La Russie a agressé la Georgie. C’est ce que dit le président Saakashvili, ainsi que les nouvelles qui nous arrivent. Mais Giulietto Chiesa, qui connaît très bien la Russie, son histoire, celle d’un empire qui s’appelait Urss, nie résolument. Il était en Ossétie cette année, où il a de nombreux amis, et suit tous les jours les journaux télévisés russes.
Sommes-nous devant l’énième bourrasque médiatique ? Quelque chose qui rappelle les tristes armes de destruction de masse « découvertes » en Irak ?
« Cette information est fausse, on ne doit pas y croire. Les Russes n’ont rien occupé du tout, ils se sont postés sur la ligne de l’accord de 1992 de Dagomys et ils n’ont aucune intention de sortir de ces positions là .
Que se passe-t-il alors ?
Comme les Georgiens continuent à bombarder les centres d’Ossétie du Sud, les Russes évidemment doivent empêcher ces bombardements et ils iront survoler les points de concentration des troupes géorgiennes en dehors de la frontière d’Ossétie du Sud. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt. Il s’agit ici d’une guerre déclarée contre une population de moins de 100 mille habitants, attaqués de sang froid. Fait absolument inexplicable si ce n’est par une opération politique de provocation.
Provocation dans quel objectif ? Et pourquoi maintenant ?
Le président Saakashvili a déclaré : « Nous intervenons pour rétablir l’ordre constitutionnel ». Cette phrase est une confession, parce que l’ordre constitutionnel que le président voudrait rétablir en Géorgie n’existe pas depuis 1991, depuis que l"Ossétie du Sud s’est déclarée indépendante au moment même de la déclaration d’indépendance de la Géorgie vis-à -vis de l’Union soviétique. Quel ordre constitutionnel veut-il reconstruire ? N’importe qui comprend que cette histoire ne tient pas debout. Il y a eu des massacres de milliers de civils, 70 mille personnes sont en fuite sur une population de 100 mille. Que devait faire la Russie, retirer ses troupes ? La Russie est là sur la base d’un accord politique signé aussi par la Géorgie, ce qi explique qu’il y avait des forces d’interposition. Se retirer alors qu’une grande partie de ces 100 mille individus, tous citoyens russes (parce que pendant cette période ils ont demandé et obtenu la citoyenneté russe), ne veulent pas rester sous la juridiction géorgienne… Mais passons. Il s’agit d’une opération politique entièrement construite par les Etats-Unis.
Pourquoi justement maintenant ?
Pour créer un état de guerre en Europe. C’est l’unique réponse politique à cette situation. Le contexte est très simple : la Géorgie veut entrer dans l’Otan demain et dans l’Union Européenne après-demain. Comme elle considère qu’elle a cette chance à portée de main, elle force les événements. Je crois que le calcul a été une erreur, peut-être pourra-t-elle entrer dans l’Otan, mais il est certain qu’en Europe… faire rentrer un pays qui est en conflit avec la Russie…
La Russie n’a pas accepté la proposition de trêve européenne.
La Russie s’arrêtera quand les Géorgiens quitteront le territoire qu’ils ont occupé. Medvedev l’a répété aujourd’hui (11 août, NDT) : nous porterons l’opération jusqu’à sa conclusion logique. La thèse selon laquelle la Géorgie est occupée par la Russie est un mensonge éhonté. Il n’y a pas eu une seule attaque, une seule bombe sur des villes géorgiennes.
Pourtant on voit arriver des images de guerre…
Les images qui arrivent viennent de Tskhinvali et de la zone d’Ossétie du Sud. Regardez la carte, même si elle est un peu compliquée.
Reste le fait que cette guerre nous a pris à l’improviste, à part quelques observateurs attentifs de la politique de l’ex-empire...
Oui, disons que nous sommes tous un peu distraits. Je savais que la guerre allait commencer, j’ai même écrit un long article sur La Stampa. Il n’y a pas l’ombre d’un doute : il y a eu une erreur d’évaluation de la part de la Géorgie et des Etats-Unis. Ils ont attaqué en pensant que Poutine et Medvedev auraient laissé faire comme ça a été le cas de nombreuses fois pendant cette décennie. Mais la Russie n’est plus celle d’il y a dix ans, ni celle de 1999. La Russie est un grand et puissant pays, qui a en main toutes les ressources cruciales pour son avenir. Qui n’a plus de dettes extérieures ; c’est un pays qui a reconquis le sens de sa dignité nationale. Après on peut discuter sur le fait qu’il y ait ou pas de démocratie… mais ça n’a rien à voir ici. Selon moi Saakashvilli a commis une terrible erreur politique. Maintenant la Russie ne bougera plus de là où ils sont, ils resteront sur la frontière établie par les accords de Dagomys, ils protègeront l’Ossétie du Sud ; Poutine a déjà déclaré qu’il dépensera 10 milliards d’euros pour reconstruire Tshinvali, et il le fera.
Revenons à l’Europe. Que faire, comment trouver une issue ?
L’Europe doit tout simplement décider si elle est du côté des américains ou si elle veut éviter une nouvelle guerre froide avec la Russie. Je m’explique : avoir en son sein des pays comme l’Ukraine et la Géorgie, fondamentalement multiplicateurs, avec lesquels les Usa introduisent avec force en Europe leurs vassaux comme avec la Pologne, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovénie, tous pays qui travaillent en Europe contre l’Europe en faveur des Usa, cela veut dire créer une situation de guerre avec la Russie. L’Europe doit décider si elle veut changer de politique. A partir de là la Russie ne se retirera plus d’aucun des fronts de tension qu’on a créés autour d’elle : ni de l’Ukraine, -et si on essaie d’amener l’Ukraine dans l’Otan elle brisera l’Ukraine- ni d’Ossétie, et si on essaie de prendre l’Ossétie par la force la Russie interviendra pour la défendre. La diplomatie ne peut faire qu’une chose, réaliste : dire aux Géorgiens de revenir sur leurs positions précédentes.
N’y a-t-il pas aussi des raisons économiques importantes. Par exemple le pétrole ?
Non. J’ai lu des idioties retentissantes là -dessus, comme par exemple que les Russes n’ont pas bombardé le pipe-line. Bien sûr ! le pipe-line est complètement en dehors de cette zone d’intérêt et c’est la preuve manifeste qu’ils sont en train de rester dans les limites du retour à la ligne précédente. S’ils avaient voulu bombarder, ils auraient bombardé Tbilissi. Il n’y a pas la moindre preuve d’une intervention militaire russe en dehors des frontières d’Ossétie du Sud.
Les médias semblent s’être radicalement rangés du côté de la Géorgie. Ou non ?
Je trouve que le comportement des médias internationaux est une honte, à l’échelle mondiale. Ce comportement devrait même être le signal d’alarme qui nous montre comment nous pouvons tous être entraînés dans la guerre par une falsification générale des choses.
Giulietto Chiesa, député au parlement européen, journaliste et ancien correspondant de l’Unità à Moscou.
Edition de mardi 12 août 2008 de Liberazione (pas de lien trouvé en ligne),
Voir aussi sur le site de Giulietto Chiesa, le 13 août 2008
http://www.giuliettochiesa.it/modules.php?name=News&file=article&sid=327
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio