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Nicaragua, élections du 5 novembre : retour probable de la gauche. Patrice Lemieux Breton, François Houtart, Jean-Luc Mélenchon.





Élections du 5 novembre au Nicaragua



Dérives populistes du Front sandiniste, par Patrice Lemieux Breton


Presse-toi à gauche ! , mardi 31 octobre 2006.


Cette semaine s’achève la campagne électorale qui ramènera probablement à la présidence du Nicaragua le chef « incontestable » du Front sandiniste de libération nationale (FSLN), Daniel Ortega, même si le FSLN de 2006 n’est qu’une triste caricature du parti qui a mené le peuple nicaraguayen à la révolution à la fin des années ’70.

Après avoir été battu aux trois dernières élections (1990, 1996 et 2001), Ortega semble en bonne position pour l’emporter le 5 novembre malgré de profondes divisions au sein du mouvement sandiniste et malgré de nombreux scandales : un sondage de la firme Cid-Gallup rendu public le 26 octobre (Reuters, 29 octobre) lui attribue 33% des intentions de vote, en avance de 11 points sur Eduardo Montelalegre, un ancien banquier candidat de l’Alliance libérale nicaraguayenne, et de 16 points sur l’autre candidat de la droite et vice-président sortant, José Rizo (Parti libéral constitutionnaliste).

Depuis 2000, 40% des votes sont nécessaires pour gagner l’élection présidentielle, mais 35% peuvent suffire si l’avance du meneur est d’au moins 5%. Ortega pourrait donc l’emporter dès le premier tour. Si un deuxième tour était nécessaire, certains analystes estiment que la droite pourrait être favorisée en raison des clivages entre les différentes factions de gauche. En revanche, les clivages à droite favoriseraient Ortega au premier tour.

Historiquement incapables de ne pas se mêler de la politique nicaraguayenne, les Etats-Unis soutiennent ouvertement Montealegre et menacent le peuple nicaraguayen des pires calamités advenant l’élection d’Ortega. Le candidat Rizo ne trouve pas grâce lui non plus aux yeux de Washington, surtout en raison de son amitié ouverte avec l’ancien président Arnoldo Alemán (1996-2001), condamné à 20 ans de prison pour différentes affaires de corruption. L’ambassadeur états-unien Paul Trivelli a donc travaillé à former une alliance de droite autour de Montealegre, ce dernier se montrant notamment plus favorable aux intérêts des multinationales états-uniennes.

Difficile de savoir combien les Etats-Unis ont pu investir dans la campagne de Montealegre. Ortega, pour sa part, se targue de recevoir l’appui du président vénézuélien Hugo Chávez, promettant une pluie de pétrole (dont dépend le Nicaragua pour 80% de sa production énergétique) sur le pays s’il est élu. Le 7 octobre dernier, le Venezuela a envoyé 319 000 litres de gasoil au Nicaragua à la demande d’Ortega, en pleine crise énergétique.


Populisme sandiniste

Le FSLN mise toujours sur son aura révolutionnaire pour séduire l’électorat. L’extrême pauvreté que subit une majorité de Nicaraguayens et Nicaraguayennes est une arme des sandinistes contre les partis de droite qui se succèdent au pouvoir depuis 1990. 75% de la population vivrait encore avec moins de deux dollars par jour alors que l’émigration au Costa Rica et de plus en plus au Salvador s’intensifie pour y trouver du travail. Dans son programme de gouvernement, le FSLN écrit : « Le Front est né pour lutter pour la liberté. C’est dans sa nature. Son existence n’aurait pas été nécessaire s’il n’y avait pas eu de pauvreté et d’exploitation. La Révolution s’est faite avec ce nord. Chasser le dictateur n’était pas une fin, c’était le moyen de pouvoir développer la justice sociale. »

Les rappels du passé sont nombreux dans la propagande sandiniste, mais ils cachent mal toutes les contradictions du FSLN. Le cas le plus éloquent est sûrement sa toute nouvelle opposition à l’avortement thérapeutique, alors qu’il était jadis en faveur de l’avortement (aujourd’hui illégal au Nicaragua). Le 26 octobre, l’Assemblée nationale a adopté une loi annulant l’article du Code pénal qui, depuis 1893, affirmait la légalité de l’avortement thérapeutique. Le président sortant Enrique Bolaños recommandait une peine de 30 ans de prison pour les femmes qui se faisaient avorter et les médecins qui l’y aidaient. La peine variera finalement de quatre à huit ans de prison.

