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La chance de l’Iran : les problèmes américains en Irak provoquent un changement régional, par Michael Slackman.








New York Times, Le Caire, 17 février 2007.

Ces dernières semaines, le Président Bush et les autorités militaires américaines ont accusé de plus en plus l’Iran d’interférer dans les affaires de l’Irak.

Mais, vu du côté iranien, étant donné leurs intérêts de longue date en Irak, ce sont maintenant les Etats Unis qui se mêlent de leurs affaires, disent les analystes en Iran et à l’étranger.

Dès le début de l’occupation de l’Irak, certains parmi l’administration Bush ont vu l’occasion de restreindre l’influence des leaders chiites iraniens radicaux ,en établissant un centre chiite alternatif modéré pour neutraliser efficacement Téhéran en termes idéologiques, politiques et stratégiques.

Cela était très clair aux yeux des dirigeants religieux iraniens, dont la priorité principale depuis leur accès au pouvoir en 1979 est de préserver leur révolution et leur emprise sur leur propre pays.

Confrontés à plus de 100 000 soldats américains à côté de chez eux, et une Maison Blanche poursuivant une politique de guerre préventive, les leaders iraniens ont rapidement réagi pour essayer d’empêcher les Etats Unis de gagner une tête de pont permanente.

«  La politique iranienne en Irak fonctionne pour empêcher les USA de se sentir en sécurité, » dit Talal Atrissi, chercheur et écrivain spécialiste des affaires moyennes-orientales basé au Liban. Elle travaille à empêcher la formation d’un gouvernement pro-américain en Irak, favorisant un gouvernement irakien qui au moins ne ressent pas d’hostilité envers l’Iran. »

Alors que les USA considèrent l’Irak comme une entreprise qui affectera leurs intérêts à l’étranger pendant des années, l’Iran partage avec son voisin occupé des liens religieux, culturels, politiques et économiques. Bien que l’Iran soit Perse alors que l’Irak est Arabe, tous deux ont des populations chiites qui fusionnent d’un point de vue religieux et culturel depuis des siècles.

«  Nous sommes là depuis des millénaires, » déclare Reza Alavi, historien et ancien directeur du Harvard Middle Eastern and Islamic Review, dont le grand-père - comme de nombreux chiites iraniens - est enterré dans la ville sainte de Nadjaf.

D’après T.Atrissi, « Les liens historiques, religieux et économiques avec l’Irak font que l’Iran est très désireux d’empêcher les USA d’être la seule autorité en Irak. Ils sentent qu’ils ont le devoir de conserver ces liens, et de protéger leur sécurité nationale menacée par la présence américaine en Irak. »

En termes stratégiques, l’échec américain pour assurer sa position en Irak a fourni à Téhéran une rare occasion pour rétablir l’équilibre des puissances, dans une région qui a longtemps été hostile à ses aspirations.

Avant le 11 septembre 2001, l’Iran était virtuellement encerclé par les états à dominance sunnites de l’Arabie Saoudite, de l’Irak, de l’Afghanistan et du Pakistan, avec la Turquie, membre de l’OTAN, sur son flanc nord.

Maintenant, après la débandade initiale des Talibans en Afghanistan et la démise de Saddam Hussein, ses deux concurrents les plus puissants et agressifs, l’ Iran essaie de s’affirmer comme la puissance régionale dominante.

Défiant le Conseil de Sécurité des Nations Unies, le gouvernement iranien poursuit son programme nucléaire dont il dit qu’il est à but pacifique, mais dont le but, selon l’Occident, est le développement d’armes. L’Iran a renforcé ses liens avec la Syrie, bâti avec la milice Hezbollah un Etat dans un Etat au Liban, et offert son soutien au groupe radical Hamas.

Mais la pierre de touche de son projet régional se trouve à Baghdad.

En termes économiques, l’Iran a intérêt à ce que l’Irak soit stable et animé de bonnes intentions envers Téhéran. Pendant des décennies, au temps de S.Hussein, l’Irak lui était un obstacle économique, un mur qui bloquait les routes commerciales et empêchait les liens avec ses voisins arabes.

Le chaos qui règne en Irak force encore le commerce iranien à transiter par la Turquie. Mais les officiels iraniens disent espérer connecter un jour les chemins de fer iraniens et syriens avec ceux de l’Irak, redessinant l’économie de la région.

