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Côte d’Ivoire : Quelles perspectives pour la crise ivoirienne ?

Interview de Bernard Doza

Bernard Doza s’exprime au sujet de la crise ivoirienne et les suites de Marcoussis et du sommet france Afrique. Un entretien qui éclaire certains pans de la situation politique actuelle en côte d’Ivoire.

Phillippe Kouhon : M. Doza, la jeunesse trouve votre discours très théorique et pas en phase avec les réalités profondes des pays africains.

Bernard Doza : je ne suis pas timoré. Je travaille et cela depuis 1990. Logiquement je devais rentrer en Côte d’Ivoire après les élections de l’an 2000 qui allaient permettre à BEDIE de confirmer son pouvoir. Et profiter pour lancer une opération contre les intérêts français. Malheureusement, en 1999, il y a eu un coup d’état militaire, cela a donc retardé mon départ. Car ce coup d’état étant à mon sens une opération de l’impérialisme français pour bloquer la mise en place du processus démocratique, j’attends qu’il soit débloqué avant de retourner dans mon pays. Et par la suite il y a eu des élections qui ont porté Laurent Gbagbo au pouvoir. Nous avons vu comment ce dernier a réussi à encadrer le général Guei qui dans l’espoir de légitimer son coup d’état a organisé ces élections. Mais il faut aussi dire que c’est la transition militaire qui a élaboré la nouvelle constitution. Ce qui à mon sens est anti démocratique. Car la constitution doit être élaborée par le peuple après une remise en cause du système de fonctionnement du pouvoir. Je ne suis pas d’accord que la constitution d’une république soit votée sous état d’urgence. Il faudra donc que le peuple se mobilise quel que soit le président au pouvoir pour remettre en cause cette constitution. Malheureusement quand Laurent Gbagbo est arrivé au pouvoir il s’est passé quelque chose, ce qui nous a valu le 19 septembre 2002. Aujourd’hui nous sommes dans une situation de fait. Une rébellion occupe le nord, le gouvernement du sud se dit légal. La situation perdure ; les occidentaux et beaucoup d’étrangers ont leurs intérêts en Côte d’ivoire et l’ armée nationale est incapable de réduire la rébellion qui a les moyens d’aller jusqu’à Abidjan. Voilà comment nous sommes arrivés à Marcoussis. Marcoussis étant le résultat concret de la mise sous tutelle de la Côte d’ivoire ; cinquante ans après la réédition d’Houphouët BOIGNY devant les forces coloniales, le pays redevient encore aujourd’hui un protectorat français. Nous avons une armée française qui patrouille à Abidjan, nous avons des soldats de la CEDEAO qui patrouillent à Abidjan, ce signifie que le gouvernement qui va se mettre en place à l’issue de Marcoussis qui est un gouvernement qui vient pour gérer les intérêts de l’impérialiste. Gbagbo ayant perdu la guerre, à mon sens, il devait démissionner depuis qu’il avait été convoqué à Paris. Il a préféré repartir à Abidjan, mobiliser le peuple. Mais le fond est resté le même. Pour ramener la paix civile en Côte d’ivoire, il faut appliquer les Accords de Marcoussis. Or ces Accords disent que les rebelles n’ayant pas confiance à l’armée ivoirienne encore moins à Laurent Gbagbo lui-même, insistent pour avoir les deux postes centraux : la défense et l’intérieur. A partir de cet instant, la majorité du peuple du sud qui s’est senti agressé, refusant ces deux postes de souveraineté aux rebelles, nous sommes dans un rapport de force. Ce rapport de force va certainement être dilué si ces postes sont confiés à la société civile. Le fond du problème demeure toujours. Sinon comment en est-on arrivé là avec un chef d’état qui se disait avoir un projet de société, qui arrive au pouvoir et qui est dans l’incapacité de faire le procès des anciens dignitaires du régime PDCI RDA ? Mais s’allie plutôt à eux pour gérer le pays avec un programme socialiste. Le PDCI majoritaire au parlement, qui n’avait aucune intention de laisser Gbagbo aller jusqu’au bout de son mandat, va organiser la répression du RDR, et aujourd’hui donner l’occasion à une rébellion de prendre le Nord. Les escadrons de la mort, depuis 1991 tuaient en Côte d’Ivoire, à commencer par M. KOUMAN JOSEPH. Ils opéraient par cinq encagoulés. Et aujourd’hui avec l’arrivée de Gbagbo au pouvoir, il y a eu une alliance entre des éléments proches du clan Bété originaire de Gagnoa et de Guibéroua et le clan Baoulé venant de Yamoussoukro constitué dans l’ex garde présidentielle et la gendarmerie. Ce sont ces éléments là qui constituent aujourd’hui ce qu’on appelle les escadrons de la mort. Ils forment au total six équipes et opèrent de façon cordonnée. Chaque équipe ayant une autonomie. Une équipe tenue par la femme du chef de l’état ; et les autres par d’autres dignitaires du PDCI . Chaque équipe tuant selon sa propre appréciation. Ces escadrons ont une telle autonomie qu’ils imposent au pouvoir leur diktat. Sinon on comprend mal qu’après la marche des Ivoiriens du sud contre les Accords de Marcoussis, qui avait encore intérêt à aller tuer un comédien (Camara H), deux Imams…c’est dire que les escadrons de la mort ont dépassé même le cadre du pouvoir politique. Alors il y a une enquête à faire. Qui se cache derrière ces escadrons ? Voilà comment l’état de Côte d’Ivoire et son armée ont été mis au même pied d’égalité dans leur incapacité à venir au bout de ces escadrons de la mort. C’est à ces réflexions que la jeunesse doit prêter attention. Et ce sont elles demain, une fois les Accords de Marcoussis appliqués, qui vont permettre de nouvelle stratégie de lutte. Car la vraie lutte de la Côte d’ivoire de demain commence avec l’application des accords de Marcoussis.