De tous les partis en lice, seul le MRS (Mouvement de rénovation sandiniste) se porte encore à la défense de l’avortement thérapeutique, au risque de déplaire à l’Église officielle et à une bonne partie de l’électorat attaché à des vieux préceptes religieux réactionnaires.

Voilà bien un exemple de populisme incompatible avec les idéaux de gauche que prétend représenter le FSLN. Le sandiniste René Núñez, président actuel de l’Assemblée nationale, a rappelé à 10 000 manifestants et manifestantes catholiques et protestants que « le [FSLN] s’engage avec vous, avec les évêques et l’Église catholique du Nicaragua et avec les pasteurs de l’Église évangélique, à trouver le chemin le plus rapide [pour rendre l’avortement thérapeutique illégal] en réformant le Code pénal » (Radio La Primerà­sima, 13 octobre 2006). Dans son programme de Gouvernement de réconciliation et d’unité nationale, le FSLN ose tout de même affirmer vouloir « promouvoir et défendre les droits des femmes, sans exception ».


Divisions au sein du mouvement sandiniste.

Les deux autres candidats à la présidentielle sont deux dissidents sandinistes. Edén Pastora (l’ancien comandante Cero qui a mené la prise d’otages au Palais national en 1978) irait chercher 1% des votes pour l’Alternative pour le changement. C’est l’autre candidat qui suscite plus d’espoirs chez les sandinistes déçus et plusieurs groupes sociaux : Edmundo Jarquà­n représente le Mouvement de rénovation sandiniste (MRS) et est crédité de 13% des intentions de vote. Ancien ambassadeur sandiniste puis haut fonctionnaire de la Banque interaméricaine de développement, il a remplacé à pied levé le candidat vedette Herty Lewites décédé d’une crise cardiaque en juillet dernier.

A noter que Lewites, sûrement le maire le plus populaire de l’histoire du pays, aurait bien aimé remplacer Ortega pour représenter le FSLN aux élections. Mal lui en prit. En mars 2006, un congrès extraordinaire du FSLN décidait de faire annuler carrément les élections primaires. Les membres du FSLN ne pourront plus jamais élire leur candidat à la présidence. Ortega justifiait la décision en déclarant que « les élections primaires causaient beaucoup de problèmes en raison de l’érosion énorme et des frictions qu’elles entraînent au sein des sandinistes » (envio.org.ni).

Le MRS constitue une alliance électorale qui regroupe plusieurs sandinistes de la première heure (au sein du Mouvement de sauvetage du sandinisme) dont des commandants révolutionnaires (Và­ctor Tirado, Henry Ruiz, Luis Carrión) et des commandants de la guérilla, des artistes comme le poète national et ancien ministre de la Culture Ernesto Cardenal et Carlos Mejà­a Godoy (candidat à la vice-présidence) ainsi que plusieurs militants et militantes de la base. Le MRS inclut également le Parti socialiste nicaraguayen, le Parti d’action citoyenne, le Parti vert écologiste, l’association Cambio-Reflexión-Ética-Acción et, entre autres, le Mouvement autonome des femmes.

Pour le moment, le MRS ne représente pas une menace sérieuse pour le FSLN. Ses membres tentent avant tout d’exprimer le dégoût d’une bonne partie de la population nicaraguayenne qui se sent trahie par les dirigeants du FSLN après avoir participé à la lutte sandiniste des années ’60, ’70 et ’80. En fait, le MRS n’en a pas contre le sandinisme (dont il se réclame toujours), mais plutôt contre le « daniélisme ».


Le sandinisme des années "80

Le sandinisme, dans le contexte de la lutte contre la dictature des Somoza, ce fut d’abord un mouvement articulé autour de trois tendances regroupées dans un parti, le Front sandiniste de libération nationale : 1) les partisans de la lutte populaire prolongée, 2) les partisans de la lutte politique (avec organisation des masses et prolétariat à la direction du mouvement révolutionnaire), 3) les partisans de l’alliance avec l’opposition bourgeoise.

