Sur l’échiquier international, tous les coups sont permis mais les coups bas se paient toujours. Réveillant les vieux antagonismes au gré des événements. Aujourd’hui plus que jamais, la Russie bouscule la suprématie américaine, au moment où les Etats-Unis changent de président (1). Faut-il s’attendre à un regain de tension ou à un réchauffement entre les deux ? On se souvient que lorsque Gorbatchev signa le 8 décembre 1987 un accord avec Reagan sur la destruction des missiles à courte et moyenne portée - qualifié de moment historique - le réchauffement diplomatique en marche, le temps de l’ouverture sur l’Europe était venu. En réalité, l’URSS était contrainte de limiter son influence, ses points stratégiques dans le monde car conserver son empire et poursuivre sa course à l’armement lui devenaient coûteux. Elle décide de rappeler ses troupes d’Afghanistan et se met à dos le lobby militaro-industriel soviétique. Son ingérence en Allemagne de l’Est et la chute du mur de Berlin précipitent en 1991 son effondrement. Aujourd’hui, elle a su retrouver de sa puissance économique et entend retrouver sa place. Et la nouvelle administration américaine ne risque pas de bouleverser cette volonté de reconquête. Car depuis l’arrivée de Poutine au pouvoir en 1999 et le nouveau tandem qu’il forme avec Medvedev depuis 2008, la Russie entend regagner sa sphère d’influence dans les Balkans et le Caucase. Et accessoirement dans le reste du monde.
Un prestige retrouvé ?
La Russie est officiellement l’un des cinq pays à posséder l’arme nucléaire, arme de dissuasion en même temps que symbole de prestige (2). Forte de plusieurs milliers de têtes nucléaires (3), elle a les moyens de dissuader ses rivaux et d’asseoir sa puissance aux côtés des Etats-Unis. Même la chute de l’URSS et les difficultés financières n’ont pas eu raison d’une armée russe capable de rivaliser avec les plus grandes de ce monde. La Russie dégage depuis dix ans des excédents colossaux (4) : « en juin 2008, l’excédent de la balance commerciale russe a atteint 18,862 milliards de dollars contre 8,271 milliards au cours de la même période de 2007 », indiqua un rapport de la Banque centrale de Russie (5). Premier pays exportateur d’armes du monde, elle vend des contrats à des poids régionaux tels que l’Inde, la Chine, le Venezuela, l’Iran ou encore l’Algérie. Premier producteur et exportateur de gaz naturel, deuxième producteur et exportateur de pétrole, elle use de sa puissance énergétique pour bousculer, entre autres, les alliances américano-géorgiennes et ukraino-européennes. Elle vend le quart de son « or bleu » aux Européens peut, comme nous l’avons constaté récemment, fermer les vannes du gaz à l’Ukraine, donc à l’Europe (6). Elle fait l’actualité et ne se prive plus d’user de cette influence pour intervenir dans des conflits externes. L’exemple le plus récent étant l’appel en direction de la Syrie et de l’Iran à faire pression sur le Hamas pour qu’il accepte le plan égyptien visant à mettre fin aux combats dans la bande de Gaza (7).
La stratégie russe : les ventes d’armes
Le 19 janvier dernier, le chef d’Etat russe Dimitri Medvedev publie un décret interdisant la vente d’armes à la Géorgie. Medvedev, précisant que cette décision avait été prise pour préserver les intérêts nationaux. Par là même, les pays ayant fourni des armes à la Géorgie pendant le conflit de l’été 2008 en Ossétie du sud se voient informés des conséquences d’un tel soutien. Parmi ces pays, l’Ukraine, la Pologne, les Etats-Unis et Israël sont dans la ligne de mire de Moscou. Il est des alliances que Moscou veut en revanche sceller : en 2007, le rapprochement affiché d’avec la Syrie de Bashar al-Assad traduit une volonté d’accroître l’influence russe au Moyen-Orient. Selon certains médias russes, la Russie disposera d’ici quelques années de postes de stationnement naval au Yémen, en Syrie et en Libye (8). Sur les plans énergétique, économique - même si la crise financière a mis quelque peu à mal l’économie russe - et militaire, la Russie a « sur le papier » (9) les moyens de garder à distance ses détracteurs et entend s’en servir pour préserver ses intérêts nationaux. Et d’occuper de nouveau le devant de la scène internationale, même si les Etats-Unis et ses alliés (10) ne le voient pas d’un très bon oeil. Et pour cause, l’écart entre les deux poids historiques que sont la Russie et les Etats-Unis se comble et l’on assiste à un rééquilibre progressif des forces. Depuis 2006, les questions de l’élargissement de l’OTAN et du désarmement (bouclier anti-missile américain) cristallisent l’opposition russo-américaine. A ce stade, ces points de discorde sont très loin d’être réglés (11). A la toute nouvelle administration américaine de recevoir ou non le message de la Russie, à savoir qu’il va falloir compter sur elle pour peser sur les grandes décisions de ce monde. Même s’il lui faut pour cela s’ingérer dans des conflits aux enjeux ô combien stratégiques et en tirer par là même profit : le temps de la Guerre Froide n’est plus si loin. Que Washington continue d’irriter Moscou ou décide d’un réchauffement diplomatique, il lui sera impossible d’ignorer la puissance russe. De facto, la Russie compte au même titre que les Etats-Unis (12). Selon Igor Ivanov, les relations russo-américaines sont entrées dans une période de « restauration de l’égalité » perdue à la suite de la chute de l’URSS (13).