Phillippe Kouhon : Un mot sur le sommet France Afrique.

B.D : Je remarque qu’au fur et à mesure que les années passent, nombreux sont les chefs d’état africain qui viennent tendre la main aux Français. Sur 52 pays africains nous avons 45 chefs d’états présents à ce sommet. C’est une honte pour le continent. C’est parce que nous sommes dans l’incapacité de poser les vrais problèmes face à l’occident. Depuis 1885 le continent africain a été morcelé. Dans ces quatorze états africains Francophones , qu’a fait la France ? Elle a tué toute résistance, elle a implanté des multinationales du négoce depuis 1910. Qui ont exploité la Côte d’Ivoire à travers le travail forcé ! Et ont rapatrié toute l’économie du pays sans payer ni taxes ni impôts. Et aujourd’hui le débat de la jeunesse Africaine est de savoir : Qu’est ce que la France nous doit ? Doit-on continuer de venir tendre la main en France ? Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire est le premier pays exportateur mondial de Cacao mais incapable de transformer ses matières premières. On vient de découvrir une réserve de pétrole au large de la Côte d’ivoire qui pourrait avoisiner celle du Koweït. On a du gaz naturel, une resserve d’or…Mais dès l’instant que nous ne pouvons pas transformer toutes ces richesses dans notre pays, on est obligé de venir tendre la main à la France. Le vrai débat doit être cela. Et il faut que la jeunesse ivoirienne prenne ses responsabilités. Aujourd’hui dans un régime de type présidentiel le chef de l’état a perdu près de 90% de ses pouvoirs. Logiquement Gbagbo devait démissionner, puisque le Premier ministre désigné à Kléber est le dernier gouverneur que la communauté internationale, principalement, la France a trouvé pour gouverner la Côte d’ivoire à la place du peuple ivoirien.