C’est grâce au travail sur ces trois fronts que le FSLN chassait du pouvoir le dernier des Somoza en juillet 1979, au terme d’une lutte de presque deux décennies, mettant un terme à une dictature de près de 43 ans soutenue par les Etats-Unis. Les sandinistes, dirigés par Daniel Ortega, pouvaient mettre leur projet « révolutionnaire » en branle : augmentation de l’accès aux services d’utilité publique comme l’eau potable, l’énergie électrique et le transport public ; nationalisation du système bancaire ; ouverture de l’accès au crédit pour les entreprises de l’État et pour les producteurs et coopératives agricoles ; création d’entreprises d’État dans les domaines agricoles, de l’industrie manufacturière et du commerce ; expropriation de grands propriétaires terriens (dont la famille Somoza) et redistribution des terres à quelque 80 000 familles ; campagne d’alphabétisation nationale faisant chuter le taux d’analphabétisme de 50% à 13% ; restauration des libertés civiles ; abolition de la peine de mort ; légalisation des partis politiques, etc.

Toute la planète semblait saluer les impacts positifs des politiques sandinistes. Même la Banque mondiale qui affirmait que « les projets étaient extraordinairement profitables (successfull) au Nicaragua dans quelques secteurs, plus que n’importe où dans le monde ». C’était jusqu’à ce que Reagan, nouvellement élu président des Etats-Unis, décide de s’attaquer aux vilains communistes, de financer la contre-révolution, de faire pression sur les États et les institutions financières pour qu’ils cessent de soutenir le gouvernement nicaraguayen, d’imposer un embargo économique, autant de mesures pour lesquelles les Etats-Unis seront condamnés en 1986 par la Cour internationale de justice.

Le mal était déjà fait. Avec des coffres vides (60% du budget consacré à l’effort de guerre) et des mesures impopulaires comme le service militaire obligatoire, le FSLN ne pouvait plus répondre aux aspirations du peuple nicaraguayen. Aux élections de 1990, la population a voté pour l’Union nationale d’opposition dirigée par Violeta Chamorro, candidate des Etats-Unis. Le message était clair : soit vous votez pour les sandinistes et ainsi la guerre et l’embargo économique se poursuivront, soit vous votez pour Chamorro et l’aide internationale pleuvra sur votre pays.


Le sandinisme des années "90

Après les élections de 1990, avant la prise du pouvoir par Chamorro, les dirigeants sandinistes ont cru bon de s’attribuer des terres, des maisons, des entreprises qui avaient été confisquées par le gouvernement au début des années ’80, pour un total variant de 300 millions à deux milliards de dollars selon les estimations (countrywatch.us). 24 millions auraient été transférés à Ortega et ses proches associés par la Banque centrale du Nicaragua. Les sandinistes se lançaient alors en affaires, consacrant la création d’une élite économique au sein du parti et l’adhésion à un « réalisme politique » justifié par le besoin de maintenir une forme de pouvoir dans la société et par les échecs des régimes communistes d’Europe de l’Est.

Plus tard, en 1998, Ortega donnait son appui au Bloc des entrepreneurs sandinistes, une tendance de droite au sein du FSLN. C’est à cette époque que commençait la négociation du Pacte entre Ortega et Arnoldo Alemán (PLC) qui allait mener à des réformes électorales et constitutionnelles en 2000. Ces réformes visaient essentiellement à assurer la mainmise des deux principaux partis sur les institutions de l’État dont la Cour suprême et le Conseil électoral.

Le naufrage éthique du FSLN, symbolisé par ce Pacte avec un des chefs d’État les plus corrompus de l’histoire récente des Amériques, a poussé l’ex-députée sandiniste Monica Baltodano à la démission. (La otra cara del sandinismo, puntofinal.cl). Selon elle, avec le Pacte, Ortega s’engageait aussi « à démobiliser les forces sociales et à neutraliser la lutte populaire. Il mettait fin à la résistance contre les privatisations, les politiques du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, et les plans d’ajustement structurel ». Pas surprenant que le FSLN ait finalement appuyé cette année le Traité de libre-échange avec les Etats-Unis après avoir changé de position à quelques reprises.

Toujours selon Baltodano, une des pires erreurs du FSLN fut la récupération des différents mouvements sociaux à des fins personnelles. Partie prenante du processus révolutionnaire dans les années ’80, ils restèrent liés au FSLN au début des années ’90 pour résister au néolibéralisme émergent. Beaucoup des confrontations entre les groupes sociaux et le gouvernement se terminaient alors par des négociations au sommet où "la légitimité de la lutte et du leadership des dirigeants populaires [était remplacée] par le leadership d’Ortega et la "priorisation" de ses intérêts personnels". Les mouvements sociaux ont ainsi été incapables d’obtenir quelque gain significatif dans l’intérêt de la population.

