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Liban : Interview de Rudolph El Karech, RTBF.


RTBF, 17 juillet 2006.


07:43 : L’invité de Matin Première


L’invité de Jean-Pierre Jacqmin est Rudolph El Kareh, journaliste libanais et professeur associé de l’ULB. Son choix musical : "Chamsu Lagchia" , de Rosa Zaragoza.



JPJA : Rudolph El Kareh, bonjour

Bonjour, Monsieur Jacqmin


JPJA : L’Andalousie, c’est la nostalgie de l’entente entre juifs et arabes avant l’arrivée d’Isabelle la Catholique et des chrétiens ?

Je n’aime pas le mot nostalgie, je préfère plutôt le mot architecture, ça a été construit. Et la chanson que vous avez entendue a été réécrite par une princesse arabe de Grenade, c’était une époque où il y avait une forme de convivialité même conflictuelle, et puis ensuite, on s’est repliés sur les nationalismes, et vous savez ce que cela a donné au XIXe siècle et aujourd’hui nous en payons le prix.


JPJA : On paie encore le prix de ce moment là . Ce qui se passe pour le moment au Liban, est-ce que vous le prenez comme une opération d’évacuation du Hezbollah, désarmement de cette milice chiite ?

Ecoutez, il faut faire la part entre le vocabulaire de la propagande et la réalité politique. Souvenons-nous qu’en 1982, Ariel Sharon nous avait raconté, avait même raconté à son premier ministre, qu’il ne faisait qu’une opération limitée qui s’appelait...


JPJA : C’était en Galilée...

Par la paix en Galilée, sur 40 kilomètres, vous avez vu jusqu’où Sharon a été. Il y a eu les massacres de Sabra et Chatila, il y a eu l’occupation du Liban sud pendant plus de 20 ans et ensuite il y a eu la résistance libanaise face à l’occupation israélienne et tout ceci se situe dans cette trajectoire.


JPJA : Vous dites résistance là où beaucoup parlent de terrorisme, il y a quand même le Hezbollah équipé de milliers de roquettes et qui a bombardé pour la première fois une grande ville israélienne Haïfa ?

Effectivement, il y a un tabou qui est tombé. Nous allons voir ce que ça a donné. Mais revenons à la question du terrorisme. Ca, c’est le vocabulaire de monsieur George Bush qui est adopté évidemment, parce que le terrorisme fait peur. Alors prenons le cas de la capture des soldats israéliens. Nous sommes dans un cas de situation d’acte de guerre. Il s’agit réellement d’un acte de guerre. Olmert l’a dit. Seulement, il n’en a pas tiré les conséquences. A partir du moment où il y a acte de guerre, il n’y a plus terrorisme. Le terrorisme s’en prend principalement aux civils. Ici, il y a eu confrontation entre combattants du Hezbollah et militaires. On aurait pu revenir à la convention de Genève, on aurait pu revenir à la convention d’armistice qui dans un de ses articles stipule exactement ce qui peut se produire et quel type de médiation. Seulement aujourd’hui, nous ne sommes plus dans le registre du droit, nous sommes dans le registre de l’emploi de la force. Et vous avez vu que le prétexte de la capture des deux soldats, qui aurait pu déboucher sur un échange de prisonniers comme cela s’est produit en 1996 et après en 2004, aurait pu déboucher aussi sur une médiation allemande ou autre. Ce qui s’est passé, c’est que nous sommes aujourd’hui dans le registre d’une entreprise systématique de destruction du Liban. Et les connotations sont différentes. Les israéliens cherchent, et ils le disent ouvertement, à venger le retrait de 2000. Ils ont d’autres objectifs politiques, mais évidemment lorsqu’on est dans une situation d’agression, on avance masqués et on dit "ce sont des terroristes". Il ne faut pas oublier que le Hezbollah est une entité politique qui participe au gouvernement libanais...


JPJA : Il y a le ministre des affaires étrangères, en tout cas, qui...

Deux ministres, non pas le ministre des affaires étrangères qui appartient au mouvement Amal qui est proche du mouvement Amal, mais qui a deux ministre qui sont ceux du transport et de l’agriculture, je crois. Ils ont des députés au Parlement, ils sont insérés dans le tissu social, ils émanent du tissu social. Alors, ça me paraît difficile...


