il manifesto, New York, dimanche 23 juillet.
Un stock d’armes de précision est parti des Etats-Unis il y a une semaine, directement pour Israël qui les avait demandées immédiatement après le début de ses bombardements sur le sud du Liban. Le New York Times l’a révélé hier en citant des sources (anonymes) de la Maison Blanche. La décision de répondre à la requête israélienne, d’après ces sources, a été prise rapidement après une discussion assez brève entre les hommes de Bush. La discussion, paraît-il, a porté sur le fait que la remise de ces armes risquait de faire apparaître les Etats-Unis comme étant trop « rangés » aux côtés d’Israël ; et donc peu crédibles, par exemple, dans l’effort annoncé avant-hier (vendredi) par Condoleeza Rice de faire se rencontrer une série de pays pour donner à la région une « stabilité durable » au nom de laquelle on s’est même refusé de s’associer à la demande générale de cessez-le-feu. Mais ces observations, dont on ne sait pas de qui elles émanent, ont été écartées face à deux arguments « puissants » : « garantir la sécurité d’Israël » et asséner un coup décisif à l’organisation des Hezbollah.
Ces demandes et expéditions de la semaine dernière sont des bombes qui peuvent être guidées par satellites et lasers. Les sources du Times ont expliqué que ces armes font partie d’un contrat de millions de dollars signé l’an dernier, et qui comprend les terribles Gbu-28, engins de cinq mille livres, particulièrement efficaces contre les bunkers souterrains. Un plan de livraison précis n’est pas indiqué dans ce contrat, mais une de ses clauses prévoit qu’Israël peut obtenir les armes « selon nécessité ». En substance, donc, ceux qui dans la discussion se sont prononcés pour la « livraison rapide » ont pu assurer que la chose était parfaitement prévue par le contrat, mais certains fonctionnaires du Pentagone, eux aussi consultés par le Times, disent que cette demande de remise immédiate faite ici par Israël demeure cependant « insolite » et que la seule explication est que les militaires israéliens ont encore une longue liste de « cibles à atteindre » au Liban, et qu’ils entendent les atteindre. Et ceci met directement en cause les chances de « succès » du plan de Rice qui part aujourd’hui (dimanche 23) en mission, dont le point central devrait être la conférence à Rome avec les représentants de certains pays arabes et européens. La thèse de Rice est en fait que les pays arabes amis des Etats-Unis seraient désormais « mûrs » pour assumer une position plus décisive à l’égard du Hezbollah, et s’impliquer ainsi dans une action commune. Or, la nouvelle de ces armes livrées en toute hâte à Israël pourrait bouleverser ce plan déjà plutôt simpliste.
Au contraire même, et toujours selon Times, le projet d’origine était que Rice ferait escale dans plusieurs capitales du Moyen Orient et en particulier au Caire, et que la décision postérieure de changer de programme et de se replier sur la conférence de Rome pourrait avoir été causée justement par cette soudaine livraison des nouvelles armes à Israël, dont il est probable que le Caire et d’autres capitales arabes avaient eu connaissance avant le Times. La différence entre la conférence italienne et les visites particulières dans les capitales arabes, en fait, est que Rice ne discutera pas avec les sommets de ces pays, mais avec des envoyés qui ne décident pas ; circonstance qui pourrait allonger les temps nécessaires pour un cessez-le-feu. Mais comme Rice l’a elle-même expliqué avant-hier, les temps plus longs pour Condoleeza ne sont pas un danger mais un moyen d’arriver à une trêve « durable ».
Franco Pantarelli
– Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
La superbombe passe par l’Italie.
23 juillet 2006
La secrétaire d’état Rice arrive aujourd’hui (dimanche 23 juillet) en Israël. Pas pour demander l’arrêt de la guerre : « Ce que je ne fais pas, a-t-elle déclaré, c’est tenter d’obtenir un cessez-le -feu dont je sais qu’il ne durera pas ». Avant de venir à la « Conférence internationale sur la crise au Moyen-Orient » qui se déroulera mercredi à Rome, Rice autorise ainsi Israël non seulement à continuer mais à intensifier les bombardements sur le Liban. Pas seulement en paroles.
