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Le Parisien

Côte d’Ivoire : le Président se confie au Parisien

Propos recueillis par Philippe Duval

L’interview qui suit est reprise du journal Le Parisien. Les liens avec ce journal et l’article repris sont disponibles à la fin de l’article.

Lundi soir, 20 heures : la nuit est tombée sur Abidjan, qui vit une nouvelle soirée de couvre-feu. Le 4 x 4 blindé qui roule vers la résidence présidentielle de Cocody (avec trois soldats armés de mitraillettes à son bord) ne croise aucun véhicule ni aucune patrouille. Seul (avec son épouse, Simone) dans son palais, Laurent Gbagbo parle. A la fois détendu et passionné. L’entretien va durer 90 minutes.

Si vous aviez en face de vous les chefs rebelles, que leur diriez-vous ?

Laurent Gbagbo
Asseyons-nous et discutons. Débattons de tout, sans tabou.

Certains sont sous le coup de mandats d’arrêt. Etes-vous prêt à les amnistier ?

Il ne faut pas tout confondre. La plupart avaient été condamnés avant même que j’arrive au pouvoir en octobre 2000. Je n’ai rien fait contre eux, et je ne les connais même pas, mais s’ils demandent une amnistie pour laisser la Côte d’Ivoire vivre sa vie tranquillement, on verra. Je ne suis fermé à rien. Mon problème, c’est de libérer mon pays.
« Le seul pays ami que nous avons appelé à l’aide, c’est la France »

Leur désarmement est-il toujours un préalable ?

Ce n’est pas moi qui l’ai réclamé, mais les chefs d’Etat de la Cedeao (NDLR : Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) après leur réunion d’Accra (NDLR : Ghana) . Je réclame simplement la mise en application de cette résolution.

Vous demandez leur cantonnement...

Je ne demande rien d’autre que la paix. Le minimum pour qu’on puisse la retrouver, c’est que l’administration puisse se redéployer sur tout le pays, donc que les rebelles soient ou désarmés ou cantonnés quelque part. Une administration en ordre de marche, c’est la condition pour que l’économie redémarre

Vous voulez un référendum. Et pourquoi pas des législatives anticipées ?

Le référendum, c’est de ma compétence. La Constitution autorise le président à consulter le peuple sur un certain nombre de sujets. Mais je ne peux pas organiser des législatives anticipées, car la Constitution ne permet pas au chef de l’Etat de dissoudre l’Assemblée. Et je ne peux pas violer la Constitution pour faire plaisir à quelques personnes...

« Si une opportunité de négocier s’offre à nous, je choisis la paix »

Parmi ces personnes, il y a l’opposant Alassane Ouattara. Souhaitez-vous qu’il rentre ?

La Constitution interdit d’exiler un homme qui a la citoyenneté ivoirienne, comme M. Ouattara. Comme je ne lui ai jamais demandé de quitter le pays, je ne vois pas pourquoi je lui demanderais de revenir. Mais s’il choisit de rentrer, je ne serai pas à l’aéroport.

Allez-vous vraiment proposer un gouvernement d’union nationale ?

Il faut que la guerre cesse. Le plus important, c’est donc qu’on se mette d’accord avec les rebelles. On a l’habitude en Afrique de rassembler tout le monde. Donc, on le fera. On sort d’un gouvernement d’union. On recommencera l’exercice autant de fois qu’il faut si ça peut aider psychologiquement les gens.

Pour arriver à la paix, vous êtes prêt à aller jusqu’où ?

J’ai écouté les rebelles : ils ont insisté sur des problèmes comme l’éligibilité, la citoyenneté, le foncier rural. Je vais donc interroger le peuple. Nous voulons vraiment bâtir un régime démocratique. Moi, j’y crois.

Accepteriez-vous des enquêtes internationales sur les violations des droits de l’homme ?

Dès la fin septembre, nous avons demandé à l’ONU de venir enquêter en Côte d’Ivoire. Nous sommes un pays en guerre. La guerre n’est pas une bonne chose. Elle crée des réflexes négatifs. Je ferai tout pour qu’on connaisse les responsables des charniers de Bouaké et de Monoko Zohi.

Et les escadrons de la mort ?

L’Etat ne peut pas tout contrôler. Aujourd’hui, le treillis n’est plus un signe distinctif : on peut en acheter partout. Ce n’est pas parce qu’on voit des gens dans cette tenue qu’il s’agit de soldats, de policiers ou de gendarmes. Un exemple : un de nos colonels, qui circulait en civil, s’est arrêté à un barrage tenu par des hommes en treillis. Il a sorti sa carte d’officier, et il a été mitraillé. Sur tout ça, il faut des enquêtes de l’ONU, mais aussi de défenseurs des droits de l’homme. Ils sont les bienvenus.

