Plusieurs aspects me paraissent critiquables dans ce texte, même si je partage l’inquiétude de l’auteur. Je les analyse point par point.
"C’est une augmentation qui a de graves conséquences"
C’est vrai, mais il y a longtemps que la famine sévit partout dans le monde. L’augmentation conjoncturelle des prix n’est donc pas un problème de fond. Le vrai problème, c’est le lien structurel qui s’est établi depuis la seconde guerre mondiale entre le marché international des aliments, et l’approvisionnement en aliments des personnes. Auparavant, les gens étaient surtout nettement moins dépendants du marché, donc moins sensibles aux variations des prix.
Venons-en aux facteurs.
"depuis un certain temps, il s’est produit une augmentation de la consommation dans certains pays comme la Chine et l’Inde, accompagnée d’une évolution de la variété des aliments consommés."
A nouveau, cela ne pose problème que si les personnes défavorisées ont recours au marché pour assurer leur alimentation. Le fait que la demande en céréales augmente ne change rien pour celui qui fait pousser son manioc. D’autre part, il est loin d’être prouvé qu’il y ait systématiquement une relation entre augmentation de la demande et hausse des prix. La loi de l’offre et de la demande, ça marche sur le papier, mais dans les faits... ca ne marche que de temps en temps... Surtout quand le prix de gros des matières premières se décide sur des marchés boursiers et internationaux... En fait, il y a bien longtemps que les analystes savent que le cours des matières premières est quasiment erratique. De plus, dernier point, n’oublions pas que, malheureusement, la possibilité, au niveau mondial, d’étendre les cultures agricoles est encore très élevée.
"Un second facteur est l’augmentation des prix du pétrole et donc de ses dérivés comme les fertilisants ou du coût du transport. A cela doivent s’ajouter « les effets du changement climatique », accompagné de longues périodes de sècheresse ou d’inondations qui détruisent les récoltes."
Soyons clairs, ce sont là des problèmes graves, mais qui sont loin d’expliquer la hausse des prix alimentaires. En premier lieu parce que même si le pétrole représente une part assez importante dans le cout de production des aliments, il ne faut ni surestimer la hausse, ni surestimer l’importance de la hausse dans la hausse du cout de production. En terme de cout marginal, elle est probablement assez basse. Quant aux effets du changement climatique, ils ne sont pas encore d’actualité. Bientôt hélas, mais là , on y est pas encore... Il y a peut-être une mauvaise conjoncture climatique, mais ce n’est pas la première fois que ça arrive !
"A ces facteurs déjà connus doit s’ajouter une nouvelle question, celle du détournement de l’utilisation des aliments vers la filière de fabrication de biocarburants."
Je veux bien le croire, mais à condition de disposer de données chiffrées. Sans quoi, on nage dans la spéculation ! Car à l’heure actuelle, la fabrication des biocarburants n’en est encore qu’à ses débuts.
"Les réserves mondiales sont à leur plus bas niveau depuis les trente dernières années, « ce qui confère au marché une haute volatilité »."
En quoi un faible stock confère-t-il une forte volatilité ? Une nouvelle loi de l’économie ? Quant au faible stock des réserves mondiales, il s’agit encore une fois du faible stock des marchandises alimentaires. Mais ce qu’il faudrait prendre en compte, c’est la biomasse globale. A-t-elle diminué ? Oui dans le cas du pillage des océans. De plus, autre question, le faible stock est-il dû à la faiblesse de l’offre, ou à la forte demande ? Question importante, car la faiblesse de l’offre peut-être liée à la décroissance de la superficie des terres cultivées, à la mise en élevage de terres agricoles, etc.
"La Directrice Exécutive Adjointe du PMA a qualifié la situation « d’explosive combinaison de facteurs » et a souligné la préoccupation des experts pour le futur. « Tout le monde est convaincu que les prix ne baisseront pas », a-t-elle affirmé. Elle a même ajouté que ce qui n’est pas encore clair, c’est de savoir s’ils se maintiendront à ce niveau ou s’ils continueront à augmenter."
Je veux bien, mais qui nous a mis dans le pétrin si ce n’est les experts. Ce sont bien là des propos de pompiers pyromanes. Quant à l’inspiration des experts, elle est comprise toute entière dans ce propos un peu douteux. On passe du "tout le monde est convaincu", qui est une opinion, à cette phrase, "savoir s’ils se maintiendront", qui est considéré comme un fait. La doxa est donc transformée en fait par des experts, et on se demande un peu si ça n’est pas leur principale utilité !
"une série de décisions qui ont été prises et que le marché a entérinées ont un impact sur le droit à l’alimentation qui est pourtant un droit reconnu par les Nations Unies et par l’humanité entière".
Deux choses sont limites. 1. Quelles sont ces décisions que le marché a entérinées ? Qui les a prises ? Comment le marché les a entérinées ? On nage dans le flou ! 2. Encore un glissement sémantique. Le Droit reconnu par les Nations Unis devient un Droit reconnu par l’humanité entière... Voilà qui est à mon sens un peu rapide... Et qui prépare la voie à des mesures gouvernementales mondiales, ou je ne sais quoi dans le genre...
"Elle a de plus alerté sur le danger existant de voir se passer « des choses qui puissent avoir un effet vraisemblablement non prévu » et qui « génèrent un déséquilibre qui puisse avoir des implications très complexes sur le plan politique ». Susana Malcorra a donné en exemple les manifestations massives qui ont eu lieu dans certains pays en voie de développement pour protester contre le prix du pain."
C’est une sacrée bourde ! S’il y a une chose de prévisible, c’est qu’une envolée des prix alimentaires provoque mécaniquement des émeutes et des troubles politiques...
J’en conclurais que la déclaration de Susana Malcorra est une déclaration consensuelle, qui ne fait que ressasser des évidences, en leur donnant le crédit des experts.
Néanmoins, de mon point de vue, il y plusieurs choses qui paraissent évidentes, mais elles n’ont rien à voir avec les fameux "facteurs".
1. La population mondiale est de plus en plus dépendante du marché international des aliments. Et dans un grand marché mondialisé, les ressources vont vers une seule source, là où il y a de l’argent. Or, avec l’enrichissement des PVD, certains achètent les ressources alimentaires chères, ça fait donc s’envoler les prix. Mais ce n’est pas la hausse de la demande qui est en cause, c’est l’élévation du niveau de vie de la population qui est dépendante du marché des aliments. Mais de toutes manières, l’inflation, personne ne sait vraiment d’où ça vient. Certaines théories marchent quand tout va bien, mais dès que ça se complique, aucune théorie ne fonctionne !
2. Il est faux d’affirmer que la diversité de l’alimentation s’accroît. Au contraire, on va vers une uniformisation croissante des habitudes alimentaires. Au niveau écologique, cette uniformisation est néfaste pour diverses raisons. En tous les cas, le problème n’est pas tant la hausse du prix des aliments issus de l’agriculture que le pillage des milieux naturels.
3. Les prix des matières premières sont de plus en plus décidés sur des marchés internationaux et globaux. Or, sur de tels marchés, la loi de l’offre et de la demande est tout autant un mythe qu’une réalité. Il suffit que le bruit court que la demande augmente, et tous les traders vont augmenter les prix, et tous s’y mettent. Ce qui induit une forte volatilité.
4. Une partie de la hausse des prix vient très certainement de la libéralisation et de la dérégulation des marchés agricoles, qui tend à supprimer les mécanismes de contrôle des prix. On a observé le même phénomène dans les télécom et les transports aériens.