C’est là un autre signal envoyé au peuple disant que le changement social au Nicaragua ne pourra passer que par la lutte électorale. Dans le contexte actuel, pour bloquer la droite, le FSLN apparaît malheureusement comme la seule option à court terme pour ceux et celles qui croient que Daniel et sa clique ne seront pas éternels.

Patrice Lemieux Breton


 Source : Presse-toi à gauche !www.pressegauche.org



Elections au Nicaragua. Existe-t-il une gauche au Nicaragua ? par François Houtart


La Jornada, 28 octobre 2006.


A la veille des élections, on peut se demander s’il existe réellement une gauche au Nicaragua. Cependant, cette interrogation dépasse les frontières de ce pays d’Amérique centrale et pose le problème de l’ensemble des pays latino-américains.

Dans la campagne électorale nicaraguayenne, quatre partis se présentent de façon prédominante : deux partis libéraux et deux partis qui se réfèrent au sandinisme. Les deux partis libéraux sont clairement de droite. Il s’agit d’une part du parti libéral qui a pour candidat Montealegre et l’autre, le Parti Libéral Constitutionnaliste (PLC, Partido Liberal Constitucionalista), dont le candidat est Monsieur Rizo. Le premier parti est lié à l’actuel président de la République, Enrique Bolaños, propriétaire terrien et chef d’entreprise d’origine conservatrice et l’autre se situe dans la lignée de Monsieur Alemán, de sinistre réputation. La division entre ces deux partis est plus personnelle qu’idéologique. Le parti de Montealegre a une base traditionnelle de type clientéliste beaucoup plus grande que l’autre parti libéral.

Malgré les efforts des Etats-Unis pour arriver à l’unité des deux partis libéraux, ce qui pourrait amener à la victoire électorale de la tendance politiquement proche d’eux et économiquement en accord avec la logique néolibérale, les deux partis n’ont pas pu se s’unir jusqu’à maintenant. Face à la division de l’opposition sandiniste, une telle unité pourrait garantir la consolidation du processus actuel.

Les courants sandinistes sont représentés par le Front sandiniste de Libération Nationale (FSLN, Frente Sandinista de Liberación Nacional) et par l’alliance Mouvement Rénovateur Sandiniste (MRS, Alianza Movimiento Renovador Sandinista). Ce dernier est gratifié dans les sondages de plus ou moins 15 % des voix. Le MRS se présente comme une force de gauche, inspirée par la grande tradition de la lutte de Sandino. En fait, les déclarations de ses dirigeants et les documents du parti ne permettent pas d’être très sûr du caractère de gauche de ce parti. Le candidat à la présidence est un ancien fonctionnaire de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) et tant la politique intérieure que les positions face à la conjoncture latino-américaine d’aujourd’hui n’offrent beaucoup de garanties dans ce sens.

Ses principales critiques envers le Front sandiniste sont l’autoritarisme qui prévaut à l’intérieur du parti (le danielisme, en référence au leader du FSLN, Daniel Ortega) ; le manque d’éthique de plusieurs dirigeants, l’alliance douteuse établie avec le parti de l’ex-président Alemán (le Pacte) et sa réconciliation à sens unique avec une hiérarchie ecclésiastique qui ne reconnaît aucune erreur. Il ne fait aucun doute que ces critiques sont en grande partie pertinentes. Cependant, elles auraient plus de crédibilité si le MRS présentait une réelle perspective de gauche, comme le Parti du Socialisme et de la Liberté (PSOL) au Brésil. On ne peut accuser le mouvement d’être un laquais des Etats-Unis, comme celal a été dit. Cependant, il ne fait pas de doute que le fait de diviser l’opposition ne peut que favoriser le projet impérial sur la région. C’est ce qui s’est manifesté avec la visite en septembre du sénateur Burton (célèbre pour la loi Helms-Burton qui renforce l’embargo contre Cuba), durant laquelle il exprima clairement le désir de ne rencontrer que le Parti libéral de Montealegre et le MRS.

Analyser la situation en termes de gauche ne permet pas d’abandonner une analyse de classe. De fait, le MRS est avant tout une initiative de classe moyenne et moyenne haute, avec des personnalités de haut niveau intellectuel et moral, où la dimension éthique immédiate prédomine sur le politique.