Où en est votre armée ?

Je suis le quatrième président depuis l’indépendance. La Côte d’Ivoire n’a jamais misé sur son armée. Et cette armée n’a jamais rencontré de conflit ouvert. Aujourd’hui, le pays traverse une crise profonde, ce qui va permettre de corriger beaucoup de choses, et d’envisager la construction d’une véritable armée.

Avez-vous fait appel à des soldats angolais et à des mercenaires ?

Non. Le seul pays ami que nous avons appelé à notre aide, c’est la France. Nous avons acheté des équipements militaires à une société de droit angolais. On en a déduit que nous avions fait appel à des soldats angolais. C’est faux.

Et les mercenaires ?

Au début du conflit, certains amis de la Côte d’Ivoire ont amené des hommes. Je m’en suis rendu compte bien après. Avant que Dominique de Villepin ne me le demande, j’avais décidé de les faire partir. D’ailleurs, la moitié d’entre eux avait déjà quitté le pays. Ce n’était pas une bonne idée. Mais je ne pense pas que leur présence ait fondamentalement modifié le visage du conflit.

Quel est l’état d’esprit de votre état-major ?

Je viens de recevoir les chefs de l’armée. Je leur ai expliqué que, si une opportunité de négocier une paix s’offre à nous, je choisis la paix. Ils ont parfaitement compris.

La démocratie, c’est aussi la lutte contre la corruption ?

Je ne suis au pouvoir que depuis deux ans. En si peu de temps, personne ne peut réussir à transformer un Etat africain en un Etat de droit, en un Etat impartial. Les problèmes sont identifiés : les passe-droits, la corruption qui est l’une des plaies de notre administration. Le fait qu’elle soit commune à beaucoup de pays sous-développés n’est pas une excuse. Nous nous efforçons de donner des salaires un peu plus importants en espérant que la corruption va diminuer, mais je n’en suis pas sûr. La corruption est un manquement intolérable aux droits de l’homme parce qu’elle place le plus faible dans l’impossibilité d’avoir droit aux services auxquels il doit s’attendre. Je n’ai pas encore trouvé la formule magique.
On reproche à votre pays de considérer les immigrés, notamment les BurkinabéS, comme des citoyens de seconde zone. Je ne crois pas que la presse française puisse écrire ça. C’est comme si on disait : en France, les immigrés arabes vivent moins bien que les Français. Ca n’a aucun sens.

On vous accuse de mener une guerre ethnique.

Le 19 septembre, des gens ont pris les armes pour dégommer un régime en quelques heures. Leur coup d’Etat a échoué. Nous les avons éjectés d’Abidjan, mais nous n’avons pas eu assez de forces pour les déloger du pays. Ils ont formé un kyste à Bouaké. Cela a dégénéré. Maintenant, ils cherchent des justifications. Le sigle MPCI est apparu quinze jours après le 19 septembre. Ils ont construit un discours après coup.

Vous avez souvent dénoncé l’implication de vos voisins du Burkina Faso et du Liberia. Avez-vous des preuves ?

Je ne fais que décrire une réalité : des soldats, déserteurs de l’armée ivoirienne avant mon arrivée au pouvoir, sont partis habiter Ouagadougou, au Burkina Faso. C’est là qu’ils se sont entraînés, ont recruté, ont acquis des armes. C’est de là qu’ils sont venus attaquer la Côte d’Ivoire. Sur le front ouest, beaucoup de gens qui attaquent nos villes et nos villages viennent du Liberia. Je ne fais que constater. Les chefs d’Etat de ces deux pays me répondent qu’ils ne sont pas concernés. Je veux bien les croire, mais il y a les faits.

« Si je démissionne, la guerre civile durera plus de dix ans »

La France en fait-elle assez ?

Elle joue sa partition. Nous, on joue la nôtre.

Sans fausses notes ?

Pour avoir une harmonie, il ne faut pas que la main gauche joue sur une gamme et la main droite, sur une autre. On a eu quelques moments difficiles, mais ce n’est plus le cas.

Qu’attendez-vous de Paris ?

Que la France nous aide à sortir de la guerre. Notre attente est toujours la même.

Etes-vous toujours socialiste ?

Bien sûr ! Pourquoi ne le serais-je plus ?

Avez-vous envisagé de démissionner ?

Non. C’aurait été la catastrophe pour la Côte d’Ivoire. Si je démissionne, ce pays va entrer dans une guerre civile qui va durer plus de dix ans. Je ne veux pas de ça.

Propos recueillis par Philippe Duval
Le Parisien , mercredi 08 janvier 2003

Article paru dans Le Parisien à cette adresse : Le président se confie


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