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Projet de loi sur l’immigration : une dangereuse rupture démocratique

Communiqué de la CIMADE

Avec le projet de loi sur l’immigration qu’il entend faire adopter par le
parlement, M. Nicolas SARKOZY vient d’illustrer une nouvelle fois l’écart
qu’il peut y avoir entre une stratégie de communication et la réalité des
faits. Il y a tout d’abord un discours, celui d’un projet en apparence
réaliste et mesuré, rejetant tout autant le dogme de « l’immigration zéro »
que celui de « l’ouverture des frontières ». Et puis, derrière les effets de
style, il y a les propositions concrètes, qui nécessitent, nous semble-t-il,
un large débat public sur leurs conséquences inévitables. Ce projet de loi
dessine en effet une vision dangereuse et étriquée de l’immigration et de
l’intégration ; il créera encore plus de drames humains, d’intolérance et
d’exclusion.

Le vieux refrain de l’étranger fraudeur

A la lecture du projet de loi de Mr SARKOZY, il est tout d’abord frappant de
constater qu’une nouvelle fois, les dispositions les plus restrictives de ce
projet de loi sont justifiées par des « fraudes » et « détournements » dont
ferait l’objet la législation actuelle sur les étrangers. Cette
justification récurrente est d’autant plus étonnante qu’aucun chiffre n’est
jamais fourni pour venir appuyer l’exposé des motifs de la loi et qu’aucun
bilan public des dispositifs existants ne semble avoir été fait. Si la
ficelle n’est pas nouvelle, elle semble un peu grosse.
Car même si cette fraude s’avérait à ce point importante et qu’elle
justifiait une réforme de cette ampleur, elle nécessiterait un peu plus que
des déclarations péremptoires. Ne semble t’il pas surprenant qu’une
législation modifiée 38 fois depuis 1945 reste toujours aussi inefficace ?
Dans toute autre matière, on s’interrogerait sur les postulats fondamentaux
de ces lois, on en reposerait le sens. Par quelle obstination et aveuglement
continue t’on, en matière d’étrangers, à ajouter, ministre après ministre,
des strates de réglementation, toujours plus nombreuses et obscures ?

Cependant, ce projet ne se contente pas de donner un nouveau tour de vis
sécuritaire contre l’immigration irrégulière, il met en oeuvre des modes de
gestion de l’immigration jusqu’alors étrangers à la tradition républicaine.

Des statuts de plus en plus précaires

Il généralise la précarisation du statut des étrangers. La carte de
séjour d’une année renouvelable devient la norme, même pour les étrangers
qui par
leur situation personnelle ou familiale disposent d’attaches fortes en
France et ont vocation à s’installer durablement sur le territoire.
En reculant de 3 à 5 ans le délai d’obtention de la carte de résident, en
rendant impossible sa délivrance pour les membres de famille venus en France
par le regroupement familial, en durcissant les conditions d’obtention de
cette carte pour les étrangers disposant d’attaches familiales, ce projet de
loi signifie le renoncement à cet outil symbole de l’intégration des
étrangers présents de longue date ou ayant vocation à y demeurer.
Pire, subordonner la délivrance de la carte de résident à la preuve de
l’intégration constitue même une inversion de sens : la carte de résident
votée en 1984 à l’unanimité de la représentation nationale comme un outil
privilégié d’intégration devient une récompense à l’intégration. Par
ailleurs, en alignant les conditions d’obtention de la carte de résident sur
celles de la naturalisation, on organise dans les faits la disparition de la
carte de 10 ans. Pour la majeure partie des étrangers la seule alternative à 
un statut précaire sera l’assimilation, c’est à dire la coupure totale et
définitive avec son pays d’origine, sa langue, sa culture et sa nationalité.

Le retour à l’autorisation administrative

Pour des milliers de personnes, françaises et étrangères, le retour de
l’autorisation administrative de mariage entre français et étrangers, le
durcissement du regroupement familial et des conditions de régularisation
des parents d’enfants français, présentés comme des moyens d’empêcher des
supposées fraudes, vont fragiliser fortement les familles et créer des
situations dramatiques.
A tout moment maintenant il faudra prouver la réalité de son amour à 
l’administration préfectorale, sous peine de se voir retirer sa carte de
séjour.
Qui peut croire qu’en précarisant le statut des conjoints, parents, membres
de famille, on va faciliter leur intégration ? Bien au contraire, ce projet
de loi va peser en premier lieu sur les plus fragiles, en premier ressort
les femmes immigrées. Ni intégratrice, ni émancipatrice, cette réforme
renforcera au contraire les « dérives communautaires » qui pèsent
majoritairement sur les femmes et les enfants.