Phillippe Kouhon : : Que vous inspire le thème de ce sommet : un nouveau partenariat ?

B.D : Un nouveau partenariat n’est que la redéfinition des accords de coopération. Car si depuis 1959 le code d’investissement a permis à la France de rapatrier plus de 75% des bénéfices des entreprises installées en Côte d’ivoire, force est de constater qu’après la mort d’Houphouët tous ses successeurs s’opposent à l’application de ce code. Et c’est en partie pour cela qu’ils chutent. On a vu BEDIE sortir du pré-carré français au bénéfice des multinationales américaines et britanniques : Cargill, ADM ou encore Vinco….Et cela s’est repesé avec le général Guei qui dès sa prise de pouvoir a voulu afficher un discours nationaliste. Il a même osé refuser de payer la dette extérieure de la Côte d’Ivoire. Et pendant ses dix mois de pouvoir il n’est jamais venu tendre la main à de la rébellion pour convoquer toute la classe politique à Paris. Les gens qui avaient besoin des postes ministériels se sont donc frotté les mains et ont signéParis. C’est pourquoi Jean Louis Lacaze a précipité la chute de Guei pour mettre Gbagbo au pouvoir. Quand Guei s’y est opposé, c’est depuis l’ambassade de France à Abidjan précisément à la résidence de Francis Lotz que Gbagbo lance l’appel à l’insurrection. La France espérant de lui une certaine obéissance. Mais une fois au pouvoir, pendant qu’il frappait avec le PDCI, le RDR pour distraire l’opinion nationale, il demande aux multinationales de s’acquitter de leurs cotisations puisqu’en 2004, il était question du renouvellement des contrats. Alors en se mettant à dos deux problèmes distincts, il était clair qu’il trouve en face une rébellion. La jeunesse ivoirienne doit comprendre que la Côte d’ivoire représente 40% du PIB de l’Afrique de l’Ouest. Et tous les regards de la jeunesse africaine s’est tournée vers elle.

Aujourd’hui c’est une chance de voir la France sortir de sa dimension souterraine. Elle a su profiter tous les documents sans même les lire et pourtant ce sont des documents qui remettaient en cause l’indépendance même de leur pays. Il a été question d’aide à ce sommet. Je considère qu’un pays ne peut pas se développer en comptant uniquement sur des aides. La France maîtrise la haute technologie . Pourquoi elle ne formerait pas par exemple 300 jeunes ivoiriens ou Africains à la maîtrise de la technologie pour transformer leurs propres matières premières ? C’est parce qu’elle n’a jamais voulu cela de peur d’être concurrencé sur le marché mondial. Elle préfère nous asservir dans la culture de rente et continuer à nous donner des enveloppes pour consommer et venir acheter nos produits à bas prix. C’est le vrai débat de la jeunesse africaine. Le reste c’est de la philosophie.

L’Afrique n’a pas besoin d’aide. Le quotidien « Libération » pousse loin et écrit : l’union européenne a débloqué 450 millions d’euros pour le président Gbagbo afin qu’il calme ses extrémistes. Ce qui signifierait que le nègre est prêt à perdre la notion de la vie dès qu’on lui tend un billet de banque

Phillippe Kouhon : Que répondez-vous à M. Chirac sur la question de l’impunité ?