JPJA : Est-ce que la population libanaise ne va quand même pas se retourner contre le Hezbollah qui a sans cesse harcelé l’armée israélienne ?

C’est l’espoir des israéliens et c’est la même dynamique, si vous voulez, que celle qu’on avait eue en 82, c’est-à -dire qu’à l’époque, les bombardements contre les civils, et je vous cite que c’est un crime de guerre et ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Suisse qui est gardienne des conventions de Genève qui vient de le dire, les bombardements contre les civils, les massacres, les crimes délibérés,....


JPJA : C’est contre les palestiniens.

Justement de provoquer. Tout à fait. Une réaction comme celle qui s’était produite antérieurement pour dresser la population contre les combattants. Là où je crois que les israéliens dans ce type de tactique font une erreur, c’est que, je vous le disais tout à l’heure, le Hezbollah est implanté dans la population libanaise, puisqu’il émane de cette population, c’est vrai qu’il y avait des divergences politiques sur la suite à donner à la situation au Liban-sud après l’assassinat du premier ministre Rafiq Hariri, après les résolutions de l’ONU.


JPJA : Il a quand même été largement question, et à plusieurs reprises le gouvernement libanais s’y était engagé, à reprendre le territoire avec l’armée régulière et ne pas le laisser aux mains du Hezbollah ?

Attendez, c’est plus compliqué que cela. Le mot "reprendre le territoire", je ne pense pas qu’il soit tout à fait adapté à la situation. L’armée est présente, seulement il y a une situation de guerre. Le Liban n’a toujours pas signé d’accord de paix avec, et je ne pense pas que les opérations qui sont menées actuellement par l’armée israélienne, puisqu’elle a une certaine autonomie d’action également, je ne pense pas que cela aboutira réellement à la paix. Ce que je voudrais vous dire, deux points simplement. Le gouvernement libanais était engagé dans un dialogue avec l’ensemble des partis libanais pour trouver un modus vivendi concernant le sud, mais la deuxième chose, et j’aimerais qu’on revienne là dessus, c’est que le cas du Liban aujourd’hui n’est pas isolé d’une dynamique qui s’est dévoyée depuis l’échec des accords de Madrid et l’échec des accords d’Oslo, principalement Madrid. Le principe de la terre contre la paix. Il a été totalement dévoyé, et aujourd’hui même quelqu’un d’aussi conciliant que le secrétaire général de la ligue arabe dit "le processus de paix est mort" et je crois qu’il faut inscrire ce qui se passe au Liban dans l’ensemble de ces dilemmes.


JPJA : Justement, est-ce que vous croyez que parce que les américains rencontrent des difficultés en Irak, le Hezbollah s’est senti d’avoir les coudées plus franches ?

Est-ce qu’on ne pourrait pas inverser la situation et dire que les israéliens se sont sentis les coudées plus franches, pas non seulement les coudées plus franches, mais qu’il fallait absolument compenser l’échec relatif et très relativement relatif j’allais dire, en Irak ? Mais c’est un échec quand même et est-ce que ce ne serait pas une manière de compenser ce qui se passe en Irak ? Je vais m’expliquer. Simplement un petit point : vous savez que le projet américain est un projet de dislocation de la région, ils l’écrivent, ils appellent ça "instabilité constructive, théorie du chaos, etc". L’objectif est de remodeler cette région, c’est leur terre...


JPJA : Le Grand Moyen Orient, comme ils disent ?

Ce qu’ils appellent le Grand Moyen Orient sur une base communautariste, c’est-à -dire l’identification des individus par le biais de leur matrice tribale et communautaire. Or, il y a aujourd’hui des résistances. Et je crois que ce qui se passe au Liban, c’est une forme de résistance même si elle emprunte parfois des formes communautaristes, parce que le Hezbollah est un parti à majorité chiite. Or, le fond du problème, c’est justement l’unilatéralisme d’un côté des américains qui a fait des enfants avec le processus dit de retrait du Liban Sud et de Gaza, mais quelque chose se préparait également ou se prépare encore avec la Cisjordanie. Et le deuxième point, c’est le fait qu’aujourd’hui le droit international est totalement bafoué et ignoré. Moi je suis absolument sidéré par ce qu’on appelle la communauté internationale qui fonctionne uniquement sur le principe des deux poids et deux mesures et je suis absolument étonné du fait qu’au conseil de sécurité, pour la première fois dans son histoire, ils n’appellent pas à un cessez-le-feu immédiat, ils laissent la latitude à ceux qui sont en train de détruire le Liban, de faire ce qu’ils sont en train de faire. Or, nous sommes en train de payer le tribut de la présence de monsieur John Bolton au conseil de sécurité, c’est aussi simple que ça.