Mais les intérêts de Téhéran en Irak dépassent largement l’économie. Ils vont de son désir idéologique d’étendre son influence dans le monde arabe tout entier - dans un élan de soit-disant renaissance shiite - à ses liens avec les peuples et les lieux saints irakiens.

«  Les intérêts de l’Iran et ceux de l’Irak sont étroitement liés. », déclare Farzaneh Roostaee, chef du bureau « étranger » de Shargh, quotidien réformiste très lu, que le gouvernement a interdit l’an dernier. « A la fois géographiquement et religieusement, les deux pays ont de nombreux intérêts communs. Quelques soient les efforts des Américains, ils ne peuvent pas séparer les deux pays. Cela ne marchera pas. »

Les liens s’étendent jusqu’aux sphère politiques. Les deux partis chiites dominants, le DAWA et le Conseil Suprême de la Révolution Islamique Irakienne, ou SCIRI, ont de profondes racines en Iran, où de nombreux dirigeants chiites ont fui pour échapper à la violente répression de S.Hussein, qui s’était intensifiée après la révolution iranienne.

Plusieurs dirigeants du DAWA, parmi lesquels le Premier Ministre Nouri Kamal al-Maliki et un ancien PM, Ibrahim al-Jaafari, ainsi que Abdoul Aziz al-hakim, leader du SCRIRI, ont vécu pendants des années en Iran avant de revenir en Irak après l’invasion américaine. Le SCIRI a été fondé en Iran en 1984, et son aile armée, la brigade BADR, s’est battue avec l’Iran dans cette longue guerre cruelle des années 80.

Le militant religieux Moktada al-Sadr se rend souvent en Iran ; selon des sources américaines officielles, il y est allé cette semaine pour échapper à l’offensive sécuritaire américaine à Baghdad, mais il est vrai que des sources chiites le contestent. Et on dit que la puissante milice de M. al-Sadr a été entraînée par les Iraniens.

Des liens spirituels profonds existent aussi, autour de Nadjaf et Karbala, citées irakiennes au centre de la foi chiite depuis des siècles.

Bien avant que la cité iranienne de Qum ne devienne un carrefour de savoir islamique, Nadjaf était le centre intellectuel des fidèles chiites. Au début des années 1900, les érudits religieux de Nadjaf ont activement exporté ce que nous connaissons sous le nom de révolution constitutionnelle iranienne.

L’ayatollah Ruhollah Khomeini vécut en exil à Nadjaf pendant 12 ans avant de rentrer pour diriger le renversement du Shah d’Iran et la mise en place du système religieux. On dit que l’Imam Ali, gendre et cousin du Prophète y est enterré, et sa tombe est un des sites principaux des pèlerinages chiites.

Dans l’idéologie et la foi chiite, Karbala résonne comme le lieu du martyre de Hussein, petit-fils du Prophète, et de ses disciples, aux mains d’un armée Sunni bien supérieure en nombre. Sa tombe se trouve à Karbala, et sa mort sur le champ de bataille sont centrales dans les notions chiites de justice, de sacrifice personnel et de résistance à l’oppression.

Les centres religieux ont une telle importance aux yeux des Iraniens que des foules d’entre eux visitent encore les sanctuaires, même parmi le chaos et les bains de sang qui règnent en Irak aujourd’hui.

«  Il y a encore beaucoup d’Iraniens des classes moyennes inférieures qui désirent se rendre en Irak, » déclare R. Alavi en Iran. « Pour eux, c’est super important. Comme ils le disent, ils veulent "embrasser les pieds de l’Imam Hussein’. »


Ces liens avec l’identité religieuse et révolutionnaire de l’Iran, combinée à la présence des troupes américaines en Irak, et celle de milliers de soldats de l’OTAN en Afghanistan, sont une justification amplement suffisante pour que l’Iran essaie de contrer l’influence américaine chez leur voisin, pensent les politologues de la région.

« Il n’est pas logique que les Américains soient présents en Irak alors que l’Iran ne fait rien, attendant la formation d’un gouvernement irakien hostile à l’Iran, » déclare T. Atrissi. « Du point de vue iranien, l’Iran est un pays qui défend sa propre sécurité. »

Michael Slackman, avec Nazila Fathi de Téhéran et Nada Bakri de Beirout.


 Source : www.nytimes.com

 Traduction : J-L.M. pour Le Grand Soir.




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 Dessin : Pedro Mendez Suarez


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