B.D : Moi si je suis encore en France c’est parce que je n’ai jamais été d’accord avec tous les régimes qui ont pris le pouvoir en Côte d’Ivoire. J’ai été le premier à organiser ici en France une conférence pour dénoncer la dérive totalitaire de ces régimes à travers les escadrons de la mort. Je n’ai pas attendu M. Chirac... Ce que nous voulons n’est pas que la France nous donne des leçons. Il est même important que les peuples africains arrivent à bâtir des nations après qu’ils se seraient affrontés entre eux. On a vu que ce fut les Français eux-mêmes qui furent à l’origine de leur révolution. L’extérieur ne leur a pas imposé la démocratie. Quand M.Chirac dit que le temps de l’impunité doit passer ? Mais moi je voudrais savoir au nom de qui il parle ? En tant que qui parle-il ? Moi-même ivoirien et donc le premier concerné ne peux pas rentrer en Côte d’ivoire parce que le régime considère que je suis un opposant. Mais que M.Chirac me laisse prendre mon destin en main. Qu’on laisse les Ivoiriens eux-mêmes s’organiser pour venir à bout de la dictature ? Qu’on ne vienne pas toujours en « grand frère » nous donner des leçons quand on sait que la France est derrière les déstabilisations, les financiers occultes des rébellions, pour tenter d’empêcher la mise en place d’un développement véritable par la voie démocratique.

Phillippe Kouhon : Quel est pour vous l’avenir de la Côte d’Ivoire ?

B.D : Pour moi M. Gbagbo n’est plus le président de la Côte d’Ivoire. Sachez qu’aux premières heures de la crise, il y a eu un commando qui a frappé le pouvoir. Ce commando qui est de l’intérieur n’avait pas pour mission de faire un coup d’état. Ce sont des gendarmes du camp Agban qui ont décidé de frapper eux-mêmes leurs propres congénères et qui, une fois repoussés, sont entrés dans les bidonvilles, se fondre dans la population. Puisque l’opération a eu lieu entre 2h et 5h du matin. Il était difficile de les identifier. Ce n’est donc pas les mêmes qui ont pris BOUAKE. Cela démontre comment le régime lui-même est miné de l’intérieur. Il faut donc que les patriotes ivoiriens se posent la question, pourquoi LAURENT GBAGBO qui est venu avec un programme de gouvernement s’est-il trouvé en face d’une rébellion qui recrute jusque même dans son entourage ? Comment en est-on arrivé là  ? Il y a la trahison des amis. En dehors du feu BOGA DOUDOU et de SIMONE GBAGBO, Laurent ne s’est entouré que d’inconnus dans la lutte politique en Côte d’Ivoire. On savait que tous ces anciens amis qu’il a mis de côté, depuis sa prise de pouvoir se réunissaient. Ils ont même crée une structure « démocratie et état de droit ». Et c’est ce club de réflexion qui a doté la rébellion d’un programme politique. Aujourd’hui qui défend le régime ? Quand la France voit ses intérêts menacés par « le mouvement des jeunes patriotes » avec BLE GOUDE, au lendemain des accords de Marcoussis, que fait-elle ? Elle tente de l’imposer comme contrepoids de la rébellion face à Gbagbo. Le président qui a très peur d’une aile gauche radicale à son pouvoir, fait pression sur le jeune GOUDE et l’envoie en Exil à Londres pour « se reposer ». C’est cette utilisation des militants à des fins politiciennes qui a engendré la frustration et conduit des amis comme Louis Dakoury Tabley et beaucoup d’autres vers le camp de l’opposition à Gbagbo

Phillippe Kouhon : votre mot de la fin.

B.D Tout à l’heure j’ai dit à la jeunesse ivoirienne que le combat ne fait que commencer. Il y a deux symboles qu’on doit remarquer depuis le traité de Marcoussis : Le drapeau français a été brûlé à l’aéroport d’Abidjan ; Des Français ont été crachés dessus à Abidjan. On peut l’imaginer partout en Afrique sauf en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, quel que soit le président qui viendra au pouvoir, quel que soit le semblant de démocratie ou paix qui viendra en Côte d’Ivoire, il sera difficile d’oublier ces symboles. Il y a un sentiment anti français qui a commencé à naître en Côte d’ivoire que nous Démocrates devons exploiter pour dépasser la question de l’Ivoirité qui est en réalité une création des services secrets Français en alliance avec la bourgeoisie Baoulé-Akouè pour diviser le peuple ivoirien dans l’antagonisme et empêcher de voir qui est le véritable responsable de notre aliénation économique et politique.

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