Alain Morice est anthropologue, chercheur à l’URMIS (Unité de Recherche Migrations et société), Nous l’avons rencontré afin de faire le point avec lui sur la fermeture du centre de Sangatte en décembre 2002. Fermeture qui fut triomphalement annoncée dans les médias par notre si dynamique ministre de l’intérieur. Mais les conséquences d’une telle politique semblent moins rose que prévue. Petit voyage avec des réfugiés qui voient la vie en bleu marine.
Legrandsoir : Le centre de Sangatte a fermé, il y a quelques semaines, dans quelles conditions cette fermeture a-t-elle eu lieu ?
Alain Morice : Dans des conditions assez détestables, soit pour une partie des personnes qui étaient à Sangatte, soit pour celles qui ont continué à affluer. Je ne crois pas que Sangatte était souhaitable, parce que c’était une zone hors droits, mais je ne crois pas non plus que l’on puisse supprimer un centre d’exception comme celui-ci sans le remplacer par quelque chose qui remplisse les mêmes fonctions et de préférence mieux. Ce centre a été ouvert pour cacher les gens gênants qu’on ne pouvait pas éloigner soit matériellement, soit moralement. Et puis ensuite on a fermé pour disperser, c’est très curieux, parce qu’en fermant on a remis les gens dans la nature, on a recréé les mêmes conditions, les mêmes causes, qui avaient poussé en septembre 1999 le gouvernement à vouloir retirer les gens de la circulation, des jardins publics, des blockhaus, etc.. de la région du calaisi. Et maintenant on retrouve à nouveau ces gens la en train d’errer.
Legrandsoir : On nous a présenté la fermeture de Sangatte comme une grande réussite, il y a eu des négociations avec la Grande-Bretagne, quelles en étaient les termes ?
Alain Morice : Il s’agit plutôt de tractations plus ou moins clandestines. On a une gestion à très court terme, aussi bien pour l’ouverture que pour la fermeture. Alors que tout le monde est assez d’accord pour dire que les causes qui font venir les gens sont internationales, lesquelles ne sont pas réglées pour autant. Il y a des dysfonctionnements au niveau européen, notamment le fait que la Grande-Bretagne, n’ait pas été signataire des accords de Schengen, (qui instaure la liberté de circulation à l’intérieur de l’espace européen -espace Schengen- en supprimant le contrôle des frontières). La Grande-Bretagne, elle, avait une politique plus libérale d’accueil pour les réfugiés. D’autre part la convention de Dublin (qui dit que c’est le premier pays de l’espace Schengen, dans lequel quelqu’un pénètre qui est obligé de prendre la demande de réfugié, de droit d’asile) a été signée par l’Angleterre. Mais ni la France, ni les autres pays par lesquels les gens ont transité avant d’arriver à Sangatte n’ont joué le jeu. Alors c’est un peu fort de la part de Sarkozy d’invoquer l’Europe et de réclamer une harmonisation européenne, alors qu’il a fermé Sangatte en bilatéral avec la Grande-Bretagne en se livrant à de petites tractations, à savoir : " prenez le paquet de gens qu’on a, et puis après on vous fichera la paix, il n’y aura plus d’immigrés.". Le problème est que désormais, localement, la situation est encore plus épouvantable. Auparavant, ils avaient au moins un point de chute, même si tout le monde s’accordait à dire que c’était très mauvais : insalubre, désagréable, mauvais traitement parfois. Mais maintenant les réfugiés sont pourchassés jour et nuits par la police et renvoyés dans des endroits ou il n’y a pas de travail.
Legrandsoir : donc rien n’a été résolu, les gens se retrouvent, tout comme il y a trois ans, dans la " nature ", livrés à eux-mêmes.
