RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Travail, chômage, le temps du mépris, par Noëlle Burgi.








Le Monde Diplomatique, octobre 2007.


« Je m’appele victoria, j’habite dans ce bloque, je fais tout pour 2,50 euros. » Ces mots sont inscrits en minuscules au marqueur bleu à l’extérieur de la porte d’un ascenseur sur laquelle il est aussi possible de lire, gravé en majuscules au canif : « PORTE DE L’ENFER ». L’ascenseur dessert la plus haute tour d’un vaste complexe de logements sociaux situé dans un ancien bassin minier transfrontalier dans le nord de la France et dans le Hainaut belge. L’anthropologue et praticienne Pascale Jamoulle y a mené une longue enquête, s’immergeant dans les relations sociales de trois cités aux noms familiers et incitant à la rêverie : les Mimosas, les Amazones, le Phare. (...)


L’idée de malheur
rend opaque
l’injustice sociale
et empêche de la combattre.

La tension entre injustice et malheur est le prisme à travers lequel le débat public sur la souffrance sociale est implicitement organisé. La tendance dominante dans nos sociétés est d’y voir tantôt un malheur dû à des forces abstraites (les « contraintes objectives »), tantôt un défaut moral des victimes (paresse, manque de volonté, refus de s’intégrer dans le corps social). Ces interprétations ont pour point commun d’éluder la question de l’injustice sociale.

Naître dans l’environnement des cités est certainement un malheur, un coup du sort. Mais la multiplication des ghettos ou « quartiers » dans les sociétés occidentales riches et bien portantes n’en est pas un. L’extension des zones de vulnérabilité sociale renvoie bien à une injustice faite aux moins chanceux, serait-ce par un « système » sans visage, actionné par des mains invisibles si nombreuses que les intentions, les responsabilités et les chaînes de causalité se dilueraient dans la multiplicité des rapports de forces.

Parler de « malheur » pour désigner les cités est inapproprié, car l’idée de malheur attribue spontanément les causes des désastres sociaux ou des événements qui nous frappent aux forces de la nature, à des lois objectives indépendantes de la volonté humaine ; la notion induit celles de fatalité, de résignation, d’adaptation, de soumission à l’ordre du monde. Souvent implicite, notamment lorsque les institutions se contentent de renvoyer les victimes sociales au respect de l’ordre public, à leurs problèmes psychologiques, à leurs ressources psychiques, intimes et privées, l’idée de malheur rend totalement opaque l’injustice, empêche de la comprendre et d’en tirer les conséquences (1). (...)

De là les constructions identitaires de honte et de mépris de soi observées par Jamoulle dans les cités où règne la précarité : les sujets, inéluctablement déçus et « rabaissés », en viennent à se punir eux-mêmes. La honte interdit de s’ouvrir à autrui, de partager ses épreuves et ses peines. Les hommes fuient leur famille, se murent dans le silence et la dépression. Ils se réfugient dans l’errance, les conduites à risque et les psychotropes : « L’héroïne, au moins, elle ne trompe pas. » Dans les cas les plus extrêmes, les pères se suicident. Les jeunes filles s’automutilent : « Mon envie de mourir est venue à 6 ans. A partir de là , tous les jours, je voulais mourir. Et vers 15, 16 ans, j’ai mis en pratique. (...) Je me hais et je dois enlever ce qui fait qu’il y a tant de mains non désirées qui ont paralysé mon corps, qui ont fait de ma vie la mort. »

Si elle se solde généralement par l’adjonction de peurs et de souffrances à celles qui existent déjà , l’autoaccusation remplit aussi une autre fonction, a priori plus satisfaisante. Elle permet au sujet d’échapper à la fatalité d’une responsabilité sans visage trop dure à supporter, c’est-à -dire, au fond, au malheur de n’être qu’une victime aléatoire parmi d’autres dans un monde dénué de sens et de règles où les événements nous frapperaient arbitrairement. La culpabilité permet de conserver l’« illusion de la centralité », de nourrir l’idée que la vie nous aurait réservé un traitement singulier, que les émotions auraient un sens et que chacun de nous serait plus qu’une donnée statistique supplémentaire (2). (...)

- Lire l’ article www.monde-diplomatique.fr






URL de cet article 5792
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Que fait l’armée française en Afrique ?
Raphaël GRANVAUD
Préface d’Odile Tobner-Biyidi Que fait l’armée française en Afrique ? Et de quel droit s’y trouve-t-elle encore aujourd’hui ? Si l’on en croit les discours officiels, elle n’y aurait plus depuis longtemps que des missions humanitaires et de maintien de la paix. La page du néocolonialisme et de la Françafrique aurait été tournée en même temps que finissait la guerre froide. Ce « Dossier noir » examine, à travers de nombreux exemples concrets, la réalité de cette présence depuis deux décennies. Après un (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

En 2001, on nous a dit que la guerre en Afghanistan était une opération féministe. Les soldats US libéraient les femmes afghanes des talibans. Peut-on réellement faire entrer le féminisme dans un pays à coups de bombes ?

Arundhati Roy

Lorsque les psychopathes prennent le contrôle de la société
NdT - Quelques extraits (en vrac) traitant des psychopathes et de leur emprise sur les sociétés modernes où ils s’épanouissent à merveille jusqu’au point de devenir une minorité dirigeante. Des passages paraîtront étrangement familiers et feront probablement penser à des situations et/ou des personnages existants ou ayant existé. Tu me dis "psychopathe" et soudain je pense à pas mal d’hommes et de femmes politiques. (attention : ce texte comporte une traduction non professionnelle d’un jargon (...)
46 
Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
17 
Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.