[Deux articles à la suite]
il manifesto, jeudi 13 juillet 2006.
De grands drapeaux jaunes avec le logo vert du mouvement chiite Hezbollah, la résistance islamique libanaise, sont apparus hier (mercredi 12 juillet) vers midi sur les façades calcinées des immeubles de la banlieue sud de Beyrouth, à côté de celles de l’Italie et du Brésil, les équipes le plus populaires ici pendant la récente coupe du monde, ainsi que sur les antennes radio des voitures et sur les épaules de jeunes qui, à bord de grosses motos et de toutes sortes de véhicules, rappelaient à la ville, par un concert de klaxons, ce qui était en train de se passer le long de la frontière avec Israël.
A la nouvelle de l’attaque et de la prise des deux soldats israéliens, jeunes et moins jeunes sont descendus dans la rue avec des coupes pleines de ces délicieux gâteaux provenant des meilleures pâtisseries de la banlieue sud, qu’on appelait autrefois la « ceinture de la misère et de la peur ». Misère pour les pauvres paysans chiites du sud Liban, réfugiés dans la capitale avec leurs maigres bagages, après s’être échappés des champs de tabac du sud, à l’époque de la première invasion israélienne en 1978, et installés comme ils peuvent chez des parents et amis. De la peur, à cause surtout des contingents étasunien et français, déployés après l’invasion du Liban en 1982, pour défendre le gouvernement d’Amin Gemayel, dont les dirigeants sautèrent de 1982 à 1984, et à cause des nombreux enlèvements de citoyens occidentaux souvent cachés dans des baraquements sauvages de Ouzal, réputés pour leurs menuisiers et mécaniciens, quasiment sur les dunes de sable face à la mer. Cette même banlieue où, avant même ces chiites du sud pendant les années 70-80, s’étaient installés en 1948 les réfugiés palestiniens qui avaient été chassés de leur terre. L’attaque des Hezbollah, amplifié par la radio du mouvement et par la chaîne Al Manar a galvanisé l’opinion publique au sud Liban et à Beyrouth, en une forme concrète de solidarité avec les palestiniens, un geste modeste mais important face à la paralysie arabe, à la complicité des USA avec Israël et aux silences européens coupables.
Manifestations de fête aussi, pour l’opération Hezbollah, dans les villes libanaises du sud, à Tyr, la plus proche de la frontière, comme à Sidon, qui héberge plus de 90.000 palestiniens. Feux d’artifice et salves mais aussi craintes pour une situation qui pourrait ultérieurement empirer. « Peu de gens dormiront cette nuit à Beyrouth ou dans le sud, - nous dit le directeur du quotidien progressiste Talal Salman - parce que le danger d’une précipitation de la situation, étant donné l’aventurisme du gouvernement israélien soutenu par les Usa et par la pédanterie européenne, est très fort. Les prochaines 72 heures seront décisives. L’impunité et le soutien acritique pour Israël ont toujours été à l’origine de terribles tragédies pour le Moyen Orient et pour Israël même ».
Le parti des Hezbollah, par l’opération d’hier, entendait répondre au plan de la France et des USA, couvert aussi par l’ONU, d’arriver à un désarmement de la résistance libanaise sans aucun retrait israélien, ni de la Palestine, ni même des Fermes de Sheba ( voir ci-dessous ), sur les pentes du Golan - qui, pour les gouvernements libanais et syrien, appartiendrait à la république des cèdres, et pour Israël et l’Onu, par contre, serait à la Syrie. Le mouvement chiite et une majorité de l’opinion publique libanaise soutient par contre que la résolution 1559 pour le désarmement des milices ne concerne pas la résistance des Hezbollah en tant qu’elle assure le devoir de défendre et libérer le pays et, donc, aurait un caractère « national » et non partisan.