Alain Morice : Il y a avait deux objectifs. Le premier était de dissuader le passage vers la Grande-Bretagne et de ce fait dans le Calaisi, ce qui évidemment n’a pas été atteint. D’autre part, c’était pour tranquilliser une population, ce qui a été à peu près atteint, encore qu’il y ai beaucoup de gens qui continuent à errer dans les rues. Il y a une mise en errance, quelque chose qui du point de vue des droits de l’homme est inadmissible, et qui signifie que le problème se pose exactement dans les même termes qu’avant l’ouverture de Sangatte, simplement de façon aggravée pour les personnes qui sont les victimes de ces situations.
Cela fait penser au nettoyage des centres ville (des gens qui sont sur le trottoir, en bandes, des SDF, ,etc.) Par certains maires, qui veulent " nettoyer" le centre ville, mais ils ne font que du déplacement. C’est ce que l’on fait en ce moment avec les réfugiés et dans des conditions qui vont les rendre éventuellement de plus en plus insupportables pour les populations : de toute façon ils n’ont pas accès au travail, ils n’ont pas accès au logement, ils n’ont accès à rien. Par conséquent, comme on le voit en région parisienne, ils vont se clochardiser. C’est une logique de mise en errance qui nous renvoie à ce qui se passait dans la Grande-Bretagne du siècle dernier quand les paysans étaient chassés des terres et que l’on a eu à l’époque le phénomène des " chemineaux ".
Ils allaient d’un asile à un autre et qui toute la journée étaient obligés de marcher, et c’est un peu cela que l’on commence à avoir dans la région de Calais et que nous aurons dans d’autres régions de France.
Legrandsoir : L’idée de loger les réfugiés n’est pas totalement abandonnée, puisqu’un centre de rétention est en projet à Calais.
Alain Morice : Tout le monde sait que la rétention est très peu suivie des faits au niveau des expulsions (ce que je ne souhaite pas par ailleurs). Ce n’est pas efficace et ça l’est de moins en moins, la plupart du temps la décision d’expulsion n’est pas appliquée et les gens sont remis dans la nature. Ce qui rejoint le phénomène d’errance dont nous parlions. La rétention, c’est une brimade qui est destinée à fragiliser de plus en plus en espérant que ça se saura au pays et que les gens ne viendront plus. Ce qui est une grosse erreur parce que rien n’arrête les flots de réfugiés quand il y a des problèmes économiques et politiques dans leurs pays. Pour la région de Calais, ça a commencé avec des gens de l’ex-Yougoslavie, et ça continue avec des Afghans et des Iraquiens, notamment Kurdes et on sait bien que ce n’est pas en leur faisant peur qu’on les empêchera de venir, parce que c’est bien pire chez eux.
Legrandsoir : Comment analysez vous l’attitude du ministre de l’intérieur qui fait planer le doute sur une remise en cause de la double peine ou envisage le droit de vote des résidents étrangers aux élections locales ?
Alain Morice : C’est encore un peu tôt pour se faire une opinion, mais c’est déjà arrivé dans le passé que les gouvernements plus marqués à droite, et en principe (ce qui est à vérifier) plus influencés par les idées xénophobes de l’extrême droite ont peut-être plus facilement la capacité intellectuelle de comprendre jusqu’ou on ne peut pas aller et de savoir gérer les situations avant qu’elles deviennent totalement intenables. Les déclarations récentes de Sarkozy, concernant la double peine jouent en même temps un rôle d’étouffoir : on n’a plus réellement de raisons de contester quand on entend cela. Mais il dit aussi des choses affolantes : qu’il faudrait négocier des quotas par pays, donc sur des bases racistes, à partir de la " désirabilité " des gens et on sait la situation que cela a donné en Algérie quand on a fermé les portes à l’immigration de personnes qui s’y sentaient mal. Maintenant, à la limite j’ai plus peur encore, car ces discours destinés à endormir l’opinion vont être suivi de politiques qui vont devenir très banales qui consistent à séparer les bons et les mauvais réfugiés. Les mauvais réfugiés étant les économiques, et cette distinction est absurde.
Propos d’Alain Morice recueillis par Pierre Cascade.
Pierre Cascade est militant à Ras l’front, ces articles sont parus ou à paraître dans le journal Ras l’front
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