Pour une liste anticapitaliste à gauche de l’Arc-en ciel [l’Arcobaleno, coalition centre-gauche gouvernementale de Prodi]
Salvatore CANNAVà’ et Franco TURIGLIATTO (Gauche critique [courant issu du Parti de la Refondation Communiste, Rifondazione Comunista de Fausto Bertinotti])
Il manifesto, 7 février 2008
La chute du gouvernement Prodi marque le désastre d’un projet politique sans envergure et mal agencé. En dix-huit mois seulement, le centre-gauche, l’Union mythique qui devait « vraiment » changer l’Italie a enchaîné les échecs, laissant derrière elle de bien encombrants décombres. Un désastre matériel : un réel appauvrissement des travailleurs et travailleuses, une augmentation du travail précaire - par exemple par la défiscalisation des heures supplémentaires-, un enrichissement des entreprises par des aides inédites et massives de l’Etat. Mais également un désastre politique qui a provoqué désillusion, désenchantement, perte de confiance, détachement vis-à -vis de la politique et de l’engagement actif, démoralisation.
Prodi n’est pas tombé seulement sous les coups de Mastella[1]. Prodi tombe aussi parce qu’il est socialement isolé, en rupture avec l’électorat qui, à reculons et au prix de grands sacrifices, avait accepté de contribuer à sa victoire, avant tout pour faire obstacle aux forces de droite et au populisme odieux de Berlusconi. C’est cet élément qui explique la faiblesse et la fragilité du gouvernement et qui l’expose donc aux manoeuvres d’un Mastella.
Ce désastre met en lumière l’échec de la gauche de pouvoir. La ligne favorable à la participation gouvernementale et à l’alliance avec la « bonne bourgeoisie » [2], a fait régresser le droit du travail, elle a favorisé les banques et les entreprises et elle permet aujourd’hui le retour massif des forces de droite. A la défaite politique illustrée par les envois de corps expéditionnaires à l’étranger, l’augmentation des dépenses militaires, la réduction des charges sociales, l’accord welfare [3], la trahison des attentes égalitaires du mouvement Lgbtq [4], le décret sécurité [5] les libéralisations de Bersani [6], la construction de la base de Vicence [7], la promotion de De Gennaro [8], s’ajoute une défaite sociale car la plupart du temps, les échecs ont été exhibés comme de petites victoires, comme un moindre mal. Il suffit de considérer aujourd’hui l’éparpillement de la gauche et la désorientation des travailleurs et travailleuses eux-mêmes pour prendre la mesure des dégâts.
L’échec de la gauche est sans appel et seuls une remise en cause générale et un renouvellement radical à tous les niveaux -à commencer par les groupes dirigeants- pourrait permettre d’établir une nouvelle base de travail. Il est nécessaire aujourd’hui de rappeler la différence entre une gauche vouée au « compromis préventif » et une gauche anticapitaliste, de classe, qui refuse de gouverner avec le Pd [9] et qui soit au diapason des mouvements sociaux.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas besoin dans l’immédiat d’une forte unité sociale sur des plates-formes claires et sur des propositions radicales -du refus de la guerre à la « suspension » des attaques contre les droits des femmes, de la lutte pour les salaires à la défense des droits civiques -, sur une ligne de « résistance sociale » capable de faire face aux attaques prévisibles des forces de droite, du patronat ou du Vatican. Sachant qu’il ne peut y avoir d’ambiguïtés ou d’hésitations quant aux plates-formes : on ne peut être contre la guerre et soutenir l’intervention au Liban ou en Afghanistan ; on ne peut être contre la précarité et voter pour l’accord welfare ; on ne peut être pour la laïcité et l’autodétermination des femmes et excommunier qui conteste le pape.
Cette position ne fait cependant pas disparaître la nécessité de reconstruire la gauche sur une plate-forme anticapitaliste et de classe. Nous ne croyons pas que la liste Arc-en-ciel puisse incarner ce projet. Le bilan de son activité gouvernementale, les lignes stratégiques sur lesquelles elle évolue, les groupes dirigeants qu’elle propose - comme on le constate dans la formation de sa liste et dans le choix de son candidat au poste de président du conseil [Walter Veltroni] [9]- parlent encore de la gauche encline à la dérive modérée que nous avons vue à l’oeuvre ces dernières années et contre laquelle nous nous nous sommes battus . En somme c’est le schéma des « deux gauches » qui revient sur le devant de la scène : d’un côté la gauche à vocation gouvernementale et liée au projet de l’Arc-en-ciel, de l’autre, la gauche anticapitaliste, de classe, d’opposition qui s’avère aujourd’hui hétérogène jusque dans ses structures mais qui a déjà donné des preuves de sa capacité au dialogue et au travail en commun
C’est pourquoi nous croyons nécessaire de donner vie à gauche de l’Arc-en-ciel, à une liste de gauche anticapitaliste sur une plate-forme avancée de lutte et de revendications générales : augmentation réelle des salaires, reprise en main des services sociaux par l’Etat, lutte sans quartier contre les homicides au travail [10], plan « déchets zéro », opposition aux expéditions militaires, réduction des dépenses militaires et reconversion de l’industrie de guerre, défense des droits des femmes, des droits civiques contre toute ingérence du Vatican, abolition de la loi 30 [ 11], abolition de la loi Bossi-Fini [12], réduction drastique des privilèges liés à la fonction.