Pour sa part, le Front sandiniste a été lésé par plusieurs facteurs. Le premier a été le manque d’éthique de plusieurs de ses actuels et anciens dirigeants. La deuxième raison a été la logique des alliances politiques constituantes de la démocratie parlementaire, afin de garantir des quotes-parts de pouvoir, qui ont amené à des contradictions insupportables politiquement et éthiquement. Cependant, le Front sandiniste a un soutien populaire réel. Il a aussi un programme de gouvernement plus clairement de gauche qui inclut un rapprochement avec l’axe progressiste latino-américain. Dans la situation actuelle de l’Amérique centrale, un tel aspect politique est fondamental face à la domination néolibérale promue par les intérêts nord-américains alliés aux classes compradoras [1]en Amérique centrale.

A titre de conclusion nous pouvons proposer quelques considérations. De fait, il n’existe pas de partis vraiment de gauche au Nicaragua, mais celui qui s’approche le plus de cette perspective est le Front sandiniste. Laisser la voie ouverte au triomphe du libéralisme politique dans le pays et de la ligne néolibérale des Etats-Unis dans la région, serait suicidaire pour ceux qui veulent construire une société sur d’autres bases, c’est à dire une alternative de gauche.

La problématique nicaraguayenne pose, de plus, un problème de fond : quelle est la logique de la démocratie parlementaire, qui dans son fonctionnement tue les objectifs (transformer la société) pour privilégier les moyens (accéder au pouvoir), ce dernier devenant un objectif ? C’est la logique électorale qui s’impose, les partis (même ceux qui se disent de gauche) agissent en fonction des élections, oubliant tant la réflexion de fond sur ce qu’est un projet de gauche, que la formation de ses cadres.

Les élections nicaraguayennes permettent aussi de réfléchir à l’importance centrale de l’éthique en politique, qui peut se situer à trois niveaux.

En premier lieu, l’éthique de la vie, c’est à dire, comme le dit Enrique Dussel, la reproduction et le développement de la vie humaine. Le système actuel est un facteur de mort. Au Nicaragua, ses effets sont dramatiques. Face à un développement spectaculaire de 15 à 20 % de la population, se sont créées une vulnérabilité forte de la classe moyenne et une extension de la misère et de la pauvreté dans la paysannerie et dans les populations urbaines du secteur informel. C’est l’ensemble du système néolibéral qui construit ce modèle, non seulement son système économique mais aussi politique et culturel. La lutte contre le néolibéralisme est l’impératif moral le plus important. Il s’agit du niveau éthique qui doit orienter tous les autres et qui constitue la base de toute gauche quelle qu’elle soit.

L’éthique interne aux systèmes politiques (partis), est un second niveau qui a aussi son importance. L’opinion populaire est sévère sur ce point. Le manque d’éthique politique a eu un prix, tant au Brésil qu’au Nicaragua pour le Front sandiniste. Il s’agit autant de l’organisation démocratique interne que du rejet de toutes les pratiques de corruption ou d’alliances qui contredisent les principes.

Le troisième niveau est l’éthique personnelle des acteurs politiques. Nous avons vu dans de nombreux cas, et particulièrement au Nicaragua, que cette éthique-là compte aussi et que le prix politique de son absence peut être élevé.

Pas de doute que pour une position de gauche, les trois niveaux de l’éthique comptent. Cependant, c’est le premier niveau qui doit être la base fondamentale de tout jugement politique. Les deux autres doivent être revendiqués de façon permanente, mais en subordination au premier niveau. Ceci a des conséquences pour les élections au Nicaragua, où l’accent mis par le MRS sur les deux derniers niveaux de l’éthique pourrait en finir avec le premier, c’est à dire une victoire de la droite.

François Houtart


 Source : La Jornada www.jornada.unam.mx, 28 octobre 2006.

Cet article de François Houtart, publié d’abord en espagnol, a suscité des réactions :

- Mónica Baltodano, de l’Alliance Mouvement rénovateur sandiniste : ¿Nicaragua sin izquierda ?, Rebelion.

- Sergio Ramirez, fondateur du Mouvement rénovateur sandiniste, ancien vice-président du Nicaragua : Élections au Nicaragua 2006 : péchés véniels, La Insignia / Tlaxcala.


 Traduction : Cathie Duval, pour le RISAL www.risal.collectifs.net.

 Source : RISAL - Réseau d’information et de solidarité avec l’Amérique latine
http://risal.collectifs.net



Exotisme ? par Jean-Luc Mélenchon


Le Blog de Jean-Luc Mélenchon, vendredi 3 novembre 2006


Au restaurant du Sénat (mais oui !) j’ai croisé mon collègue Jean Desessart, Sénateur Vert de Paris qui déjeunait avec une délégation de camarades de la gauche Colombienne.