Pourtant, si la Russie peut contrebalancer l’hégémonie américaine sur les grands dossiers internationaux - ce qui pourrait éviter de reproduire l’épisode belliqueux des Etats-Unis en Irak (14) - les républiques du Caucase et des Balkans, jadis sous influence soviétique, ont à juste titre bien des raisons de voir dans ce retour le spectre de l’ancien empire soviétique planer sur eux. Ces états sont régulièrement appelés à se positionner pour ou contre le Kremlin. S’ils lui préfèrent Washington, ils risqueront alors d’en essuyer les conséquences. La Géorgie et l’Ukraine - pour ne citer qu’eux - l’ont certainement appris à leurs dépens (15).
Bakhta OUALI
(1) Barack Hussein Obama est entré officiellement en fonction le mardi 20 janvier dernier en qualité de 44ème président des Etats-Unis. Démocrate, il succède à un G.Bush très conservateur qui a, en deux mandats, exacerbé les tensions entre la Russie et les Etats-Unis, et plus globalement créé un anti-américanisme de par le monde.
(2) Officiellement, les Etats-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne, la France et la Chine disposent de l’arme atomique. Officieusement, l’Inde, le Pakistan, Israël et la Corée du Nord la possèderaient.
(3) http://fr.rian.ru/analysis/20080122/97539901.html
(4) Excédentaire pendant dix ans, le budget sera déficitaire en 2009.
http://fr.rian.ru/russia/20081224/119151108.html
(5) http://fr.rian.ru/business/20080807/115877694.html
(6) Parce que l’Ukraine n’avait pas payé sa dette à temps, la Russie décide le janvier dernier de fermer les vannes à l’Ukraine. Alors que l’approvisionnement vers l’UE est resté normal jusqu’au 5 janvier, l’Ukraine décide de fermer le gazoduc qui permettait la livraison du gaz à toute l’UE.
(7) Par le biais de son Ministre des Affaires Etrangères, la Russie a appelé vendredi 16 janvier les Etats qui ont une influence sur le Hamas à accepter la proposition égyptienne. La Syrie et l’Iran, qui entretiennent des relations privilégiées avec Moscou, ont été sollicités par Moscou dans cet appel.
(8) Selon des responsables militaires cités par l’agence de presse Itar-Tass, la Russie a décidé de créer dans les années à venir des bases navales en Libye, en Syrie et au Yémen. Une information qui n’a pas été confirmée par l’état-major russe mais qui n’a pas été démentie non plus. (Reuters) "Des négociations sont menées avec des gouvernements étrangers et publier des noms risquerait d’avoir des conséquences négatives sur ces discussions", a confié à Tass le major général (n°2) des armées, le général Anatoly Nogovitsyne, qui refuse aussi de donner un calendrier précis.
(9) Yves Bourdillon, La Russie n’a pas les moyens de ses ambitions stratégiques : http://www.lesechos.fr/info/analyses/4769254-la-russie-n-a-pas-les-moyens-de-ses-ambitions-strategiques.htm
(10) Citons Israël mais aussi des pays comme l’Ukraine et la Géorgie qui se sont rapprochés de l’OTAN au détriment de la Russie.
(11) Il s’agit d’un dossier ô combien brûlant que le président américain sortant laisse à Obama. La décision d’installer des boucliers anti missiles dans l’ancienne sphère d’influence soviétique nous rappelle la Guerre Froide. Avec l’arrivée au pouvoir d’un démocrate, la Russie reste sur malgré tout sur le qui-vive.
http://www.walf.sn/international/suite.php?rub=6&id_art=52374
(12) Le Conseil de sécurité, organe exécutif des Nations Unies, compte 5 membres permanents, détenteurs d’un droit de veto leur permettant de bloquer toute prise de décision : la Chine, la France, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et enfin la Russie. 10 membres non permanents viennent s’y ajouter.
(13) Propos rapportés par le Kommersant et repris dans Novosta ;
http://fr.rian.ru/world/20081212/118819224.html
(14) Sans l’aval du Conseil de Sécurité de l’Onu, les Etats-Unis dirigés alors par G.W. Bush décident d’envahir l’Irak en 2003 et de faire tomber Saddam Hussein.
(15) "On dirait que (...) les Ukrainiens dansent sur une musique composée non à Kiev mais en dehors du pays", a déclaré Alexandre Medvdev, le directeur-adjoint de Gazprom, en référence à l’accord de partenariat stratégique signé par Kiev et Washington le 19 décembre dernier.
http://www.radiobfm.com/edito/info/18637/la-crise-du-gaz-serait-liee-dabord-a-des-motifs-economiques/