JPJA : Oui, Rudolph El Kareh, mais vous présentez finalement le Hezbollah comme une victime dans cette histoire.

Non.


JPJA : Or, le Hezbollah est un mouvement chiite qui n’a pas arrêté de harceler l’armée israélienne et de bombarder parfois par des tirs de roquettes simples. Maintenant, ils ont utilisé des tirs de roquettes beaucoup plus violentes et dures et ils menacent même Tel Aviv ?

Et inversement. Je crois qu’il faut sortir de cette dialectique des victimes et de celles qui ne le sont pas. Il y a aussi des victimes de cette guerre dans les villes de Haïfa, etc, qui paient le prix d’une politique israélienne. Le Hezbollah est un parti politique, il a aussi un bras armé qui est ce qu’on appelle la résistance libanaise ou islamique, le nom importe peu ici. Le fait est qu’il se bat sur le terrain libanais, il y a un contentieux entre le Liban qui n’est toujours pas réglé avec les israéliens. La question est de savoir si on utilise uniquement des jeux de force pour arriver à une solution ou alors si on revient au droit international encore une fois. Je vais vous dire, cette question de prisonniers elle a été réglée dans le cadre de médiations internationales


JPJA : Il y a eu un échange il y a deux ans

Il y a deux ans, les allemands sont intervenus et cela avait réussi. Pourquoi ne pas avoir utilisé les mêmes méthodes aujourd’hui ? Les israéliens, aujourd’hui, disent "la capture des deux soldats n’a été qu’un prétexte et que le plan était dans les tiroirs, il fallait le sortir à un moment opportun, il sort aujourd’hui, nous allons voir si ça va aller dans le sens désiré par les dirigeants israéliens". Moi je crois qu’il y a quand même beaucoup d’inconnues dans cette affaire et il faut éviter de spéculer sur la question.


JPJA : Ce n’est quand même pas une coïncidence qu’après un enlèvement d’un soldat israélien dans la bande de Gaza par le Hamas, voilà l’enlèvement de soldats israéliens par le Hezbollah. C’est une coïncidence pour vous ou pas ?

Vous voulez dire quoi par là exactement ?


JPJA : J’essaye de comprendre comment se fait-il, on pourrait dire que ça s’est concerté à un certain moment

C’est peut-être aussi qu’ils ont le même adversaire et qu’on a tendance à l’oublier et que ce qui se passe à Gaza, c’est-à -dire la destruction des infrastructures civiles principalement pour "punir" l’opération, pour "punir" la population palestinienne de l’opération militaire pour une fois menée contre une position israélienne, il y a un paradoxe dans cette affaire. Est-ce que vous ne constatez pas que la situation est inversée ? Au moment où les résistants palestiniens au Liban mènent des opérations de type purement militaire qui s’inscrivent dans le cadre des conventions de la guerre régie par les conventions de Vienne et de Genève, bizarrement, l’armée israélienne qui est une armée d’état patentée a recourt à ce qu’on pourrait appeler le terrorisme d’état puisqu’elle frappe principalement les civils. On reprochait aux formations palestiniennes de faire du vrai terrorisme et c’était du terrorisme, qu’on se fait sauter parmi les civils, c’est du terrorisme, mais si c’est du terrorisme de désespoir. On aurait pu utiliser cette situation de retour à une situation de guerre régie par des règles pour faire avancer les règles. Seulement aujourd’hui, on fonctionne dans la violation des règles.


JPJA : Qui finance le Hezbollah ? N’est-ce pas l’Iran et la Syrie ?