Le même numéro du New York Times (22 juillet à ) qui rapporte ses déclarations, révèle aussi que l’administration Bush a envoyé la semaine dernière en Israël, à la demande de son gouvernement, une grosse cargaison de bombes à direction satellitaire et laser. Confirmé par des sources de l’administration qui veulent garder l’anonymat. Ceci indique -soulignent-ils- qu’ « Israël a encore une longue liste d’objectifs à atteindre au Liban ».
Dans une conférence de presse rapportée sur le Jerusalem Post (21 juillet), un pilote israélien a précisé que les bombardiers F-16 de la première escadre aérienne, à qui il faut moins de dix minutes pour atteindre Beyrouth, ont déchargé mercredi dernier 23 tonnes de bombes sur un faubourg où on pensait que des dirigeants du Hezbollah se tenaient cachés dans un bunker. A part les « dommages collatéraux » sur les habitants du quartier, le résultat a été nul.
Mais arrivent maintenant les nouvelles bombes made in Usa, appartenant à un « package » dont la vente à Israël a été autorisée par Washington l’année dernière. Parmi lesquelles la Gbu-28 : une maxi bombe à commande laser de 5.000 livres (environ 2,3 tonnes). Le document d’autorisation la décrit comme « une arme spéciale conçue pour pénétrer des centres de commandement situés dans des bunkers profonds fortifiés », en précisant que « l’aéronautique israélienne utilisera les Gbu-28 avec ses bombardiers F-15 » (fournis par les Usa, comme les F-16). Selon David Siegel, porte-parole de l’ambassade israélienne à Washington, « nous utilisons des munitions à commande de précision pour neutraliser les capacités militaires des Hezbollah et minimiser les dommages pour les civils ». Les Gbu-28 seraient donc des « bombes humanitaires ».
Dans le « package » fourni par les Usa, il y a « au moins 100 Gbu-28 ». Officiellement, elles sont vendues à Israël ; en réalité elles sont offertes : pour l’année fiscale 2007 (qui commence le 1er octobre 2006) l’administration Bush fournira une « aide » d’environ 2,5 milliards de dollars à Israël, dont 2 ,3 milliards sous forme d’ « aide militaire ».Avec cet argent Israël achète des bombes et autres armes aux industries de guerre étasuniennes. Le cycle est ainsi bouclé : les deux milliards de dollars d’aide militaire à Israël retournent aux Usa en augmentant les profits du complexe militaro-industriel. Et comme les chasseurs qui bombardent consomment beaucoup, le Pentagone a décidé le 15 juillet dernier de vendre à Israël du carburant pour jet (Jp-8) pour un montant de 210 milliards de dollars, dans le but de « maintenir la paix et la sécurité dans la région ».
D’où a été expédié le dernier colis de bombes destiné à Israël ? Personne ne le dit officiellement. On peut cependant rappeler un fait : la base logistique Us où sont déposées les bombes pour les forces aériennes et terrestres qui opèrent dans la zone méditerranéenne, nord africaine et moyen-orientale, c’est Camp Darby (très grosse base étasunienne à côté de Pise, ndt). De cette base, située entre le port de Livourne et l’aéroport de Pise, est partie une grosse part des bombes utilisées dans les deux guerres contre l’Irak, et dans celle contre la Yougoslavie. Puisque l’administration Bush a décidé la semaine dernière l’ « expédition rapide » de cette livraison de bombes, par bateaux ou avions cargos ou les deux à la fois, il est tout à fait logique qu’elles soient parties de Camp Darby. Un autre élément renforce cette hypothèse. D’après l’organisation étasunienne Global Security (dont les informations se sont jusqu’à présent révélées fondées), le 31ème escadron de munitions qui opère à Camp Darby « est responsable du plus important arsenal de munitions conventionnelles des Forces aériennes Usa déployé en Europe, consistant en 21.000 tonnes de bombes en Italie, et deux dépôts répertoriés en Israël ». Il existe donc une liaison organique entre les bases de Camp Darby et les deux dépôts dans lesquels sont « stockés » les bombes Usa pour l’aviation. Il est donc tout à fait probable que les bombes déjà lancées, et celles, plus puissantes encore, qui vont l’être sur le Liban, proviennent ou de toutes façons transitent par Camp Darby. Il faut rappeler ici que la Loi 94, du 17 mai 2005, qui institutionnalise la coopération entre les ministères de la défense et celui des forces armées italiens et israéliens, prévoit aussi « l’importation , l’exportation et le transit de matériels militaires ».