Le Pôle Démocratique Alternatif. Qu’est ce que c’est ? C’est tout le monde à gauche en Colombie sauf le parti local de l’internationale socialiste qui s’appelle « Parti libéral » et colle des poings et la rose. Justement ce parti Social Démocrate s’est pris une sérieuse raclée électorale aux présidentielles de mai dernier. Il a chuté de 20 points, passant de 32 % en 2002 à 12 %. Et les radicaux alternatifs ont fait 22 % contre 6 % en 2002. Le blairisme colombien va mal. Je ne le plains pas. La discussion s’est engagée au débotté. La vague de gauche en Amérique latine prend bien des visages différents suivant les pays. Ce n’est pas fini. Ecoutez ça.

J’aimerais bien savoir de quoi on parlera le 5 novembre prochain ! Ce sera sûrement très important. Mais quelque chose qui n’est pas totalement anecdotique aura lieu à coup sûr ce jour là . Ce sera l’élection présidentielle au Nicaragua. Le favori est Daniel Ortega. Il y a seize ans, ce "tyran rouge" cédait pacifiquement le pouvoir après une élection démocratique qu’il avait organisée. C’était la fin de la révolution Sandiniste. Pour les USA c’était une sacrée bonne nouvelle !

En effet les USA avaient beaucoup aimé et aidé le régime précédent, celui du dictateur Anastasio Somoza. Un animal cruel et cupide. Il avait bêtement perdu le pouvoir. Un enchaînement de maladresses. D’abord il avait fort malencontreusement volé l’aide internationale quand un tremblement de terre avait rasé la capitale (Managua) de son pays. Il s’est fait prendre à mettre en vente auprès des victimes le matériel offert par toutes sortes de pays donateurs. Il faut dire qu’il n’avait même pas attendu que les caméras de télé qui étaient venues filmer l’agonie des survivants soient parties vers un nouveau spectacle. Donc le monde entier a pu voir les sacs de nourriture et les tentes et les couvertures en vente sur les marchés ! Puis, sans communiquer convenablement, il avait fait pousser dans le lac voisin, à coups de pelleteuse toutes les ruines de la capitale dévastée et sans doute les quelques personnes qui s’y trouvaient encore. Certes elles étaient bien mortes, rassurez vous, vu qu’aucun secours n’avait été organisé. N’empêche que tous ces détritus ont fini de pourrir le lac déjà pollué de façon libre et non faussée par la multinationale Nestlé. Les gens du coin ont trouvé que ça faisait trop ! Par contre, pour les Etats-Unis ce qui était de trop c’est la révolution qui a suivi.

Ils ont donc commencé aussitôt le blocus du Nicaragua ! Entre autres choses ils ont miné les ports du pays. Les USA payaient aussi des mercenaires qui faisaient une guerre de guérilla et détruisaient un maximum d’installations que le gouvernement révolutionnaire avait créés par démagogie comme des écoles rurales et des hôpitaux, des routes et ainsi de suite. D’une façon générale, tous ceux qui conspiraient s’appelèrent des « contra ». Ce mot est resté et dorénavant il désigne les contre révolutionnaires dans tous les pays d’Amérique latine. Les contre révolutionnaires sont toujours soutenus par les USA. Les journaux libres et indépendants examinent avec soin les problèmes qu’ils soulévent à coup de sabotages et de guérillas concernant la démocratie et les droits de l’homme dans les révolutions. Là , la "contra" a eu du mal pendant près de quinze ans. Les Etats Unis les ont aidé de toutes les manières possibles.


Contra de proximité

Pour être plus efficace et agir à proximité comme on dirait aujourd’hui, les USA ont aussi installé en une nuit une énorme base militaire dans un pays voisin du Nicaragua. Il est vraiment dommage qu’ils aient oublié de prévenir le gouvernement à propos de cette installation ! Heureusement le gouvernement de ce pays était composé de nationalistes en peau de lapin.

De plus l’état major de son armée avait été formé à l’école de guerre des Amériques où les USA leur avait appris l’art d’attraper et de torturer les révolutionnaires mais pas celui d’empêcher une armée étrangère de s’installer chez eux. Pas un de ces dignes défenseurs de la Patrie et de l’indépendance nationale face au péril rouge ne sortit de sa niche pour aboyer. Ouf ! Cette base fut une merveille pour insécuriser des centaines de kilomètres de frontière tout en approvisionnant en armes et en matériel toutes sortes de mercenaires. Notamment certains groupes d’indiens dont le droit à la différence était mis à mal par la volonté des sandinistes d’envoyer leurs gosses à l’école, ou bien de regrouper les petits sourds dans des écoles adaptées ou bien de demander aux femmes si elles étaient d’accord quand on les mariait.

