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Gaza, perle de l’Orient objet de toutes les convoitises ou, pour les occidentaux, un simple campement pilonné où survivent et meurent quelques millions de réfugiés palestiniens

Gaza n’est-elle qu’un bout de terre, une enclave, une « bande » comme on la surnomme de nos jours (qita’ en arabe) ? Un simple campement pilonné où survivent et meurent quelques millions de réfugiés palestiniens, une « non-entité » ? Osons un retour sur le passé lointain — dont se réclament les nouveaux conquérants — pour raconter quelques épisodes de l’histoire de cette cité dont la splendeur remonte à l’Antiquité

Trait d’union entre la Méditerranée, l’Afrique et le continent asiatique, point de passage et de contact de plusieurs civilisations, célèbre pour ses vergers dont les produits étaient partout exportés, la cité de Gaza, pourtant maintes fois saccagée, a défié d’immenses conquérants, d’Alexandre le Grand à Napoléon.

« L’histoire de Gaza n’a rien à envier à celle de Bethléem et à Jérusalem », affirmait l’ancienne représentante de la Palestine en France Leïla Shahid sur France Culture en 2000, interviewée à l’occasion de l’exposition « Gaza Méditerranéenne », qui a eu lieu à l’automne de cette année-là à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris. Des fouilles archéologiques ont en effet montré que la zone abritait des sites remontant à l’âge de bronze ancien — soit entre 3 000 et 1 300 ans av. J.-C. Et de préciser que l’appeler « bande de Gaza » est humiliant et réducteur. « Elle a été un port antique hors pair, sous le nom d’Anthédon.

Elle exportait vers le reste du monde : Rome, Carthage, Byzance, Athènes. « Tout ce que le commerce de l’Orient apportait », sans oublier « ses magnifiques vignobles ». L’exposition de l’IMA permettait alors d’admirer « les amphores, certes d’époque tardive, qui contenait le vin exporté vers le monde ».

Les tunnels d’Alexandre le Grand

Or, voici que dans son entreprise de conquête du monde, Alexandre le Grand a voulu s’emparer de ce port méditerranéen. À l’époque, en 332 av. J.-C., raconte le spécialiste de l’histoire ancienne et de la Méditerranée orientale Maurice Sartre.

« Gaza était la dernière citadelle perse sur le chemin de l’Égypte » et occupait une place hautement stratégique. « Après avoir bataillé pour s’emparer de Tyr (aujourd’hui au Liban), Alexandre a dû assiéger pendant deux ou trois mois Gaza ». Les biographes du Macédonien relatent de façon détaillée son entreprise pour faire plier la cité défendue par sa population. Comment ?

Il avait fait creuser des tunnels non pas pour faire arriver des vivres ou des armes comme les Gazaouis d’aujourd’hui, mais pour saper les murailles de la ville, qui étaient puissamment défendues. Il s’empara de la ville, au bout de deux à trois mois de siège, à la fin de l’année 332. Le butin fut considérable.

Surtout en encens et en myrrhe, relate Maurice Sartre.

Dans son livre sur Gaza, l’historien Jean-Pierre Filiu précise que « le pillage de Gaza remplit dix navires de butin à destination de la Macédoine ». La richesse de la ville antique est telle que Plutarque, le grand historien de la Rome et de la Grèce antiques, qualifie Gaza de « aromatophora », la dispensatrice des parfums. Une belle illustration du rôle économique de ce territoire qui continuera d’être le débouché des produits d’Arabie du Sud et du Yémen, puisque l’encens et la myrrhe viennent essentiellement de cette région. « Gaza reste le débouché des Arabes sur la Méditerranée », poursuit l’historien.

Promue au rang de colonie romaine

Zone de production et zone de transit de marchandises, ces activités ont fait de cette nouvelle polis (cité organisée à la grecque) « la fortune de la Gaza hellénistique et romaine jusqu’au moment de la conquête musulmane », rappelle encore Maurice Sartre. Après la conquête d’Alexandre, Gaza devient pendant presque un millénaire une grande ville grecque, centre économique et intellectuel, avec tous les attributs et dotée d’institutions comme Athènes ou Sparte. Dans les années 1990, des fouilles y ont mis au jour de belles maisons, peintes dans le style grec du IIe siècle av. J.-C. comme à Délos, Ephèse ou dans d’autres villes grecques de cette époque, note le spécialiste de l’Antiquité.

Par deux fois, la ville sera envahie et annexée à un royaume juif vainqueur des successeurs d’Alexandre, poussant sa population à la fuite « parce qu’ils ne voulaient pas devenir juifs ». Plus tard, elle a été incorporée au royaume d’Hérode, mais « cet État était tout sauf juif », plutôt cosmopolite. Plus tard, elle sera incorporée par Rome à la province de Syrie. Pour preuve de son rayonnement et de sa prospérité, Gaza est promue au rang de colonie romaine au IIIe siècle, ce qui permit d’octroyer la citoyenneté romaine à toute sa population.

Y parlait-on l’hébreu ?

