[Des taux de crédit qui montent, des marges de discussion qui se réduisent : que reste-t-il à négocier pour ceux qui ont - encore - envie d’acheter ? La durée du prêt. Le passage de vingt à trente ans augmente de 21% leur capacité d’emprunt. Pour une même mensualité de 1 000 euros, le prêt dont dispose l’acheteur passera de 148000 à 180000 euros. C’est d’ailleurs le seul point sur lequel les banques sont prêtes à faire des « efforts ». Plus de la moitié des 60 premiers établissements français sont passés au prêt à trente ans.
Une poignée d’entre eux va encore plus loin : le Crédit foncier a lancé son « 40 ans », et le Crédit agricole de Montpellier un « 35 ans » qui, grâce à la modulation des mensualités, peut aller jusqu’à 42.]
Challenges, 8 novembre 2007.
Les prix reculent, les délais de vente s’allongent. les stocks explosent. Cet ajustement du marché n’a rien d’inquiétant. Pour le moment.
Un programme, à Toulouse, qui n’a reçu - c’est unique - aucune visite de prospects en une semaine. Un autre que son promoteur n’a pu commencer à écouler qu’en ramenant le prix d’un des immeubles de 3500 à 3000 euros le m2. Dans l’ancien, des vendeurs qui se retirent, faute d’acheteurs sérieux. Et des experts, notaires, agents qui, devant les bureaux de vente désertés, s’obstinent à parler de ralentissement de la hausse plutôt que de dire le mot qui fait peur : crise.
Pourtant, les premières pluies de l’automne risquent d’emporter les derniers doutes. Le marché a déjà craqué, même si les premières secousses sont passées presque inaperçues, dans un marché anesthésié par dix ans d’inflation ininterrompue : 142% de hausse des prix, et même 165% en Ile-de-France, depuis 1997. Vu la hausse, il semble a priori saugrenu de crier au krach à la première alerte, en l’occurrence trois mois de baisse consécutifs des prix, soit un recul de 1,7% entre juillet et septembre.
Ce dérapage est pourtant la première manifestation d’une crise qui s’est propagée partout. Sur les stocks de logements neufs, par exemple : ils explosent (voir graphique ci-dessous), tandis que le rythme de commercialisation des programmes se fige peu à peu. Aujourd’hui, les promoteurs ont en moyenne onze mois de logements à commercialiser devant eux, alors qu’ils n’en avaient que quatre il y a un an. Ce niveau n’a été dépassé qu’en 1991, au moment du krach immobilier.
Plus grave, l’ancien, qui représente 80% des 700 000 transactions annuelles du secteur, se grippe. Et les délais de vente dérapent : « Il y a deux ans, ils étaient de deux mois et demi. Ils tournent aujourd’hui autour de quatre à cinq mois », reconnaît Bernard Cadeau, du réseau d’agences Orpi.
Dans le même temps, le phénomène des « taches de léopard » - un marché de plus en plus segmenté - s’amplifie. Avec de fortes baisses et, encore, quelques belles hausses. Caria demande reste forte pour les logements confortables parisiens et du centre-ville de certaines métropoles, comme Lille, Metz, Reims et Marseille. Mais les amateurs de logements en périphérie et dans les villes qui ont trop lâché la bride aux promoteurs se font de plus en plus rares. C’est le cas de certaines communes qui s’étaient imaginé être devenues la « banlieue » d’une grande agglomération : Rodez pour Toulouse, Bègles pour Bordeaux. Mais aussi dans quelques grandes villes où les ventes aux investisseurs ont engorgé l’offre : Annecy, Nantes, La Rochelle, Rennes et Toulouse. Dans la ville Rose justement, le stock dans le neuf a augmenté de moitié en deux ans et dépasse 5000 logements. Et que dire de Brest et de son agglomération, où les mises en chantier de logements collectifs ont crû de 256% en deux ans, face à une population quasiment stable ?
Prétentions revues à la baisse
« Les vendeurs devront revoir leurs prétentions à la baisse... », prévient Jean-Fabrice Mathieu, fondateur et patron de SeLoger.com, numéro un français des sites de petites annonces immobilières, dont l’indice des prix a enregistré en septembre son premier recul. A Lyon, Steve Bentabou, 35 ans, un commerçant, et Déborah, 31 ans, conseillère en assurances, échaudés par le prix dans le neuf, se sont rabattus sur de l’ancien. Ils sont tombés sur un vendeur pris à la gorge, qui a accepté de ramener de 275000 à 245000 euros son 100-m2 en plein centre d’Ecully. « S’il n’avait pas baissé son prix, nous n’aurions pas fait affaire », explique Steve.