Quand ils ont été informés de ce genre de mauvais traitements, les américains, qui aiment les indiens comme personne, se sont mobilisés à mort ! Toutes sortes de journalistes indépendants dans le monde ont été sensibilisés à la menace qui pesait sur la culture des autochtones et ils n’ont pas manqué d’en informer leurs lecteurs en toute indépendance.. A l’époque, à Miami, les fascistes de la mafia anti castriste hurlaient à mort nuit et jour sans discontinuer. Le gouvernement américain s’agitait donc comme un frelon sur une lampe.

Pour payer davantage de matériel aux contras, les services américains trafiquèrent même avec les islamistes iraniens. Ce fut l’Irangate. Tous ces efforts ne furent pas vains. Les contras faisaient tant de dégâts qu’ils contraignirent la révolution sandiniste à consacrer la moitié du budget de l’Etat à la défense. Naturellement les USA dénonçaient aussitôt le budget belliciste du gouvernement révolutionnaire. Ils montraient aussi du doigt l’amitié des sandinistes avec Cuba qui fournissait des instructeurs pour l’alphabétisation !

Ils dénonçaient surtout les mesures contre la liberté de la presse. En effet, a intervalles réguliers les sandinistes interdisaient la distribution de journaux de droite. Les griots de la bien-pensance dans le monde libre et notamment en France exprimaient aussitôt leurs vives inquiétudes et tout le bla bla à quoi vous êtes maintenant habitués en matière d’hypocrisie. Là , ça battait déjà des records. Chaque fois que la révolution sandiniste autorisait de nouveau « toute » la presse à paraître (lire la presse de droite), les journaux « indépendants », « objectifs », et leurs journalistes pleins d’éthique au ras des narines publiaient des articles très intéressants à la une pour expliquer au gens qui achetaient leur journal comment saboter la distribution du courant électrique dans leur quartier ou comment ruiner les système de distribution d’eau et aussi comment faire pour avoir une chance d’assassiner le chef de l’Etat. Naturellement ces brutes de sandinistes ne tenaient aucun compte de la vive inquiétude des médias occidentaux et français en ce qui concerne la liberté d’expression dans ce fichu pays. Ils interdisaient de nouveau ces journaux alors même que ces derniers ne faisaient que leur devoir d’information au péril de leur vie. Evidemment tous les bien pensant déploraient ce retour aux « méthodes d’un autre age » du contrôle de la presse libre et indépendante.

Pur bonheur

Aussitôt après que la terreur rouge a fini avec une élection organisée par les tyrans, une ère de pur bonheur a commencé. Pour les riches. Les autres ont vu leur niveau de vie, déjà bien bas du fait de l’inéfficacité des rouges, divisé par trois. Les USA ont remballé leur matériel. Les médias bien-pensants n’ont plus jamais exprimé d’inquiétude pour la liberté de la presse dans ce pays ni pour la protection de la culture indienne. Cela doit vouloir dire qu’il n’y a plus de problème ou plus d’indiens depuis qu’ils bénéficient de la liberté de lire des journaux de droite s’ils savent lire. Un ou deux présidents voyous ont été pris la main dans le sac d’actes de corruption inouïs et en dépit de quelques fusillades dont personne n’a entendu parlé, la liberté a été maintenue.

Patatras, voila les élections : ces gens qui n’ont aucune reconnaissance pour leur libérateurs se préparent a réélire Daniel Ortega et des sandinistes ! Il faut donc remercier l’ambassadeur des Etats-Unis au Nicaragua, Paul Trivelli qui a remis les pendules à l’heure en permettant à chacun de prendre la mesure de ses responsabilités. Il a fait une intervention en direction des citoyens du Nicaragua par l’intermédiaire de la presse dorénavant libre. Celle-ci s’est fait un devoir de mettre les informations proposées par l’ambassadeur des Etats-Unis à la disposition du public comme c’est son devoir en toute indépendance. La presse libre a donc répercuté librement les menaces que les Etats-Unis d’Amérique destinent à leurs réservoirs de domestiques latinos. Le pro-consul américain Paul Travelli a conseillé aux électeurs de "ne pas mettre en péril" les "excellentes" relations américano nicaraguayennes en votant pour un candidat « non démocratique ». Ca c’est de l’amitié bien comprise. Léonid Brejnev appellait ça la théorie de la souveraineté limitée.

