Il manifesto, 2 septembre 2006.
Craindre l’échec de l’Unifil-2 ne veut pas dire le souhaiter. Motiver cette crainte par l’analyse des circonstances et des antécédents politiques, diplomatiques et militaires qui ont précédé et accompagné la résolution du Conseil de sécurité de l’Onu et l’envoi de la force internationale sur la frontière du Liban, ne veut pas dire souhaiter la reprise des hostilités, une improbable victoire définitive du Hezbollah sur le dispositif militaire israélien, d’autres milliers de morts, la dévastation finale d’un état nation, le renoncement à toute tentative de diriger vers une solution la question palestinienne, la conflagration d’une grande guerre moyen-orientale qui, en plus de l’Irak et de l’Afghanistan, emporterait la Syrie, l’Iran, l’Otan, l’Europe et tout le monde occidental.
S’il en était ainsi, Rossana Rossanda a raison (référence à un éditorial il y a quelques jours dans ce même journal, ndt) : toute opposition, toute critique contre l’intervention de l’Onu et la participation italienne seraient invalidées non seulement par un sectarisme, des préjugés idéologiques et « thèses du complot », mais par un aveuglement et une stupidité absolues.
Voila pourquoi il nous semble opportun de contribuer à un débat - à vrai dire quasiment inexistant en Italie étant donné l’unanimisme régnant- par quelques données sur les prises de position de l’administration étasunienne, auteur et moteur premier des crises et des conflits moyen-orientaux, sur les présumés repentirs d’un président aux prises avec les échecs retentissants de ses directives de politique militaire, extérieure et intérieure ( influencé de surcroît, d’après son porte parole par une plus qu’improbable lecture estivale de Camus) et sur l’importance, déterminante pour les développements internationaux prévisibles des deux prochains mois, de l’échéance électorale du mardi 7 novembre, dans la république de la bannière étoilée.
Les révélations de Seymour Hersh sur la planification étasunienne de la guerre au Liban, qui avait précédé de nombreux mois le « casus belli » de la capture des deux soldats israéliens, doivent être remises dans le contexte des documents et thèses publiées à la même époque par les centres de l’idéologie et de la stratégie « néocon » qui font la loi dans l’administration Rumsfeld-Cheney : l’American Enterprise Institute, la Foundation for Defense of Democracies, le Center for Security Policy et le Project for a New American Century, récemment disparu. Idéologie et stratégie poursuivies et actualisées en pratique à tous les niveaux par des personnages comme Max Boot, Charles Krauthammer, Michael Ledeen et Eliot Abrams. Essentielle, fatale, l’influence de ce dernier pour assigner à Israël le rôle de pointe dans une grande stratégie destinée à dessiner une nouvelle carte géopolitique du Moyen Orient : en atteignant d’abord le Hezbollah et ensuite la Syrie et l’Iran, et en portant à leurs ultimes conséquences les guerres en Irak et Afghanistan.
Dans son costume de premier conseiller pour les affaires moyen-orientales de la Maison Blanche et du Département d’état, Eliot Abrams a accompagné les missions de la secrétaire d’état Rice qui est parvenue, avec une habileté diplomatique indubitable, à bloquer pendant 34 jours la diplomatie internationale et ses tentatives d’obtenir le cessez le feu au Liban. Eliot Abrams a passé quelques semaines à Tel Aviv, avant, pendant et après le conflit, et a posé les bases, même si ça n’entrait pas dans ses compétences, de l’affectation, le 20 juin, de 262 millions de dollars en carburants spéciaux pour les F-15 et F-16 israéliens, d’un autre demi million de dollars en bombes à fragmentation et « intelligentes », et d’une somme plus astronomique pour le pont aérien qui, depuis les Etats-Unis via les bases aériennes d’East Angla au Royaume-Uni, est en train d’approvisionner les forces armées israéliennes en armements nouveaux, et plus mortels encore. Il ne fait aucun doute que la résistance inattendue du Hezbollah, organisée sur leur territoire avec une modulation plus suisse que moyen-orientale, a imposé un temps d’arrêt à une offensive programmée à l’origine pour une durée de dix, douze jours. Il ne fait, pareillement, aucun doute que ce temps d’arrêt n’a pas altéré le grand dessein stratégique des Cheney, Rumsfeld & Co...
Significatif cependant, et préoccupant, le rôle assigné par Washington aux Nations Unies, méconnu et refusé jusqu’au 14 août par ce grand saboteur de l’organisation internationale qu’est l’ambassadeur étasunien Bolton, puis, à l’improviste, revalorisé et ramené au premier plan, avec sollicitations martelées, par le président Bush lui-même. On manque de témoignages documentés et, donc, on pénètre dans le domaine des interprétations et suppositions, alimentées en grande partie par les difficultés et obstacles rencontrés par Kofi Annan dans sa mission au Moyen-Orient. Israël ne retirera ses troupes et son blocus naval que quand la résolution 1701 trouvera son application complète, et étendue à la bande au sud du fleuve Litani, et ce sera Israël seul qui décidera quand ce résultat sera obtenu, même par des opérations non prévues par le mandat Onu : telles que le démantèlement des forces du Hezbollah et la présence de la force internationale sur la frontière de la Syrie. D’aucuns pensent, et pas seulement dans le gouvernement Olmert ou celui des Etats-Unis, que la première tâche de la force internationale est d’atteindre les objectifs temporairement manqués dans l’offensive israélienne, et, comme on l’a vu en Afghanistan, qu’un passage de consignes de l’Onu à l’Otan est souhaitable.
Dans le domaine des suppositions, encore, on annonce l’éventualité d’un missile à moyenne portée de fabrication iranienne lancé depuis le territoire libanais sur un jardin public de Tel Aviv. Il est assez peu discutable, par ailleurs, que l’administration Rumsfeld-Cheney soit prête à des mesures « extrêmes » d’ici le mois d’octobre, pour éviter la débâcle électorale du 7 novembre.
Les rares personnes qui, en Italie, ont soulevé le type d’argumentations ci-dessus ont été taxées de pacifisme suicidaire et unilatéraliste, campagne préventive sans aucun doute efficace mais totalement disproportionnée, surtout en regard des balbutiements d’une opposition parlementaire de gauche qui semble avoir remplacé le « non à la guerre sans si et sans mais » (« no alla guerra senza si e senza ma » était le slogan du mouvement pacifiste radical au moment de l’attaque en Irak et Afghanistan, ndt) par un « nì »(dans le texte italien, néologisme par la contraction de no (non) et si (oui), qu’on pourrait traduire en français par le même type de néologisme, ndt ) : « noui à la guerre sans moi et, qui sait, Tirituritu ? tiritirità ... » [1] .
Lucio Manisco, est député européen, membre du groupe GUE (gauche unifiée européenne)
– Source : il manifesto www.ilmanifesto.it
– Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio.
Pourquoi Bush choisira la Guerre contre l’Iran, par Ray Close.
Liban : La salutaire leçon des barbares du 21ème siècle, par Sadek Hadjerès.
Les intérêts de Washington dans la guerre d’Israel, par Seymour M. Hersh.