Voila des faits dont il faudra se souvenir mercredi prochain, quand Condoleeza Rice prendra la parole à Palazzo Madama (siège du gouvernement italien) pour expliquer la position de son gouvernement. « Le président Bush - rapporte le Washington Post (21 juillet), considère le conflit au Moyen-Orient comme un pas vers la paix ». Comme l’ont expliqué des hauts fonctionnaires de l’administration, le président est opposé à un cessez-le-feu immédiat parce qu’ « il existe une opportunité de chasser le Hezbollah et qu’il faut l’exploiter même s’il y aura d’autres conséquences graves à affronter ». Le président est « touché (addolorato, ndt) par la perte de toute vie, mais il est convaincu que le moment est arrivé de faire de la clarté ». Ce qui est déjà clair, par contre, c’est qu’Israël avait depuis longtemps planifié l’attaque en étroite coordination avec Washington et qu’il a volontairement créé le casus belli - l’enlèvement des deux soldats israéliens, survenu non pas en territoire israélien mais libanais, pour mettre le Liban à feu et à sang et préparer la guerre contre la Syrie et l’Iran.
La conférence de mercredi prochain à Rome, dont sera absente la partie adverse (le mouvement Hezbollah et la Syrie) , servira à prendre encore un peu de temps pour permettre à Israël de compléter son oeuvre de destruction, pour envoyer ensuite une « force d’interposition »garder les cratères ouverts par les Gbu-28.
Manlio Dinucci
– Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
Une bombe conçue pour Bagdad
23 juillet 2006
La Guided Bomb Unit-28 (Gbu-28) est née en 1991, pendant la première guerre en Irak. Dans la première semaine après le début des bombardements, l’aéronautique étasunienne demanda aux industries de guerre de construire une bombe à commande laser capable de pénétrer sous terre pour détruire des bunkers de centres de commandement. C’est Lokheed qui a gagné, en réalisant la bombe en un temps record : le travail commencé le 1er février, livra ses premiers exemplaires le 16. Pour construire la bombe on utilisa un canon. Dans les premiers tests, la Gbu-28 pénétra, avant d’exploser, à plus de 30 mètres de profondeur et dans 6 mètres d’épaisseur de béton. Mais la guerre désormais se terminait : on lança quand même sur l’Irak deux exemplaires de ces bombes, depuis des avions F-111. Comme le montraient les images tournées depuis l’avion, la Gbu-28, après avoir pénétré avec précision dans un refuge sous terrain, explosa 6 secondes après l’impact. Après ce baptême du feu dans des conditions réelles de guerre, la Gbu28 a été modifiée et plusieurs fois testée pour en améliorer les prestations. La fiche technique indique qu’elle est longue de 4 mètres, avec un diamètre de 36 cm et pèse plus de 2 tonnes. La tête de l’ogive contient un explosif puissant (Tritonal). Le pilote de l’avion, un F-15 ou F-111, illumine la cible avec un désigneur laser et la bombe, une fois lancée à 10 Kms de distance environ, se dirige automatiquement vers le point illuminé. Comme l’emploi d’une arme dans les conditions réelles de guerre vaut plus, pour les constructeurs, que n’importe quel test, l’utilisation de la Gbu-28 par l’aéronautique israélienne au Liban sera extrêmement précieuse pour Lokheed.
Elle le sera aussi pour le Pentagone, qui développe actuellement un programme de réalisation de têtes nucléaires pénétrantes pour détruire, dans des attaques « préventives » les bunkers des centres de commandement afin de « décapiter » l’ennemi du premier coup.
– Source : il manifesto www.ilmanifesto.it
– Traduit de l’Italie par Marie-Ange Patrizio
Liban : La guerre préventive permanente d’Israël et les limites de l’unilatéralisme, par Michel Warschawsky.
« L’attaque des Hezbollah ? C’est le seul acte de solidarité avec Gaza », par Tanya Reinhart.
L’attaque israélienne sur le Liban menace de plonger tout le Moyen-Orient dans la guerre, par WSWS.
Palestine, Liban : Vive la presse aux ordres ! par Sindibad.