IPS, Bujumbura, 26 janvier 2007.
Alors que la malnutrition est en hausse au Burundi, consécutivement à la famine qui frappe l’ensemble du pays, la spiruline, une algue aux qualités nutritionnelles et thérapeutiques exceptionnelles, peu connue ou peu exploitée en Afrique, pourrait être une solution locale à cette crise alimentaire.
Même si aucun bilan officiel n’a encore été établi, la famine sévit notamment dans 10 des 17 provinces du pays, et a déjà fait 134 morts dans la province de Kayanza (nord du Burundi), où 2.189 écoliers ont abandonné l’école et d’où plusieurs familles ont fui, selon des organisations humanitaires souvent appelées au secours par des autorités provinciales. Cinq autres personnes sont mortes de faim à Cibitoke, dans l’ouest du pays.
Déjà consommée par les Aztèques du Mexique, la spiruline a du succès en Inde, mais elle est connue également dans certains pays africains, comme le Burkina Faso, le Niger, le Bénin et le Sénégal, selon le ’Rapport du mini-colloque sur la production de spiruline artisanale’, tenu à Mialet, en France, en 2002.
Cette algue que les scientifiques appellent "Cyanobactérie Arthrospira platensis", pousserait bien au Burundi et pourrait sauver plus de 800.000 personnes souffrant de carences nutritionnelles, selon Prosper Kiyuku, spécialiste en microbiologie et professeur à la Faculté des sciences agronomiques de l’Université du Burundi.
"La spiruline présente les caractéristiques d’un aliment complet : protéines en proportion aussi considérable que dans le soja, vitamines, sels minéraux, glucides, oligo-éléments et acides gras essentiels. Très digeste et assimilable, elle se mélange aisément à tous les aliments", explique le professeur Kiyuku à IPS.
Dix grammes par jour, par enfant, suffisent pour éliminer une malnutrition sévère. Avec une bouillie composée de soja, maïs et ou de sorgho, consommée régulièrement, l’amélioration est attendue au douzième jour et l’enfant est nourri tout un mois. Mais avec la spiruline, l’amélioration apparaît dès le quatrième jour, suivi d’un regain de poids complet au dixième jour, ajoute-t-il.
En plus de sa valeur nutritive, la spiruline est également réputée pour sa valeur médicinale. Elle agit dans le sens du renforcement du système immunitaire, selon des spécialistes. Elle a été déjà recommandée aux personnes malades du SIDA dans certains pays car elle leur redonne plus de force pour éviter les troubles dus à la dose des médicaments administrés contre des infections opportunistes.
La spiruline est également connue en Europe pour des usages thérapeutiques et cosmétiques depuis les années 1980. Des masques de beauté à base de spiruline sont produits par la société Technature, près de Brest, en France. Des tests sont également en cours pour prouver son efficacité contre le cancer, selon le rapport du mini-colloque de Mialet.
Pauvreté, ignorance, mentalité et manque de sensibilisation se combinent pour freiner la promotion de la spiruline au Burundi. Contactés par IPS à Bujumbura, la capitale, certains médecins, nutritionnistes ou scientifiques avouent leur méconnaissance de la spiruline, tandis que d’autres la connaissent vaguement.
Dans le centre nutritionnel de Mugina, dans le nord-ouest de ce pays des Grands Lacs, le nombre de patients augmente chaque mois depuis que la famine sévit dans cette contrée, passant de 132 à 187 personnes, de septembre à décembre 2006.
A la question de savoir si la spiruline est connue dans ce centre, Jean Bosco Mihigiro, son directeur, répond avec étonnement : "De la spiruline, je n’ai jamais vu ou entendu parler. Nous leur donnons seulement du lait thérapeutique ou alors de la bouillie faite de maïs et de soja. Nous leur recommandons aussi de manger de la canne à sucre. Des fois aussi, nous leurs servons du Ndagala (une sardine locale)".
D’autres personnes affirment connaître la valeur nutritive de la spiruline, mais ajoutent qu’elles n’ont pas de moyens financiers pour en produire. C’est le cas Charles Bigirindavyi qui est responsable d’une organisation non gouvernementale (ONG) "Réseau Afrique 2000 Plus", basée à Bujumbura, qui vole au secours des populations très vulnérables de la province de Karuzi, dans le centre du pays.
"Je sais que la spiruline redonne de la force et corrige tout ce qui est dû à un manque de protéines et d’oligo-éléments. Elle donnerait de l’espoir pour les femmes séropositives que nous encadrons à Karuzi. Mais nous n’avons pas de moyens pour en cultiver nous-mêmes, puisqu’on n’en trouve pas au marché burundais", a indiqué Bigirindavyi.
Pour D’hondt Dirk, représentant de "Terre et Eau au Burundi", une ONG locale opérant dans le développement rural, le problème de production de la spiruline va au-delà des moyens financiers. C’est également un problème de mentalité.
"Les Burundais sont réticents pour tout changement dans leur alimentation. Peut-être, ne sont-ils pas encore sensibilisés. Nous avons fait notre premier essai en 1998, le deuxième en 2005, et voilà neuf ans après, ils manifestent encore peu d’intérêt pour la spiruline", déplore Dirk.
Pourtant, affirme Kiyuku, la spiruline n’exige pas de gros investissements, indiquant qu’un petit budget de 400 dollars suffit pour cultiver la spiruline sur un bassin de quatre mètres carrés et produire 100 grammes par jour. Le producteur burundais ne devrait pas s’inquiéter non plus des conditions écologiques de l’algue, ajoute-t-il.
La spiruline pousse bien naturellement dans le Lac Dogodogo, à Cibitoke, dans l’ouest du pays, et l’unité de production mise en place à Kanyosha, au sud de Bujumbura, prouve bien que les conditions de sa culture sont réunies, notamment dans la plaine de l’Imbo.
"La spiruline a besoin d’eau, de la lumière, de la chaleur et les éléments essentiels à la vie des plantes : carbone, azote, phosphore, potassium, fer, magnésium", explique Kiyuku. "Des cendres d’eucalyptus et de palmier à huile peuvent être utilisées parce que contenant du potassium et de phosphore dont la spiruline a besoin".
Dr Gaston Legrain, coordonnateur du Programme conjoint des Nations Unies sur le VIH/SIDA au Burundi, a exprimé son soutien à toute initiative de production de la spiruline. A son initiative, une réunion d’information et de sensibilisation s’est déroulée en décembre dernier sur le VIH/SIDA et la spiruline.
Dirk et Kiyuku saluent cette initiative de Legrain et appellent d’autres organisations intervenant dans la nutrition et la lutte contre le VIH/SIDA à lui emboîter le pas pour soutenir la recherche et la production de la spiruline au Burundi. Un programme de sensibilisation aux qualités nutritionnelles et thérapeutiques de la spiruline devrait être mis en place au Burundi, estiment-ils.
Le problème de malnutrition tend à s’aggraver au Burundi, mais des spécialistes affirment que le pays pourrait bien limiter les dégâts sur la population si la spiruline était cultivée de façon organisée et continue. Ce qui contribuerait à réduire la faim et l’extrême pauvreté dans le pays conformément au premier objectif du millénaire pour le développement. (FIN/2007)
Jérôme Bigirimana
– Source : IPS www.ipsinternational.org
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