Les populations sont très mêlées (Arabes, Phéniciens, Syriens, Grecs) mais réunies par l’usage de la langue. Non pas qu’il n’y ait eu plusieurs langues en usage, mais la langue parlée au quotidien, c’est l’araméen, comme dans toute la Syrie antique. Ce qui ne veut pas dire que l’hébreu a disparu, beaucoup de gens le connaissent, mais la langue de circulation et de communication est l’araméen, bien que le grec lui fasse concurrence.

Le grec était devenu la langue des élites et de l’administration grecque puis romaine, lit-on encore dans le livre d’entretiens entre Maurice Sartre et Jean-Noël Jeanneney, qui se veut comme un « tableau contrasté » des deux époques, l’Antiquité et le monde d’aujourd’hui.

Offerte à Cléopâtre

À cause de son emplacement au carrefour de trois mondes, Gaza a depuis toujours été un enjeu des puissances régionales, des rivalités parfois à l’intérieur des mêmes dynasties. Considérée comme joyau, elle fut offerte à Cléopâtre par son époux, nouveau maître de l’Égypte, le général romain Marc-Antoine. Mais la défaite en – 31 av. J.-C. des armées de ce dernier entraîna brièvement le retour de Gaza dans le royaume d’Hérode, à la veille de l’ère chrétienne, avant qu’elle n’entre pour environ six siècles dans l’empire romain.

Soumise ou contrôlée par les Égyptiens (dans leurs campagnes contre la Syrie), les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Grecs d’Égypte et Rome, et les Arabes (ces derniers depuis l’Antiquité, car Gaza occupait une place stratégique sur la route des caravanes), la cité a subi les contrecoups de son statut de territoire tampon.

Son nom apparaît dans les années 1450 avant notre ère, sous son appellation arabe Ghazza, durant le règne du pharaon Thoutmôsis II, mais son histoire et son identité seront marquées deux siècles plus tard par l’invasion des « peuples de la mer », venus de la Crète, qui s’établissent autour de wadi (vallée) Gaza. Cette région côtière porte le nom de Philistie, d’où la Palestine, et en arabe Filastine. Ces peuples sont eux-mêmes un mélange de Crétois, de Grecs mycéniens, et d’autres venus des rivages de la Méditerranée orientale. Soit « des réfugiés déjà ! pour faire souche dans cette région », explique Maurice Sartre, qui ajoute que « cette zone résiste constamment à la pression du royaume de Jérusalem ». Ainsi, « contrairement à ce que pourraient penser certains, Gaza n’a pratiquement jamais appartenu aux Hébreux, ni ne leur a été soumise à quelque époque que ce soit ».

Aux époques hellénistique puis romaine, Gaza est ornée d’édifices officiels et de temples dédiés à des dieux divers dont le principal est Zeus Marnas (dont l’origine est araméenne et sans doute crétoise). Son effigie orne les pièces de monnaie frappées à Gaza qui circulent du temps de l’empereur romain Hadrien qui la visite en 129-130, et en l’honneur de qui sont organisés des concours.

Plus de six siècles plus tard, les défenseurs romains de Gaza, où habitait une importante population arabe, mais aussi juive, sont vaincus par les soldats musulmans dans les années 630. La région connaîtra bien plus tard d’autres invasions : les croisades, les Mongols, le règne fatimide, le prise de Gaza par Saladin en 1187, le règne des Mamelouks, l’empire Ottoman, jusqu’aux temps modernes.

Un patrimoine menacé

En janvier, une vidéo postée sur Instagram par Eli Escusido, directeur des Antiquités israéliennes, montrant des soldats israéliens dans le dépôt d’antiquités de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (Ebaf), suscite l’indignation et des rumeurs de pillages. Le dépôt de l’Ebaf, sous la responsabilité de la France, contient des vestiges issus de 28 années de fouilles à Gaza. Si le bâtiment et ce qu’il abrite n’ont pas été détruits par les bombardements, ce n’est pas le cas de beaucoup d’autres.

Au 10 juin 2024, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) a constaté par images satellitaires les dommages causés sur 50 sites depuis le 7 octobre

Anthédon est détruit ; le palais historique Al-Bacha de la vieille ville de Gaza, qui abritait un musée et une école, a été bombardé puis aplati par des bulldozers. Les trésors archéologiques qui s’y trouvaient ont-ils été sortis avant sa destruction ? Nul ne le sait.

Le 26 juillet, conscient de la menace qui pèse sur ce patrimoine, l’Unesco inscrit le monastère de Saint Hilarion (IVe siècle), situé dans le centre de la bande de Gaza, sur la liste du patrimoine mondial en même temps que celle du patrimoine mondial en péril lors d’une procédure d’urgence. « Cette décision vient reconnaître à la fois la valeur universelle exceptionnelle de ce site et le devoir de le protéger face aux dangers imminents », explique l’organisation dans un communiqué.

Détruire le patrimoine de la bande de Gaza, c’est aussi vouloir effacer son histoire millénaire. Laissons le dernier mot à Maurice Sartre qui nous aura servi de guide : « Gaza se trouve au commencement de l’histoire de la Palestine, elle est au cœur même de la Falestîne, Philistie. »

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