Dans un récent entretien filmé au bord du lac Léman et publié sur son site en septembre 2023, Alain Soral m’attribue une responsabilité majeure dans sa rupture définitive avec le philosophe Michel Clouscard. Cette rupture fut matérialisée - comme on le sait peut-être -, par l’article du penseur marxiste, publié dans L’Humanité et intitulé "Aux antipodes de ma pensée". Michel Clouscard y désavouait publiquement Alain Soral au moment où celui-ci se rapprochait de Jean-Marie Le Pen et tentait, selon les termes de Clouscard, "d’y associer sa personne". C’était en l’an de grâce 2007, ma rencontre avec Michel Clouscard datant, elle, de 2003.
A ma connaissance, c’est la première fois que cette nouvelle théorie du complot - le mot s’impose ! - est rendue publique. Pourquoi vingt ans après ma rencontre avec le penseur natif de Gaillac ? Je l’ignore. Quoi qu’il en soit, je serais ainsi le chaînon manquant, l’âme noire, qui expliquerait pourquoi, à la fin de sa vie, le philosophe resté durant toute son existence proche des militants communistes n’aurait pas rejoint soudainement l’extrême droite. Et pas n’importe quelle extrême-droite, puisque le vidéaste prend soin de montrer, juste après ces propos sur Clouscard, les livres publiés depuis par Alain Soral : ceux d’Adolf Hitler et de Benito Mussolini.
Ainsi, Michel Clouscard aurait eu besoin qu’on lui tienne le stylo pour condamner le lepénisme ? Etrange pour quelqu’un qui, moins de dix ans plus tôt, faisait de Jean-Marie Le Pen le symbole tragique de l’impasse sur laquelle débouchait le système et sa crise :
"Le néo-fascisme sera l’ultime expression du libéralisme social libertaire, de l’ensemble qui commence en mai 68. Sa spécificité tient dans cette formule : tout est permis, mais rien n’est possible. À la permissivité de l’abondance, de la croissance, des nouveaux modèles de consommation, succède l’interdit de la crise, de la pénurie, de la paupérisation absolue. Ces deux composantes historiques fusionnent dans les têtes, dans les esprits, créant ainsi les conditions subjectives du néo-fascisme. De Cohn-Bendit à Le Pen, la boucle est bouclée : voici venu le temps des frustrés revanchards." (Michel Clouscard, Postscriptum à la réédition de Néofascisme et idéologie du désir, 1998).
Moins de dix ans plus tard, Clouscard n’aurait ainsi trouvé rien de mieux à faire que de rejoindre ceux qu’il appelait les "frustrés revanchards" ?
Je précise qu’en 1998, je ne connaissais pas personnellement Michel Clouscard. Au contraire, je découvrais à vingt ans ce ouvrage lumineux, paru trente ans après Mai-68 et qui décrivait si bien son époque.
De plus, pour pousser l’absurdité encore plus loin, en 2007, Michel Clouscard aurait eu aussi besoin de l’avis du jeune homme que j’étais à l’époque et né près d’un demi-siècle après lui, pour se convaincre qu’il ne fallait pas se voir associé à ce type de provocation ? A près de quatre-vingt ans, n’était cette rencontre de la dernière chance, il aurait donc volontiers abandonné la dignitas qui convient à cet âge pour participer à pareil carnaval et endosser un habit d’Arlequin faits des couleurs politiques les plus disparates, costume bariolé qui au Moyen-Âge désignait directement à l’opinion les bouffons et les fous ?
Tout cela n’a aucun sens, mais, visiblement, Alain Soral ne semble vouloir revisiter le passé que pour servir ses antiennes : prouver à quel point les marxistes et les communistes auraient tant à gagner à s’associer avec sa chère extrême-droite. Avec Madame Le Pen qui valide l’euro et l’Union européenne, c’est-à-dire le carcan qui étouffe notre souveraineté nationale ? Avec Mme Meloni qui s’aligne sur l’OTAN dans la guerre en Ukraine ? Avec M. Soral qui fait de Donald Trump son modèle, alors que celui-ci - faisant pour une fois pire que Joe Biden -, est aux avant-postes de la guerre contre la République populaire de Chine ?
Comment dit-on "haussement d’épaules" en mandarin ?
Aymeric Monville, 23 septembre 2023