Le désarmement ou pas de la résistance, exigé par les Usa et la France, a profondément divisé non seulement les forces politiques du pays mais aussi le gouvernement d’unité nationale, en amenant celui-ci à une paralysie totale, et le pays au bord du gouffre. Au gouvernement s’affrontent en fait une majorité pro-américaine composée du premier ministre Foud Sinora, représentant de la famille Hariri, le phalangiste Samir Geagesa, le leader des droites chrétiennes Amin Gemayel et le leader druze Oualid Joumblatt. De l’autre côté se trouvent par contre la minorité (en réalité majoritaire dans le pays) constituée par les partis chiites Hezbollah et Amal, une partie de la communauté sunnite, le fameux général chrétien Michel Aoun - avec le plus important groupe chrétien représenté au Parlement - des leaders prosyriens comme Karamé et Franjieh, et laïques comme Selim el Hoss. Au centre du conflit entre les deux parties, outre la résistance et la Palestine, se trouve le délicat problème des rapports avec les USA d’une part et Damas de l’autre.
En réalité les plans étasuniens se sont ensablés en particulier sur l’alliance inédite entre le général chrétien maronite Michel Aoun (héros de la guerre de libération contre la Syrie en 1990), le secrétaire Hezbollah, Hassan Nasrallah et les sunnites de Sidon. L’alliance avec Aoun constitue le point d’arrivée d’un long processus de révision de la plate forme politique des Hezbollah qui, partis exclusivement comme mouvement de résistance à l’occupation israélienne, l’été 1982 -même si le parti n’a été fondé qu’en 1985- grâce au soutien des gardiens de la révolution iranienne dans la vallée de la Beqaa, a progressivement abandonné son projet de république islamique de type khomeyniste pour devenir un mouvement de résistance « nationale » et accepter le caractère interconfessionnel de l’état libanais. D’où ses succès, avec des listes interconfessionnelles à la fois aux élections locales, surtout dans le centre et le sud, et aux élections politiques de 2005, quand il a eu 12 députés, constituant, avec les autres mouvements chiites et les parlementaires indépendants, un groupe de 35 députés environ (sur 128) et obtenant deux ministres plus un indépendant dans un gouvernement d’unité nationale de plus en plus précaire.
Stéfano Chiarni
– Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
« Pas de désarmement sans les Fermes de Shebaa »
il manifesto, Mauro Caterna, samedi 15 juillet.
La crise israélo-libanaise et l’escalade militaire qui bouleverse le Moyen-Orient a ramené sur la scène les Mazra Shebaa, les Fermes de Shebaa. Zone qui est au point de rencontre entre le Liban, la Syrie et Israël. Un mélange d’intérêts stratégico-militaires, de disputes sur des sources d’eau et de résidus de la dernière guerre israélo-arabe. 25 Kms carrés en tout. Mazrah Shebaa est un ensemble de 14 fermes occupées par l’armée israélienne après la guerre de 1967, qui se trouvaient derrière la ligne bleue que l’ONU avait tracée après le retrait israélien du Liban en 2000, de nouveau occupée aujourd’hui par l’armée israélienne. L’état libanais, et surtout le Hezbollah, revendique ces territoires comme lui appartenant, alors qu’Israël et l’ONU déclarent qu’ils sont à la Syrie.
La revendication de cette zone, avec l’appui tacite de la Syrie et de l’Iran, est un des points forts du Hezbollah pour poursuivre la résistance contre l’état israélien, et ceci dans une optique plus régionale (moyen-orientale, ndt) que nationale, même si de nombreux dirigeants de l’état libanais et de l’opposition soutiennent sa libération. L’un d’eux est le Free Patriotic Mouvement (Fpm), parti libanais chrétien d’inspiration laïque, mené par l’ex-général Michel Aoun, protagoniste de la « guerre de libération contre la Syrie » qui s’est terminée tragiquement avec son exil, et en rupture depuis longtemps avec le parti de Hariri fils. Nous avons parlé de la crise actuelle et de la question des Fermes de Shebaa avec le général Issam Abu Jamra, ex-vice premier ministre du gouvernement Aoun, de 1988 à 1990, et aujourd’hui bras droit de Aoun à la tête du Fpm.