Marc Piétri, le PDG du promoteur Constructa, reconnaît qu’ « il y a un vrai problème de prix » et qu’il aura des incidences : « Nous, promoteurs, nous allons devoir aussi « dégraisser le mammouth » et proposer des logements à des prix auxquels les gens peuvent les acheter. Pour tout un tas de raisons - foncier, inflation des matières premières et des salaires, nouvelles normes -, ce n’est plus le cas aujourd’hui. »
Quelle sera l’ampleur de cette baisse ? Le cabinet Précepta, qui l’avait annoncée un an trop tôt, persiste et s’attend désormais à une baisse d’environ 6% par an pendant trois ans. Olivier Eluère, économiste du premier prêteur immobilier de France, le Crédit agricole, penche, lui, pour une « toute petite hausse de 1% en 2007 et une baisse de 5% en 2008, qui permettra aux acheteurs de retrouver un peu d’oxygène ». Baisse aussi pour une autre économiste spécialiste de l’immobilier, Mathilde Lemoine (HSBC France), qui s’inquiète : « L’ajustement en immobilier se fait toujours par paliers : il faut espérer que, cette fois, ce ne sera pas trop brutal. »
Le retournement du marché ne dissuade pas tous les acheteurs, même les plus avertis. Ainsi Jean-Fabrice Mathieu a-t-il décidé, à la mi-octobre, de casser sa tirelire pour acquérir un grand appartement à la Muette, dans le XVIe arrondissement de Paris. « J’achète pour me loger, pas pour spéculer. Sur le long terme, dans ce quartier très recherché, les prix ne baisseront-pas, j’en suis -persuadé », explique-t-il. La pierre, dit un adage, dépend de trois facteurs : l’emplacement, l’emplacement, l’emplacement. Depuis quelques semaines, il faut en ajouter un quatrième : un peu de conviction.
L’offre de crédit se resserre
Avec des taux de crédit qui montent, des marges de discussion qui se réduisent, que peuvent négocier les acheteurs ? La durée du prêt. La majorité des établissements sont passés au « trente ans ».
C’est le deuxième refus, et Marc et Sarah Devoisne sont désespérés : leur deuxième demande de prêt était leur dernier espoir de devenir propriétaires. Pourtant, ils n’ont rien d’un ménage à risques. Lui est représentant d’une grande entreprise, elle visiteuse médicale. En début de carrière, ils émargent déjà à plus de 90000 euros par an et ont, comme apport, le fruit de la vente d’un studio à Dijon : 55 000 euros. Mais il y a un problème : par suite d’un différend avec un vendeur d’automobiles, un des chèques de Marc a été rejeté. Or, « sans provision » signifie aujourd’hui « sans crédit ».
Le cas n’est pas isolé : depuis quelques mois, les refus de financement se multiplient. Du coup, « les annulations de vente sont passées de 15 à 35% dans le neuf, constate Christian Terrassoux, PDG du promoteur Pitch Promotion. Pour éviter les mauvaises surprises, dès la réservation d’un appartement, nous vérifions avec les acheteurs leurs chances de se faire accepter par les banques ».
Pour emprunter aujourd’hui, il faut montrer patte blanche
Dans son agence immobilière de Boulogne, Yves Mercier tient sa petite explication : « Depuis dix-huit mois, peu à peu, les banques ferment le robinet du crédit. » Il semble avoir raison. Depuis dix ans, le volume des crédits accordés par les banques augmentait de 10% par an ; en cinq ans, il est passé de 100 à 150 milliards d’euros. Or, depuis six mois, surprise ! Pour la première fois depuis l’envolée des prix de l’immobilier, le volume des prêts accordés - 82 milliards d’euros - équivaut à celui du semestre précédent. Alors que, sur les douze mois en question, les prix ont progressé de 5% et que le montant moyen des prêts, lui aussi, gonfle. Il faut donc - c’est logique - que le nombre des prêts ait diminué : l’offre de crédit s’est bien resserrée.
La faute à l’Amérique
En cause, la crise des subprimes - ces prêts accordés un peu trop facilement à des emprunteurs à risques et qui ont accéléré la chute du marché de l’immobilier américain. Les crédits immobiliers français en sont aussi victimes. En juillet, François Fillon, Premier ministre, avait pourtant demandé aux banques de ne pas fermer le robinet du crédit... aux entreprises. Message reçu 5 sur 5 par les banques, qui se sont aussitôt rattrapées sur les particuliers. « Aujourd’hui, on commence seulement à mesurer l’effet psychologique de cette crise. Quand le Crédit agricole prend une perte de 250 millions d’euros aux Etats-Unis, cela change l’attitude du conseiller du coin de la rue », déplorent PatrickMichel Khider et Bernard de Crémiers, les cofondateurs du réseau d’agences Laforêt.
Pour réduire ses engagements, un banquier a deux moyens. Soit monter ses taux pour qu’une partie des futurs clients ne puisse pas suivre la hausse des mensualités. Soit durcir les conditions d’accès et exiger de meilleures - et souvent plus coûteuses - garanties. Cette année, il a agi sur les deux fronts à la fois.