Etrange aveuglement

Au moment où l’on reparle timidement de réouverture de l’immigration
économique, l’intention du Ministre de l’Intérieur en durcissant les
conditions du regroupement familial évoque singulièrement les leçons mal
digérées de la politique menée en la matière dans les années 70-80.
L’immigration de main d’oeuvre organisée à cette époque avait entraîné
l’ouverture du regroupement familial, lorsque ces immigrés avaient fait
valoir, quelques années après, leur droit légitime à s’installer en France
et à être rejoints par leur famille.
Dans un contexte de réouverture inévitable de l’immigration économique, pour
quelle raison le scénario serait-il différent ? Malgré le « signal fort »
lancé par cette refonte du regroupement familial, Mr SARKOZY risque de
sérieuses désillusions, et laisse un cadeau empoisonné à ses successeurs.
Cet aveuglement sur les drames humains que va généraliser cette réforme est
surprenant, au moment où le ministre semble découvrir à travers la question
de la double peine la complexité du processus d’intégration et de
citoyenneté.
En remettant radicalement en question l’accès au séjour des demandeurs
d’asile, des conjoints de français ou des parents d’enfants français, le
projet de loi restreint l’immigration imposée aux Etats par les droits
fondamentaux garantis par les conventions internationales et la transforme
en une « tolérance ».

L’ombre des camps d’internement

Avec la précarisation des statuts et la marginalisation de la carte de
résident, ce projet de loi prévoit en corollaire la mise en place d’un
dispositif d’éloignement toujours plus renforcé. Le passage de la rétention
administrative de 12 à 32 jours et la remise à plat de sa procédure, motivés
par des arguments peu convaincants d’efficacité et d’harmonisation
européenne, vont transformer la nature même de cette privation de liberté,
et entraîneront à terme la création en France de camps d’internements
administratifs.
La généralisation de la prise des empreintes digitales pour toutes les
personnes étrangères venant en France matérialise quant à elle un fantasme
sécuritaire d’essence orwellienne.
Dans cette course délirante au tout-répressif, on laisse sur le bord du
chemin les droits de l’homme et on porte des atteintes graves aux libertés
individuelles.

Des pouvoirs excessifs pour les maires

Enfin, l’élargissement massif du pouvoir des maires, pour le contrôle du
séjour des candidats au mariage, pour les attestations d’accueil, pour la
commission du titre de séjour, est sans doute la réforme la plus néfaste et
porteuse d’exclusion de ce projet de loi. Sous couvert d’associer un peu
plus les élus à la gestion de l’immigration, elle va, dans un contexte
sécuritaire, donner une prime à la xénophobie et attiser les discours
d’intolérance. Face aux inégalités qui ne manqueront pas de se renforcer, le
gouvernement devra t’il bientôt déterminer, comme en matière de logement
social, un taux d’étranger, un « seuil de tolérance » dans chaque commune ?

Une complexité exponentielle

Une nouvelle fois, et en y invitant maintenant les maires, la législation
sur les étrangers laisse une place importante au pouvoir discrétionnaire, au
cas par cas. En complexifiant encore un peu plus cette législation, déjà 
incompréhensible pour la plupart des juristes, en y ajoutant des nouvelles
notions floues (« intégration », hébergement « normal »), nécessitant à 
nouveau des décrets et circulaires d’interprétation complémentaires, que
fait-on si ce n’est favoriser les passes-droits et alourdir le travail des
tribunaux ? Ne s’agit-il pas finalement de donner une prime aux plus
obstinés, aux plus armés, économiquement et intellectuellement, aux plus
riches des candidats à l’installation ? Est-ce ainsi que ce gouvernement
souhaite créer « enfin les conditions juridiques permettant d’encourager
l’intégration des nouveaux arrivants dans la société française » ?

Pour une autre vision de l’immigration

Encore une fois, un ministre de l’Intérieur n’aura pas résisté à la
tentation d’ajouter une nouvelle strate juridique à la législation sur les
étrangers. Encore une fois, l’obsession quasi-fantasmatique de la « fraude »
cache mal une volonté de casser les derniers droits concédés aux étrangers,
ceux directement issus de notre constitution et des conventions
internationales ratifiées par la France. Encore une fois, ce sont des
milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, Français ou étrangers, vivant
dans ce pays, qui subiront de plein fouet les conséquences de cette
surenchère répressive.
Pour ces raisons, la Cimade exprime son opposition aux projets de réforme
bientôt soumis à l’Assemblée nationale et au Sénat. Une autre vision de
l’immigration, ouverte, généreuse, et véritablement « réaliste » est
maintenant nécessaire. Elle seule provoquera un recul de l’intolérance et de
la peur.

Paris, le 5 mai 2003

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