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Afghanistan : Les ministres atteints du « syndrome de Beau Geste » ... à nos dépens par Simon Jenkins - The Guardian.


Diffusion autorisée et même encouragée.
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Ce fiasco résulte d’une malhonnêteté et d’une bêtise incroyables, les ministres qui en sont responsables doivent faire l’objet de poursuites.



The Guardian, mercredi 5 juillet 2006.


Il nous est impossible d’ignorer que l’aventure britannique en Afghanistan se solde par un échec retentissant : nos troupes sont en danger. Ce n’est pas ainsi que les choses étaient censées se passer et la présence de nos soldats dans ce pays ne contribue en rien à la sécurité de la Grande-Bretagne. Ils souffrent de la canicule et meurent au Helmand [1], non dans le but d’apporter un soutien au régime de Kaboul dans sa lutte contre les Talibans, tâche que leur faible nombre rend impossible, mais pour permettre à l’OTAN de perdurer en Europe - futile mission. . En termes d’efficacité, cette expédition afghane rappelle la funeste initiative de Gladstone lorsqu’il décida d’envoyer Gordon à Khartoum. [2]

Il faudrait que la Chambre des communes s’attelle sur l’heure à la rédaction de son rapport d’autopsie, dans l’espoir de hâter le retrait des forces britanniques de Kaboul. Les questions auxquelles elle devra répondre sont innombrables. Comment les Américains se sont-ils débrouillés pour amener l’OTAN à s’engager comme mercenaire aux ordres de Hamid Karzai ? Quels renseignements Washington a-t-il communiqués au conseil des ministres, alors que les responsables américains envisageaient ouvertement de refiler l’Afghanistan à l’OTAN, ce petit impertinent, pour lui faire les pieds après le désastre des Balkans ? Qui a créé la force de maintien de la paix qui opère aujourd’hui à Kaboul et à laquelle participent les armées de 36 nations, dont la plupart n’ont aucun rapport avec l’OTAN et pas la moindre intention de combattre ?

Le secrétaire d’État à la Défense Geoff Hoon a-t-il troqué l’envoi des troupes britanniques dans le sud hostile en 2004 contre le premier tour de commandement de l’OTAN ? Son successeur, John Reid, croyait-il vraiment que les forces des Talibans se résumaient à des « éléments résiduels » et qu’ils étaient « en perte de vitesse » ? Il faisait ces déclarations alors que, sur le terrain, des officiers britanniques le mettaient en garde : le sud, disaient-ils, n’était pas « le royaume des Land Rover mais celui des Guerriers... des casques en aluminium, des fusils et des armures corporelles », tandis que le 513ème bataillon américain d’infanterie déplorait 10 morts et des dizaines de blessés par mois. Ce qui n’empêcha pas Reid de déclarer que la Grande-Bretagne pouvait s’en sortir « sans avoir tirer le moindre coup de feu ».

Dès décembre dernier, il n’a plus fait l’ombre d’un doute que Helmand et les provinces de la frontière orientale n’étaient plus des territoires amis. Les travailleurs humanitaires rejoignaient Kaboul à la hâte. On entendait dire que des groupes d’insurgés, issus de toutes les tribus et de toutes les origines, étaient en train de se reconstituer au Pakistan et sur l’ensemble de la province pakistanaise du Balouchistan. Il devenait évident que les Américains en avaient assez de la région ; on assista à un renversement de tendance et les capitaux se mirent à affluer, provenant non seulement des ventes d’opium mais aussi des donations de magnats du pétrole du Golfe et d’Arabie Saoudite. Reid a-t-il été tenu dans l’ignorance de ces faits, ou sa détermination à écraser les Talibans l’a-t-il poussé à faire la sourde oreille ?

La Chambre des communes devrait demander pourquoi, tandis qu’en 2002 les Américains autorisaient les seigneurs de la guerre à reprendre la culture du pavot, le gouvernement britannique avait chargé Clare Short de l’ « éradication du pavot », ce qui eut comme résultat la plus abondante récolte de tous les temps en 2005 ? Si Reid considérait que l’éradication du pavot était « indubitablement liée » à la guerre, quelles conclusions tira-t-il d’un rapport de 2005 destiné à Condoleeza Rice et rendu public grâce à une fuite, dans lequel la Grande-Bretagne était accusée d’avoir « une grande part de responsabilité » dans le boom du pavot ?

Cette analyse peu réjouissante était partagée par nombre de membres des services de renseignement ; n’a-t-elle pas atteint le sommet de la hiérarchie ? D’anciens responsables de la défense, dont entre autres Lord Guthrie et Sir Peter Inge, ont été frappés au cours de leurs réunions avec John Scarlett des Services Secrets de Renseignements (SIS) [3] par le gouffre qui séparait la manière dont ce dernier analysait la situation et les rapports en provenance du front. On a l’impression que la dissonance cognitive (le fait de tenir secret ce que les ministres ne veulent pas entendre) est toujours à l’ordre du jour dans le gouvernement de Blair.

La Chambre des Députés devrait également demander qui a conçu l’organisation de la mission au Helmand et les buts que cette dernière est censée atteindre. De ces derniers, il a été dit qu’il fallait se débarrasser des Talibans, et aussi qu’il ne fallait pas s’en débarrasser, se livrer à des chasses à l’homme et ne pas s’y livrer, éradiquer le pavot et ne pas l’éradiquer. Après avoir gaspillé un milliard de livres (près d’un milliard et demi d’euros) d’aide à l’Afghanistan - argent qui s’est évaporé Dieu seul sait où sans laisser la moindre trace comptable - voilà que l’on dépense un autre milliard pour une base dans le désert au Helmand. Le ministre de la défense souffre d’une grave crise du syndrome de Beau Geste, au frais du contribuable britannique.