Ce qui est extraordinaire c’est de savoir que ce gringo, et les chefs qui le payent pour faire ce genre de menaces, croient réellement que ça va intimider les gens du coin. C’est certes une manière de leur dire : la dernière fois que vous avez voulu faire une politique de gauche on vous a pourri la vie à mort et nous recommencerons autant de fois qu’il faudra. Mais ça les gens le savent déjà .... En Bolivie les Etats-Unis ont donné le même genre de conseils. Tout compte fait les gens ont élu au premier tour un syndicaliste indien plutôt que le candidat de la bonne entente avec les américains, un assassin corrompu jusqu’à la moelle des os. Quels soucis !


Or et os

Jeudi matin, sur le plateau de la Chaîne Parlementaire je participais à un débat sur la Bolivie, après un formidable reportage (j’ai des remarques à faire mais le reportage est vraiment très interressant) signé Julien Magne.

Le journaliste sur le plateau, après avoir entendu mon collègue Rolland Duluart (un ci devant de l’UMP qui ferait pourtant figure de gauchiste en face de la droite bolivienne), s’inquiétait de savoir s’il n’y avait pas un risque de "volonté de revanche des indiens contre les blancs" sous la présidence d’Evo Moralès. Hum ! Madame l’ambassadrice de Bolivie a répondu. C’est une personne très posée qui parle le français avec beaucoup de soin. C’est une chanteuse très connue dans son pays. Une indienne. Elle a déclaré que les indiens voulaient inclure tout le monde et que d’ailleurs c’était ça l’esprit de la Pachamama, déesse nature que les indiens révèrent. Un ange est passé. Je pensais au vieux dicton des mineurs boliviens de la mine Siglo Veinte, là bas la haut à Potosi : « d’ici on a fait un pont en or jusqu’à Madrid et trois ponts d’ossements humains... ».

Madame l’ambassadrice nous faisait un sourire sympathique et ses yeux brillaient de malice. Vous avez raison madame. Mieux vaut parler d’autres choses que de régler des comptes à propos des cinq derniers siècles de vie des 80% de la population bolivienne qui est indienne et qui n’a le droit de vote que depuis 1952. Le jour où était diffusée cette émission on apprenait que le nouveau pouvoir bolivien venait de conclure l’accord de nationalisation du gaz avec les sociétés qui l’exploitaient. La même semaine où chez nous le gouvernement français organisait la cession de GDF à un groupe privé ! L’accord bolivien c’est que dorénavant le partage de la rente est en moyenne de 80 % pour l’état bolivien et 20 % pour les compagnies privées. Jusque là c’était l’inverse... Quelle compagnie est aussitôt partie de Bolivie en claquant la porte ? Aucune. Avec 20% ça fait encore beaucoup d’argent à prendre. Et l’Etat quadruple ses recettes ! Je me demande quel genre de boniments nous seront servis quand la gauche voudra appliquer son programme qui prévoit le retour dans un pole public à 100 % de GDF et EDF. Car bien sûr vous aviez compris que les problèmes de l’Amérique latine et des révolutions démocratiques qui y cherchent leur chemin n’ont radicalement rien d’éxotique. Nous avons le même défi devant nous. Celui de la récupération de la souveraineté populaire.

Jean-Luc Mélenchon


 Source : Le Blog de Jean-Luc Mélenchon
www.jean-luc-melenchon.fr



A voir + + : Le dossier Nicaragua sur RISAL


Rumsfeld au Nicaragua : à cause de Fallujah et des missiles SAM-7, par Toni Solo.


Amérique Latine : Aujourd’hui celui qui est isolé c’est Bush, par Eduardo Cornejo Deacosta.

Les USA encaissent un nouveau coup : La Bolivie, Le Venezuela et Cuba signent le Traité de Commerce des Peuples.




 Dessin : www.allanmcdonald.com


[1Elite locale d’un pays en voie de développement qui s’enrichit des liens tissés avec les métropoles.


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« Avant, il y avait la tomate. Puis, ils ont fabriqué la tomate de merde. Et au lieu d’appeler la tomate de merde “tomate de merde”, ils l’ont appelée “tomate”, tandis que la tomate, celle qui avait un goût de tomate et qui était cultivée en tant que telle, est devenue “tomate bio”. À partir de là, c’était foutu. »

Inconnu

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