Mr. Jamra, quelle est la position de votre parti sur ce qui se passe ?
Nous approuvons en tout les décisions du gouvernement et demandons un cessez-le-feu immédiat.
Bush a déclaré qu’Israël avait le droit de se défendre mais ne veut pas que Beyrouth soit affaiblie, alors qu’un porte-parole de l’armée israélienne vient de dire : « ce n’est pas une guerre ».
Bush veut limiter le conflit à Israël et Hezbollah, en oubliant que le Hezbollah fait partie du gouvernement libanais. Quat à Israël, après avoir détruit les aéroports, tous les ponts sur les autoroutes et les routes, ils ne peuvent pas dire qu’il s’agit d’une crise. C’est le début d’une guerre, et personne ne sait comment ça va finir.
Le 2 février 2006, votre parti a signé un accord avec le Hezbollah.
Nos rapports avec le Hezbollah sont fondés sur une base « nationale », libanaise. Quelqu’un m’a demandé « Comment avez-vous pu faire ça ? ». La réponse est simple : nous sommes arrivés à une vision commune de la situation politique interne et internationale. Si le Hezbollah voulait revenir au fondamentalisme, alors nous pouvons être, nous, encore plus fondamentalistes qu’eux. C’est un point important. Nous, maintenant, nous avons fait un accord tactique sur la base de certaines intentions communes et d’un intérêt politique commun. Ils ont besoin de nous et nous d’eux. Ce pourrait même devenir un accord stratégique, mais toujours si c’est dans l’intérêt du Liban. Dans cette optique, nous sommes prêts à faire des accords stratégiques avec n’importe quel parti et mouvement libanais.
S’agit-il d’un accord politique aussi dans la perspective d’une amélioration des relations avec la Syrie et l’Iran ?
Le Hezbollah a de bons rapports avec la Syrie et l’iran. Mais les chrétiens aussi ont de bons rapports avec le pape, pouvons-nous les critiquer et les arrêter ? Hariri, sunnite, a de bonnes relations avec l’Arabie Saoudite, pouvons-nous l’arrêter ? Non. Si ces pays nous fournissent de l’aide, nous devons l’accepter. Nous ne sommes pas un pays riche. Ce qui ne signifie pas que nous sommes sur la même ligne politique qu’eux. Le problème central de la discussion maintenant est la question du désarmement du Hezbollah. La résolution 1559 le prévoit. Mais pour l’appliquer, il doit y avoir une bonne raison dans l’intérêt du pays. Autrement, pourquoi devraient-ils rendre les armes ? A ce point là , on ne peut pas éviter de poser, préliminairement, la question des Fermes de Shebaa, et celle des deux prisonniers israéliens . L’Onu doit faire voter une résolution pour faire libérer ces deux garçons et ramener les « Shebaa Farm » à l’intérieur des frontières libanaises. C’est après seulement qu’on peut demander à Hezbollah de désarmer. Ce morceau de terre a été sous autorité libanaise jusqu’en 1957. De 1957 à 1967, sous contrôle syrien, et de 1967 jusqu’à aujourd’hui sous contrôle israélien. Il s’agit d’une dispute entre trois pays et on ne peut la résoudre qu’en travaillant ensemble. Si on veut appliquer la 1559 par la force, le dialogue avec le Hezbollah ne sera pas un dialogue de paix.
Mauro Caterna
– Source : il manifesto www.ilmanifesto.it
– Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
Israël vs Hezbollah, par Rana El-Khatib.
Liban : De chez moi, j’ai vu ce que recouvrent les termes « Guerre antiterroriste », par Robert Fisk.
Chaos oriental, par Mounir Boudjema - Liberté Algérie.