ESSF, 20 septembre 2007 (Article à paraître dans la revue « Contretemps », janvier 2008).
Les équilibres écologiques peuvent-ils être rétablis sans sortir des mécanismes de marché ? Les thuriféraires du capitalisme veulent y croire et citent des exemples d’application réussie de leurs recettes libérales, notamment aux Etats-Unis. A les entendre, l’octroi de « droits de polluer » échangeables sur le marché mondial permettrait même de relever sans douleur le grand défi de ce siècle - le changement climatique. Dans les associations environnementales, on compte sur les doigts d’une main celles et ceux qui contestent fondamentalement cette stratégie. Le contexte idéologique tend plutôt à favoriser les courants qui, au nom du réalisme et de l’urgence, misent sur l’émergence d’un « capitalisme vert ». Lorsqu’on prend la peine d’examiner les expériences concrètes, c’est pourtant dans l’autre sens que pointent les conclusions : les mécanismes de marché sont non seulement socialement injustes, mais aussi écologiquement moins efficaces que les mesures de contingentement, et ce pour des raisons structurelles qui tiennent à la nature même de la marchandise. (...)
C’est surtout dans la lutte contre les pluies acides que le système des droits échangeables a acquis ses titres de noblesse aux yeux des libéraux. Très dommageables aux écosystèmes, les pluies acides sont dues largement aux émissions d’oxydes de soufre (SOx) et d’azote (NOx) par les centrales électriques utilisant le charbon comme combustible : les oxydes réagissent avec la vapeur d’eau des nuages pour former des acides qui retombent en pluie sur les reliefs. En 1990, le législateur américain adopta un « Acid Rain Program » (ARP), [3] stipulant que les producteurs d’électricité devraient réduire leurs émissions de SOx et de NOx de 50% par rapport à 1980, par le truchement de permis d’émission échangeables. En 1995, une série de grandes unités très polluantes reçurent leurs permis en même temps que l’obligation de parvenir en 5 ans à un premier seuil de réduction agrégée. Cinq ans plus tard, des permis étaient distribués à toutes les centrales, avec obligation de ne plus émettre que 9 millions de tonnes de polluants (à peu près 50% du volume de 1980). Chaque producteur pouvait vendre les permis d’émission dont il n’avait pas besoin, ou les capitaliser pour les vendre plus tard. Aucune norme technologique n’était imposée.
Les défenseurs du marché crient victoire : non seulement les émissions ont diminué de 50%, mais en plus le marché aurait permis de réduire le coût de la désacidification de 30% par rapport à un scénario de contingentement classique. On serait donc en présence d’un bilan « win-win-win » - profitable à l’économie, à la collectivité et à l’environnement. Pourtant, cette image est trompeuse. Premièrement, une partie substantielle de la réduction s’explique du fait que, dès avant le lancement du plan, le charbon du Midwest, à faible teneur en soufre, était devenu plus compétitif que le charbon à haute teneur en soufre. Deuxièmement, un cinquième des réductions attribuées au Plan Pluie Acide avaient déjà été réalisées dans la décennie 80-90, notamment grâce à ce changement au niveau des caractéristiques du combustible. Troisièmement, les permis attribués la première année donnaient aux compagnies le droit d’émettre 8,7 millions de tonnes alors qu’elles n’en émettaient que 5,3 : le respect des quotas n’a donc pas été trop difficile ! [4] Quatrièmement, dans plusieurs Etats le système d’échange de droits a remplacé des législations... plus sévères, de sorte que les émissions, en réalité, auraient reculé plus vite sans l’ARP [5]. D’autant plus que, cinquièmement, de nombreux producteurs ont capitalisé leurs permis dans le but de faire monter les prix. (...)
Le recours au marché du carbone est une lamentable politique de gribouille. Cette réalité a été reconnue à mots couverts au terme d’une table ronde rassemblant des industriels et des politiques, en marge du sommet de 2005 du G8. La résolution adoptée à cette occasion dit en effet que « Les scénarios d’échange d’émission sont moins susceptibles de stimuler des changements ou des percées technologiques majeurs » que de favoriser une plus grande « efficience dans l’utilisation de l’énergie ou dans les processus de fabrication » de sorte que « d’autres programmes publics et privés sont nécessaires pour stimuler le développement et la commercialisation de technologie à bas carbone ». [12] Ce jugement est assez proche de la vérité, à condition d’ajouter que le marché du carbone représente en soi un énorme gaspillage de compétences, de travail social et de ressources naturelles, de sorte qu’on ne peut vraiment pas créditer l’ETS du moindre mérite en matière d’efficience énergétique. [13] (...)
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