Reid a déclaré qu’il y aurait une « différence fondamentale » entre sa gestion du maintien de la paix et le blitzkrieg aérien des Américains. Mais qui, parmi ses subordonnés, a été pêcher cette estimation farfelue qui voudrait que « 80% des électeurs du sud afghan soient indécis » et, par voie de conséquence, potentiellement anti-Talibans ? Tous, sans exception, soutiendraient quiconque leur apporterait une sécurité durable et protégerait leurs champs de pavot. La Grande-Bretagne ne peut faire ni l’un ni l’autre, surtout pas avec seulement 3 300 soldats.

La Chambre des Députés devrait consacrer à cette force armée une enquête spécifique. Qui (encore Reid ?) a décidé d’envoyer un nombre aussi réduit de soldats peu armés, avec un front de seulement 900 fantassins, équipés de véhicules fragiles et une pitoyable défense anti-aérienne ? Que faisaient donc les généraux qui auraient dû contester un tel ordre ? Ils disposaient des mêmes informations que les Américains. Cette semaine, le cabinet de Des Browne a battu tous les records de mauvaise foi : les Talibans auraient réagi à l’arrivée des Britanniques de manière « inattendue ». Tout le monde avait prévu cette réaction.

Enfin, si l’opération « les coeurs et les esprits » est censée symboliser la bonne disposition de l’OTAN envers les Afghans, qui a donné l’ordre aux troupes britanniques de se joindre aux Américains pour l’opération Mountain Thrust, cette représentation macho d’adieu qu’ils donnent aujourd’hui ? Elle aurait, dit-on, causé la mort de plus de 500 Talibans, les frappes principalement aériennes tuant n’importe qui sans distinction. Cette opération n’a pas été conçue de manière à établir les zones sécuritaires dont le général britannique de l’OTAN David Richards a défendu la nécessité. Elle se contente de tuer de jeunes Afghans, dont les proches se rallient à la cause des Talibans, ce qui, paraît-il, rend Karzai furieux. Il sait qu’il va devoir négocier bientôt avec les Talibans s’il ne veut pas mourir.

Toutes les estimations dont j’ai eu connaissance suggèrent que le type de campagne que le gouvernement britannique envisage pour le sud de l’Afghanistan nécessiterait non pas 3 000, ni même 10 000 soldats, mais plus de 100 000. Même un tel nombre s’est avéré insuffisant en Irak, et les Afghans n’ont rien à envier aux Irakiens en matière d’insurgés fanatiques. Quant à l’opium, si l’Occident veut que les pauvres fassent pousser des plantes alimentaires au lieu de pavot pourquoi refuse-t-il de réduire sa consommation d’héroïne et se débarrasse-t-il de ses céréales excédentaires sur le marché afghan ? Les choix politiques de la Grande-Bretagne sont d’une incohérence et d’une bêtise incroyables. Néanmoins, d’intelligents diplomates, travailleurs humanitaires et militaires sont obligés de les faire leurs, parce que c’est ce que désirent les ministres. On ne devrait pas permettre à ces ministres de s’en tirer indemnes.

La semaine dernière, une compagnie du 3ème bataillon, le Régiment de Parachutistes, s’est rendue à Zumbelay, un village du Helmand, pour un petit exercice matinal de « conquête des coeurs et des esprits » Christina Lamb du Sunday Times a décrit le résultat de cette expédition dans un article haut en couleur. Des espions à leurs basques, les soldats, faisant leur entrée au vu de tous sans casques protecteurs, sans protection anti-aérienne, essayèrent de persuader les anciens du village de déserter le camp des Talibans en leur faisant miroiter des projets de développement. Ils étaient tombés dans une embuscade. Ils eurent de la chance de ne pas se faire massacrer lors des échanges de tirs qui suivirent. Leurs renseignements ne valaient manifestement rien. Ceux que reçoivent Browne et le SIS sont-ils du même acabit ? Tout de même, s’il s’avère trop dangereux de tenter ce type d’opération simple, que fichent les soldats britanniques dans le Sud de l’Afghanistan ? Nul ne peut fournir de réponse honnête à cette question.

Simon Jenkins
simon.jenkins@guardian.co.uk...


 Source : The Guardian www.guardian.co.uk

 Traduction C.F.Karaguézian www.egueule.com pour Le Grand Soir.


Diffusion autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.



Afghanistan : Londres va envoyer 900 soldats en renfort contre les talibans, AFP, 10 juillet 2006.


Afghanistan : De fortes émeutes révèlent l’ampleur de l’opposition afghane à l’occupation américaine, par Bill Van Auken.

Afghanistan : Chaos à Kaboul, par Llewellyn H. Rockwell, Jr.

A Kaboul, c’est la guerre. Troupes hors d’Afghanistan, par Loris Campetti.


Guerre contre le terrorisme ou expansion de l’Empire Américain ? par William Blum.

Afghanistan : impérialisme-pavot. Thalif Deen - Michel Chossudovsky.




[1Province du sud-ouest de l’Afghanistan

[2La défaite subie par le général Gordon à Khartoum (capitale du Soudan) en 1885 attira au premier ministre britannique Gladstone de violentes critiques ; on l’accusa de ne pas avoir réagi assez vite pour venir en aide au général assiégé. Celui qui était jusqu’alors surnomme le GOM (Grand Old Man, le « noble vieil homme ») devint aux yeux de beaucoup le MOG (Murderer Of Gordon, l’« assassin de Gordon »).

[3SIS signifie Secret Intelligence Service, synonyme MI6. Services Secrets de Renseignements [www.sis.gov.uk/output/Page312.html.


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