Jusqu’à fin 2006, les emprunteurs bénéficiaient, il est vrai, de conditions extraordinaires. Le taux pour acheter sa maison était inférieur de presque un demi-point à celui auquel l’Etat français empruntait pour combler le déficit budgétaire. Etonnant. « Dites plutôt que c’était aberrant », s’exclame un banquier. Il a d’ailleurs, comme ses confrères, remonté ses taux à la faveur de la panique financière de l’été, qui a fait grimper ceux des marchés financiers d’un cran. Et, quand ces derniers se sont calmés, il a oublié de répercuter la baisse ! [« Nous étions sur des niveaux de marges très faibles, inférieures de pratiquement 1 point aux marges européennes, nous les avons simplement restaurées », se justifie Pierre Fortis, directeur du marketing à LCL.
Pour Christophe Cremer, président de Meilleurtaux, l’effet a été immédiat : « La hausse de juin a terminé le travail entamé avec celle de fin 2006 : en quelques mois, le coût total d’un crédit a été renchéri de 4,5%. Cela a suffi à désolvabiliser ceux des emprunteurs qui étaient limite-limite. » Pour Cyril Blesson, économiste au Bipe, un bureau d’études qui publie chaque année des prévisions sur l’immobilier, il s’agit d’un quasi-hold-up : « Les banques ont capté l’équivalent du pouvoir d’achat qu’avait apporté, pour les acheteurs, la déductibilité partielle des intérêts d’emprunt octroyée par le gouvernement ! » Ce n’est pas tout. Les banques se sont aussi mises à chipoter sur la qualité de leurs futurs clients. Elles avaient, ces dernières années, assoupli les grilles de sélection des dossiers pour barrer les offensives de La Banque postale, en phase de recrutement de clientèle, et des Caisses d’épargne, toujours très agressives sur l’immobilier. Pendant l’été, elles ont resserré les mailles du filet. Ceux qui sont passés au travers ont des profils de premiers de la classe.
LES CONDITIONS POUR 120 000 EUROS PRETES SUR 20 ET 25 ANS
Le cas des endettés
L’endettement illustre bien cette stratégie des banquiers. La norme (33% des revenus, au maximum, consacrés aux mensualités) s’était assouplie depuis cinq ans, notamment pour les hauts revenus. Mais, « aujourd’hui, à moins de gagner entre 80000 et 100000 euros par an, aucun emprunteur ne dépasse plus cette barrière », constate Bruno Rouleau, directeur d’In-Finis, un réseau de courtage en prêts.
Pour Bernard de Crémiers et Patrick-Michel Khider (Laforêt), c’est encore une des conséquences de la crise des subprimes : « Beaucoup d’agences se sont fait retirer leur pouvoir de décision et font tout remonter au siège, qui juge davantage sur des chiffres et des ratios que sur le potentiel du client. »
Cela frise parfois la mesquinerie : Amina et Philippe Cambrovicz, tous deux en CDI depuis peu, se sont ainsi fait retoquer leur dossier par BNP Paribas : la banque n’a pas voulu prendre en compte leur treizième mois dans le calcul de leurs revenus annuels. Motif : ils ne l’avaient pas encore touché. « Forcément, nous sommes embauchés depuis seulement huit mois ! » s’emportent ces jeunes Lyonnais, mariés de fraîche date.
« Les banquiers épluchent le parcours bancaire, et ne lâchent plus rien, ni sur les délégations d’assurance ni sur les frais de dossier », regrette Philippe Taboret, directeur général du courtier en prêts Cafpi. C’est très sensible sur les assurances emprunteurs. Les banques, qui font de grosses marges (de 30 à 50% selon les cas) sur les assurances maison, deviennent intraitables. Les clients, qui auraient pu obtenir, en souscrivant ailleurs, un taux de 0,17%, n’apprécient sans doute pas de se faire taxer à 0,33%, parfois à 0,4%. Mais ils n’ont pas le choix. « C’est vrai que c’est plus rentable pour nous, reconnaît Pierre Fortis (LCL). Mais cela nous permet aussi de mieux connaître notre client. De plus, nos polices d’assurance sont plus complètes que la plupart de celles que j’ai vues passer... »
Toujours plus long
Des taux de crédit qui montent, des marges de discussion qui se réduisent : que reste-t-il à négocier pour ceux qui ont - encore - envie d’acheter ? La durée du prêt. Le passage de vingt à trente ans augmente de 21% leur capacité d’emprunt. Pour une même mensualité de 1 000 euros, le prêt dont dispose l’acheteur passera de 148000 à 180000 euros. C’est d’ailleurs le seul point sur lequel les banques sont prêtes à faire des « efforts ». Plus de la moitié des 60 premiers établissements français sont passés au prêt à trente ans.
Une poignée d’entre eux va encore plus loin : le Crédit foncier a lancé son « 40 ans », et le Crédit agricole de Montpellier un « 35 ans » qui, grâce à la modulation des mensualités, peut aller jusqu’à 42. « Mais même cet allongement a ses limites, prévient Geoffroy Bragadir, d’Empruntis. La durée moyenne des prêts qui transitent par notre centrale est passée de 17,8 ans en 2004 à 21,3 ans aujourd’hui. Un taux qui, depuis trois mois - et pour la première fois -, est stable. » (...)
Eric Tréguier et Dominique Thiébaut
– Source : Challenges www.challenges.fr
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