Une liste d’unité, de pluralité et d’innovation : rotation des élus, strict plafonnement des indemnités, hétérogénéité des candidats. Une liste fermée aux alliances et aux coalitions avec le Parti démocratique mais qui sache redonner souffle et avenir à une alternative politique.
Nous voulons travailler à cet objectif, dans le peu de temps qui reste avant les échéances électorales, sans entraves ni schématismes. Une large unité de classe sur une plate-forme partagée, liée à une pratique de lutte commune, est la condition nécessaire non seulement pour obtenir des succès électoraux ou réaliser des ambitions politiques mais plus encore pour contribuer à donner une réponse à la crise et à jeter les bases d’une reconstruction de la gauche alternative et de classe.
[1] ex-ministre du travail de Berlusconi, il participe avec son parti centriste, l’UDEUR
( Union démocratique pour l’Europe) au gouvernement Prodi. Nommé ministre de la justice en 2006, il démissionne suite à une enquête judiciaire pour corruption qui le visait ainsi que son épouse. Il ne soutient pas le gouvernement Prodi lors du vote de confiance et contribue grandement à sa chute. http://www.rue89.com/2008/01/25/la-... )
[2] allusion à un discours de Bertinotti qui prétendait qu’il existait une « bonne bourgeoisie » avec laquelle même le communiste le plus extrémiste pouvait négocier dans l’intérêt du peuple italien http://www.lisistrata.com/cgi-bin/t...
[3] accord social signé en 2007 qui porte à 60 ans au lieu de 57 l’âge minimum du départ en retraite et qui entérine la précarisation des travailleurs.
http://communisme.wordpress.com/200...
[4] Lesbienne gay bisexuel, transgenre, queer.
[5] décret-loi (adopté dans l’urgence en novembre 2007 après le meurtre d’une femme par un ressortissant roumain) qui permet l’éloignement pour trois ans d’étrangers membres de l’UE qui « contreviennent à la dignité humaine, aux droits fondamentaux et à la sécurité publique » http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article2351 : Ligue italienne des droits de l’homme condamne des expulsions visant des Roumains
[6] ministre du développement économique du gouvernement Prodi
[7] en janvier 2007, Prodi avait annoncé que son gouvernement ne s’opposerait pas à l’extension de cette base qui abrite le commandement US Army de l’Europe du Sud
http://www.legrandsoir.info/spip.ph... : l’Italie donne son accord aux USA pour l’agrandissement de leur base de Vicence
[8] Chef de la police depuis 2000, il avait été mis en examen en 2007 pour sa gestion de l’ordre public lors du G8 de Gênes en 2001. Suite aux polémiques, il avait perdu son poste de chef de la police … et avait été promu chef de cabinet au ministère de l’Intérieur http://it.wikipedia.org/wiki/Giovanni_De_Gennaro
[9] Parti Démocratique : parti né en octobre 2007 de la fusion des Démocrates de gauche et des Démocrates libéraux avec la participation des Verts. Il a pour président Romano Prodi et pour secrétaire Walter Veltroni, le maire de Rome (celui-là même qui assure qu’il sera, « comme Sarkozy, un homme nouveau qui changera la donne dans la politique » voir Canard Enchaîné du 13/02/08)
[10] accidents mortels du travail appelés également « morts blanches » par les Italiens
http://communisme.wordpress.com/200...
[11] réforme du marché du travail vers plus de flexibilité, également appelée loi Biagi du nom du juriste qui en est le concepteur et qui a été assassiné en 2002 par les nouvelles Brigades Rouges
http://www.politis.fr/article1662.html
[12] loi d’immigration de 2002 qui prévoit, entre autres, la mise en rétention et la reconduite à la frontière des immigrés clandestins
http://www.france.attac.org/spip.php?article120