L’écusson si convoité est revenu à Naples, cette fois sans la présence sur le terrain du Dieu du foot, Diego Armando Maradona.
La fête a immédiatement éclaté ; mais pas seulement à Udine et, évidemment, à Naples où on a célébré une sorte de Nouvel An du mois de mai : la fête a été globale. De nombreux Napolitains, souvent obligés de vivre loin de leur cité, ont célébré, dans diverses parties du monde, l’exploit sportif de l’équipe parthénopéenne.
Bref, on peut affirmer que le championnat de football n’a jamais, autant qu’en cette occasion, représenté le meilleur du changement des temps. On peut, sans risque d’erreur, définir le scudetto (écusson) conquis par le Napoli comme le premier de l’ère multipolaire.
La victoire de l’équipe parthénopéenne a fait le tour du monde. Même les éditions locales de petits quotidiens ont, comme nous l’avons constaté dans des pays comme le Venezuela, donné un large écho à cette information, mettant en évidence la fête indescriptible qui a éclaté à Naples et le fait que cette victoire a trouvé la faveur du public global.
Selon certains, les considérations qui vont au-delà de la stricte chronique sportive sont sans fondement. Mais il n’en va pas ainsi : depuis des temps immémoriaux, pratiquement depuis l’origine, le football est étroitement lié à la politique et la géopolitique. A ce sujet, il suffit de tourner les yeux vers l’Espagne et de considérer l’histoire de clubs prestigieux comme le Real Madrid et le Barça pour prendre un exemple éclatant.
Ou bien, on peut voir les divers processus historiques où le foot ou autres sports d’équipe ont fourni un apport fondamental dans les processus de construction des nations ou influencé la géopolitique. Autrement dit, l’utilisation du sport et des questions qui lui sont liées en tant que nouvelle source de pouvoir pour atteindre des objectifs dans les relations locales, nationales, régionales et globales est définie comme une géopolitique du sport, et il s’agit d’un concept désormais bien connu, amplement discuté et accepté même au niveau universitaire.
Ainsi donc, la victoire totalement inattendue du Napoli représente un succès spectaculaire pour le football qu’on peut appeler « identitaire » et pour une cité qui se reflète profondément dans son équipe de foot, se fondant presque avec elle, en un processus qu’on ne peut observer que dans un petit nombre d’institutions dans le monde.
Dans ces temps d’uniformisation capitaliste du foot global, cette équipe a réussi à accomplir un exploit sportif malgré le peu de moyens dont elle disposait par rapport aux mastodontes de la riche Italie du Nord, et en accomplissant une révolution technique avec les joueurs-clé provenant de pays comme la Géorgie, le Nigeria, la Corée du Sud, tous lieux différents de ceux de la tradition footballistique. Elle a aussi réussi à atteindre le niveau médiatique des grosses équipes prestigieuses sur le plan international, grâce aussi au fait que le plus grand joueur de l’histoire du football, Diego Armando Maradona, a justement écrit les plus belles pages de sa carrière tourmentée avec l’équipe du Napoli.
Bref, la victoire des « azzurri » s’est produite malgré la décision du club d’aller à contre-courant de cette règle non écrite à respecter pour atteindre la victoire finale. C’est de la même façon que la ville de Naples a réussi, à une époque d’uniformisation globale, à maintenir intacte son identité, construite strate par strate au long de millénaires d’histoire, la culture grecque des origines.
L’historien Alessandro Barbero a affirmé dans une interview : « Naples est une cité où l’histoire déborde des toits et marche dans les rues, embrassant un espace de temps qui va de l’antiquité la plus reculée jusqu’à des époques récentes. Et cela contribue à faire de Naples une ville spéciale. »
Spéciale aussi cette victoire extraordinaire arrivée au beau milieu d’une époque de bouleversements extraordinaires de ce qu’on appelle l’ordre mondial.
Le Napoli a contribué par sa victoire à la démocratisation d’un sport trop longtemps monopolisé par les riches équipes de l’Italie du Nord, constructions dont la domination fondée sur un gigantesque pouvoir économique est comparable à la domination globale, en déclin, de l’ordre occidental dirigé par les décadents Etats-Unis d’Amérique, maintenant contestée par l’émergence d’une nouvelle réalité multipolaire dirigée par les puissances eurasiatiques et le Sud global : la Chine, la Russie, le Brésil de Lula.
En ce moment d’euphorie et d’allégresse globales, permettez-nous cette affirmation : le scudetto du Napoli est le premier de l’ère multipolaire, et c’est un scudetto « maradonien », au sens politique du terme. Maradona a agi comme une source de pouvoir alternatif pour son pays et a été en mesure d’influencer les relations de pouvoir en projetant et représentant les stratégies de son pays, de même que dans la région sud-américaine, en s’engageant personnellement aux côtés des présidents socialistes et progressistes de la région, comme Fidel Castro et Hugo Chávez, pour recouvrer la souveraineté et lutter contre l’impérialisme états-unien qui a dévasté l’Amérique Latine. A Naples aussi, il a contribué, par ses positions politiques hors du terrain et sa magie sur le terrain de jeu, à relever une cité courbée.
« Maradona a représenté pour Naples quelque chose de très important : il a été la rédemption et la fierté de la cité. Ce que lui a fait à Naples, seuls les Bourbon et Masaniello (1) l’avaient fait ». (Pino Daniele)
« Tant que les vrais Napolitains seront là, ils seront là, et quand ils n’y seront plus, il y aura d’autres gens. Les Napolitains ont décidé de s’éteindre, en restant jusqu’au bout napolitains, c’est-à-dire irremplaçables, irrécupérables et incorruptibles ». (Pier Paolo Pasolini)
« Naples est l’autre Europe – que la raison cartésienne ne peut pénétrer ». (Curzio Malaparte)
(1) Tommaso dit Masaniello (1620-1647) : il souleva le peuple de Naples contre l’occupation espagnole. Pendant sept jours, il fut le maître absolu de Naples, avant d’être assassiné. Son action fut poursuivie par Gennaro Annese, fondateur de la première République Napolitaine (1647-1648).