce mécanisme d’Etat...

«  La République parlementaire, enfin, se vit contrainte, dans sa lutte contre la Révolution, de renforcer par ses mesures de répression les moyens d’action et la centralisation du pouvoir gouvernemental.

«  Toutes les révolutions politiques n’ont fait que perfectionner cette machine, au lieu de la briser. »

LA REVOLUTION REPOUSSANTE

C’est que, pour Marx, toutes les révolutions n’ont pas le même objectif.

Il y a celles qui, avec celle de 1789, visent à consolider, à affermir le pouvoir de la bourgeoisie.

Et, «  parce que la révolution de juin 1848 a, la première, menacé l’ordre bourgeois, elle a été écrasée dans le sang.

«  La république tricolore n’arbore plus qu’une seule couleur, la couleur des vaincus, la couleur du sang, elle est devenue la république rouge...

«  La révolution de février fut la belle révolution, la révolution de la sympathie générale, parce que les contradictions (entre la bourgeoisie et le peuple ) qui éclatèrent en elle contre la royauté, n’étaient pas encore développées et demeuraient en sommeil, unies, côte à côte, parce que la lutte sociale qui formait l’arrière-plan de cette révolution, n’avait atteint qu’une existence inconsistante, une existence purement verbale.

«  La révolution de juin est laide ; c’est la révolution repoussante, parce que la réalité a pris la place des mots, parce que la République a démasqué la tête même du monstre en lui arrachant la couronne qui la protégeait et la cachait...

«  Aucune des nombreuses révolutions de la bourgeoisie française depuis 1789 n’était un attentat contre l’Ordre, car toutes laissaient subsister la domination de classe, l’esclavage des ouvriers, l’ordre bourgeois, malgré le changement fréquent de la forme politique de cette domination et de cet esclavage.

«  Juin a touché à cet ordre.
«  Malheur à juin !

LA DICTATURE DU PROLETARIAT

La Critique du programme de Gotha, où Marx «  règle quelques comptes » avec la social-démocratie allemande, est également l’un des rares textes où il aborde cette notion de «  dictature du prolétariat »

Encore fait-elle débat sur ce que Marx entend réellement par là  !

Pour Sonia Dayan-Herzbrun, enseignante à Paris VII, la réponse de Marx a souvent été mal interprétée :

«  Marx considère que la voie démocratique peut dans certains cas conduire à la société sans classes et que la révolution, en son sens littéral de transformation radicale, peut s’opérer sans violence.

«  Mais pour cela, il faut que le parti ouvrier s’attaque aux fondements mêmes de la société bourgeoise et donc à l’Etat, pour instaurer la «  dictature du prolétariat ».

«  L’Etat est ainsi voué à disparaître, l’administration des choses remplaçant le gouvernement des hommes, selon la formule de Engels.

«  A Gotha, toutefois, le conflit se concentre autour de l’Etat ouvrier, qui sera appelé plus tard Etat social : un Etat issu du vote des travailleurs et qui agit en leur faveur sans que ceux-ci exercent directement leur pouvoir.

«  Conception que refuse évidemment Marx ».

Pour Isabelle Garo qui s’exprime également dans ce «  hors-série », Marx est cet auteur dont on parle sans jamais l’avoir lu :

«  Beaucoup de textes de circonstance, des interventions politiques notamment, ont été arrachées au contexte historique qui leur donne sens.

«  La tradition «  marxiste-léniniste » a projeté ses propres choix théoriques.

«  Mais c’est aussi le cas de la plupart des lectures libérales ou totalitaires. »

S’agissant de La Critique du programme de Gotha, «  c’est l’un des rares textes de Marx où l’on voit apparaître la notion de «  dictature du prolétariat ». L’expression a donné lieu à beaucoup de sur-interprétations, favorables ou hostiles, toutes très éloignées du sens que lui donna Marx, qui l’opposait à la «  dictature bourgeoise » et l’empruntait à l’histoire romaine. «  La dictature à Rome en effet était ce moment d’exception qui n’avait rien d’arbitraire : un homme seul s’y voyait conférer un pouvoir exceptionnel afin d’assurer la survie de la République.

«  La fortune et les infortunes de l’expression ont occulté la vraie question qui est celle de l’Etat. »

CONTRE LES DOGMATISMES

Ces quelques thèmes qui, d’ailleurs, visent davantage à ouvrir le débat qu’à le conclure, mettent en évidence la richesse, qui est loin d’être épuisée, du contenu de ce «  Hors-série » du Point qui semble s’inscrire dans une multitude de nouvelles publications ou articles qui témoignent tous de la vivacité de la pensée de Marx et de son actualité.

Je pense d’ailleurs que nous aurons l’occasion d’y revenir, tant la situation, les évènements que nous vivons me semblent avoir besoin d’une irrigation nouvelle permettant de saisir toutes les opportunités en les relaçant dans la dialectique et le mouvement de l’histoire ennemis de tous les dogmatismes et de toutes les scléroses de pensée.

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