Daphné, Bernadette, Chrystelle, Stéphanie et Joëlle, employées dans un hard discount du vêtement ont été licenciées après avoir subi un insupportable harcèlement moral au travail.
L’ Humanité, Moissac (Tarn-et-Garonne), correspondant régional, 28 novembre 2006.
C’est une affaire grave de harcèlement moral au travail dont sont victimes cinq des six employées du magasin Distri-Center de Moissac. Après des mois et des mois d’insultes répétées, de pressions et de menaces diverses de la part de la responsable du site, elles décident en août dernier de porter plainte à la gendarmerie. « On ne pouvait plus travailler dans la terreur. » Toutes, ainsi que leurs entourages, craignent alors pour leur santé physique et morale. Daphné Bonnans, 33 ans et trois ans d’ancienneté, est adjointe à la responsable du magasin. Bernadette Favresse, 41 ans, un an et demi d’ancienneté, Chrystelle Chanche, 27 ans, quatre ans d’ancienneté, Stéphanie Gutierrez, 30 ans, et depuis trois ans au magasin de Moissac, travaillent comme vendeuses et responsables de rayon. Joëlle Lopez, 38 ans, est caissière avec un contrat à durée déterminée depuis un an.
La direction invente une prétendue conspiration.
Au retour des congés d’été, elles espèrent encore que la direction nationale de cette chaîne hard discount du vêtement et de la chaussure, dont le siège social est situé à Saint-Aubin-du-Cormier (àŽlle-et-Vilaine), plusieurs fois alertée par courrier, daigne enfin les entendre et « mettre fin au management déshumanisant et violent » qu’elles subissent. La réponse franchit l’insupportable quand, le 12 et le 27 octobre derniers, elle parvient sous forme de cinq lettres de licenciement. Pour faute grave, sans préavis, ni indemnités de rupture. La direction nationale n’hésite même pas à inventer une prétendue conspiration pour motiver sa décision. « Un tel complot organisé, précise-t-elle, dans le seul but de nous contraindre à se séparer de la responsable du magasin est parfaitement inadmissible. » Contactée vendredi dernier par téléphone pour donner sa version des faits, la direction de la société Distri-Center refuse toute communication avec la presse.
Pas un mot sur les souffrances morales accumulées par les cinq femmes. Pour la plupart confrontées à des situations sociales ou personnelles difficiles, quatre sont mères de familles. Bernadette et Chrystelle élèvent seules leurs enfants à charge, respectivement trois et deux enfants.
« incitée » à pousser sa collègue à la démission
Cela fait quatre ans que ça dure, depuis la nomination de l’actuelle responsable du magasin. Stéphanie, la plus ancienne, se souvient encore de cette insulte en présence de la clientèle parce qu’il manquait trois étiquettes sur un lot de cinquante tee-shirts. « Tu es bonne à rien, tu es incapable, ai-je entendu, je n’ai rien dit, humiliée, j’ai continué mon travail. » Plus tard, la jeune employée est « invitée » à aller ramasser des fruits. « Tu n’es bonne qu’à ça comme ta famille, ou bien mets-toi en arrêt maladie que je prenne quelqu’un de plus compétent que toi », lui assène-t-on.
Les menaces et les provocations vont crescendo au fil des semaines. Jusqu’aux injures et à ces mots qui blessent profondément parce qu’ils visent la vie privée ou le physique des salariées. L’une des mères s’entend dire publiquement : « Si tu as des problèmes avec ta fille, tu n’as qu’à démissionner pour les résoudre. » Une autre voit ses congés d’été réduits à une semaine car « ils sont réservés à celles qui ont des enfants et toi tu ne t’occupes pas de la tienne ». Après des démissions successives de plusieurs collègues, Daphné est à son tour nommée adjointe à la responsable du magasin. Cette dernière dirige alors son agressivité contre sa nouvelle adjointe. Elle hissera l’odieux jusqu’à la traiter de « conne et de grosse ». Daphné est même « incitée » à faire craquer Bernadette en la surchargeant de travail pour la pousser à la démission. Ce qu’elle refuse et qui lui vaut les foudres de la chef. A tour de rôle, ou collectivement, les cinq employées sont dans le collimateur de la violence hiérarchique. Si elles ne la supportent pas, elles n’ont qu’à démissionner. Tel est l’intolérable chantage sans cesse exercé sur ces femmes au travail.
Dès les premiers jours d’août, au retour des congés de la responsable du Distri-Center de Moissac, les violences verbales reprennent y compris avec des menaces physiques. Bernadette, Joëlle, Chrystelle, puis Daphné et Stéphanie n’arrivent plus à reprendre normalement leur travail. Elles sont arrêtées pour état dépressif par leur médecin respectif. Elles tentent une ultime négociation avec l’employeur pour un retour à de meilleures conditions de travail. Pas de réponse, si ce n’est une demande de contrôle médical.
Pendant longtemps, Daphné était persuadée qu’au siège national ils n’étaient pas au courant du vécu réel à Moissac. « Je suis maintenant convaincue qu’ils complotent depuis le début, que notre chef avait le feu vert national pour nous faire craquer jusqu’à la démission. » Elles ne résistent que grâce à leur solidarité. « A chaque clash, on s’est soutenues. »
Rassemblement prévu le 9 décembre à Moissac.
Plusieurs fois, les cinq employées alertent un responsable régional sur l’enfer qu’elles vivent au travail. Elles s’adressent à la direction nationale de Distri-Center. Rien ne change, les patrons au plus haut niveau de cette chaîne commerciale, qui compte environ 120 magasins en France et 1 250 salariés, restent insensibles aux témoignages et aux souffrances de leurs employées. Des salariées toujours payées au SMIC horaire avec des heures supplémentaires non payées. Chrystelle en a recensé 366 en deux ans. Bernadette, 305 pour une seule année.
Fortes des témoignages, des preuves qu’elles détiennent, et de leur soutien respectif, elles sont intervenues auprès de l’inspection du travail et de la médecine du travail pour demander du soutien. Elles s’avouent déçues par le peu de dispositifs prévus pour aider des salariés victimes de harcèlement au travail. Aujourd’hui, une enquête semble en cours après leur dépôt de plainte à la gendarmerie, mais elles n’en savent guère plus.
« Oui, nous voulons coûte que coûte sauver notre dignité, nous avons décidé de nous bagarrer jusqu’au bout pour cela et toutes ensemble, car seule on s’y casserait les dents.. Daphné, Bernadette, Chrystelle, Stéphanie, et Joëlle se sont rendues un jour de septembre à l’union locale CGT de Castelsarrasin. Avec leur syndicat, elles appellent la population et les clients du hard discount de la fringue à un rassemblement le 9 décembre prochain devant le magasin de Moissac.
Alain Raynal
– Source : L’ Humanité www.humanite.fr