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« À Gaza, les survivants sont condamnés à un avenir sans subsistance »

La contre-offensive israélienne sur Gaza vise aussi un pan sacré de l’identité palestinienne : la terre, explique Yasmine Al-Hassan, une militante environnementale palestinienne.

Yasmine Al-Hassan est responsable des campagnes publiques de l’Union des comités du travail agricole (Union of Agricultural Work Committees-UAWC). Cette organisation de la société civile palestinienne a été créée en 1986 par un groupe d’agronomes bénévoles et travaille à la fois en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, les deux portions composant les territoires palestiniens. UAWC soutient des agriculteurs palestiniens, des pêcheurs, des paysans et des communautés rurales.

« À Gaza, c’est l’état de guerre totale. Il y a plus de 7 000 morts et plus de 13 000 blessés, selon le ministère de la Santé à Gaza. L’un de nos collègues a été tué dans un bombardement israélien. Un certain nombre de nos collègues ont vu leur maison détruite, leur famille mourir. Depuis le 7 octobre, nous sommes passés en mode « urgence ».

Israël efface sans discernement des hôpitaux, des écoles, des mosquées, des marchés, des quartiers entiers. Gaza est assiégée depuis près de vingt ans, et Israël contrôlait déjà l’accès aux produits de première nécessité. Mais désormais, Israël refuse à une population de 2,3 millions d’habitants, dont plus de la moitié sont des enfants, l’accès à l’eau, à la nourriture, au carburant, à l’électricité, aux fournitures médicales et à l’aide humanitaire.

L’assaut détruit délibérément toute infrastructure permettant aux Palestiniens et à Gaza de subvenir à leurs besoins. Les pêcheurs ne peuvent pas accéder à la mer. Les agriculteurs dont les terres n’ont pas été détruites ne peuvent pas y accéder, de peur de mourir. Les réserves de nourriture diminuent de façon catastrophique : il ne reste que 5 à 8 jours de nourriture dans les magasins de Gaza. Aujourd’hui, il est presque impossible de trouver de l’eau potable. Israël vise explicitement les boulangeries, qui constituent la principale source de nourriture à l’heure actuelle. Il n’en reste plus que neuf dans l’ensemble de la bande de Gaza, pour 2,3 millions de personnes.

Avant le 7 octobre, environ 70 % de la population de Gaza était en situation d’insécurité alimentaire. Aujourd’hui, 100 % de la population de Gaza est menacée de famine. La terre et la mer subiront également des dommages environnementaux inimaginables à la suite de ces attaques, ce qui entravera encore davantage les efforts visant à reconstituer les moyens de subsistance. Fondamentalement, la stratégie d’Israël vise aujourd’hui à assurer que ceux qui ont survécu aux bombes soient condamnés à un avenir sans subsistance.
« Une longue série d’attaques contre les ressources naturelles »

La crise actuelle n’est pas un incident isolé, c’est juste le dernier chapitre de cette longue série d’attaques israéliennes contre les ressources naturelles palestiniennes. La Cisjordanie [la seconde portion de territoire palestinien, avec la bande de Gaza] en est le meilleur exemple. Israël l’a fragmentée de telle sorte que les communautés palestiniennes sont réduites à de petits îlots reliés par des routes — auxquels nous n’avons parfois même pas accès : au moins 654 checkpoints nous isolent les uns des autres. Plus de 60 % de la Cisjordanie se trouve en zone C, sous-administration militaire, ce qui signifie que les Palestiniens y sont constamment menacés d’attaques et de déplacements forcés.

Depuis le 7 octobre, au moins 122 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie, selon le ministère palestinien de la Santé. Il ne s’agit pas d’incidents isolés, mais d’un pic emblématique d’une campagne brutale de violence coloniale déjà existante. Les rues sont très dangereuses en ce moment : les colons qui attaquent les Palestiniens sont armés, organisés et agissent souvent sous la protection de l’armée.

« Nous sommes un peuple inébranlable et très résilient »

Cela va de pair avec le vol de terres : les attaques des colons sont souvent utilisées pour forcer les communautés palestiniennes à quitter leurs terres et à les annexer. Mais en ce moment, cela se produit à une échelle que je n’ai jamais connue.

Il s’agit donc d’une attaque contre la souveraineté alimentaire des Palestiniens. Les autorités israéliennes avaient déjà interdit la récolte de zaatar, de sauge et de l’akoub, des herbes et des plantes sauvages qui sont utilisées dans la cuisine traditionnelle palestinienne. Ils prétendent préserver l’environnement contre la cueillette sauvage. C’est du pur greenwashing, qui sert de couverture au racisme.

« Notre relation à la terre est symbiotique »

Les communautés palestiniennes sont physiquement enracinées dans la terre. Notre relation avec elle est symbiotique, elle est réciproque. Ainsi, lorsqu’Israël attaque notre terre, la détruit ou la vole, il ne s’agit pas seulement d’une attaque contre la terre. Il s’agit d’une attaque contre l’humanité elle-même. Nous sommes les gardiens de cette terre.

Nous devons situer notre situation actuelle dans le contexte de plus de soixante-quinze ans de colonialisme de peuplement violent, c’est-à-dire avant même la Nakba de 1948 [l’exode palestinien] et avant même la création de l’État d’Israël, qui est une colonie de peuplement. Elle repose sur le vol de terres, cela signifie que les populations autochtones palestiniennes sont dépossédées de leurs terres par des colons.

Malgré tout cela et face à tout cela, je ne perds pas espoir, nous sommes un peuple inébranlable et très résilient. Nous sommes attachés à cette terre. En ce moment, les jeunes agriculteurs explorent les coopératives agricoles comme une alternative au système économique néolibéral. Au lieu de mettre l’accent sur les profits, sur la production, et sur l’exploitation de la terre, on met la communauté au centre : c’est de l’agroécologie de résistance palestinienne. Le grand poète palestinien Mahmoud Darwich disait : « Nous avons sur cette terre ce qui donne un sens à notre vie », c’est-à-dire le lien entre la terre et la communauté. Les Palestiniens forment et formeront toujours une communauté. Cela signifie que nous protégeons la terre et que nous nous protégeons les uns les autres. »

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