Ecoutez, la question du financement est très complexe. On ne peut pas accepter, par exemple, qu’en Ukraine Monsieur George Soros finance ce qu’on a appelé la révolution blanche et Madame Julia Timoschenko et puis ensuite aller reprocher au Hezbollah de se faire financer par l’émigration libanaise ou par l’Iran, etc. Il faut cesser, je crois, de diaboliser l’adversaire. Nous avons affaire à des êtres humaines, on peut être d’accord avec leur idéologie ou pas, personnellement l’idéologie du Hezbollah n’est pas la mienne, seulement c’est un parti libanais et je respecte le fait qu’il joue le jeu des institutions libanaises.


JPJA : Est-ce qu’il le joue réellement en maintenant comme ça une milice, plusieurs milliers d’hommes qui ne s’incorporent pas dans l’armée libanaise ?

Ecoutez, oui, mais le problème n’est pas là . Le problème du point de vue formel, vous avez raison, c’est-à -dire qu’il y a quand même quelque part un problème à ce niveau. Seulement, c’est une situation de guerre. Alors, si on incorpore aujourd’hui les combattants du Hezbollah, dans la structure militaire, la structure militaire est une structure rigide, à ce moment là , les israéliens pourront taper, ce qu’ils font d’ailleurs, sur les casernes de l’armée. Ce qui embête les israéliens, si vous voulez, c’est cette dualité, cette souplesse et cette interaction entre l’armée libanaise qui est présente, l’armée libanaise se bat, l’armée libanaise n’est pas du tout neutre dans cette affaire.


JPJA : Elle se bat contre...

Elle se bat contre les israéliens lorsqu’ils l’agressent.


JPJA : Question : comment cela peut-il s’arrêter ? Certains envisagent que d’ici 10-15 jours quand le Hezbollah aura du reculer de 25-30 kilomètres, on pourrait arriver à un cessez-le-feu, vous y croyez ?

Ecoutez, ça nous verrons s’il reculera ou pas. Je crois que ce qui se passe sur le terrain ne correspond pas aux prévisions mécaniques qui ont été celles des stratèges israéliens. Je ne pense pas qu’ils s’attendaient à ce que le fameux tabou de l’inviolabilité de l’espace israélien depuis 1948 jusqu’à aujourd’hui soit mis en pièce de la manière...


JPJA : C’est le bombardement d’Haïfa dont vous parlez ?

- ... qui sont des bombardements qui ne sont pas du tout, si vous voulez, inconséquents, ce sont des bombardements ciblés. Il faut étudier la manière dont les gens réagissent. Moi je crois que ce qui est important, c’est d’abord un cessez-le-feu immédiat et sans condition, c’est la position du gouvernement libanais, c’est le retour aux principes du droit et la communauté internationale...


JPJA : Mais elle est atone la communauté internationale, les américains se croisent les bras et les autres gesticulent un petit peu.

Non seulement se croisent les bras, mais un organisme comme le G8 qui n’a aucune légitimité sur le plan légal et il le sait, se permet de donner des conseils aujourd’hui aux uns et aux autres, au lieu de dire "il faut absolument revenir au droit international", or l’ONU est instrumenté par les américains malheureusement, il faut aujourd’hui revenir au droit international, il faut obtenir un cessez-le-feu immédiat.


JPJA : Mais qui va permettre ce retour au droit international ?

Qui va permettre ? Ecoutez, moi je crois que le changement de rapport de force sur le terrain va certainement induire une modification des positions politiques et il faut attendre de voir ce qui va se passer dans les 10 ou 15 jours. Je crois qu’il ne faut pas spéculer dès aujourd’hui sur les projets des uns et des autres.


JPJA : Rudolph El Kareh, merci, vous restez avec nous et surtout avec les auditeurs de la Première qui peuvent d’ores et déjà vous poser des questions 070/22.37.37. A tout à l’heure.

A tout à l’heure.


 Source : RTBF www.rtbf.be



L’attaque israélienne sur le Liban menace de plonger tout le Moyen-Orient dans la guerre, par WSWS.

Les USA préparent des bombardements massifs de l’Iran. Seymour Hersch.


Liban : Les métamorphoses du Parti de Dieu, par Stéfano Chiarni.

Liban : Israël vs Hezbollah, par Rana El-Khatib - Peacepalestine.

« L’attaque des Hezbollah ? C’est le seul acte de solidarité avec Gaza », par Tanya Reinhart.


Chaos oriental, par Mounir Boudjema - Liberté Algérie.


L’Irak, l’Iran et la fin du pétrodollar, par Bulent Gokay.






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