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Guénolé, Mélenchon et le Tibet : où va la gauche française ?

Dans son émission quotidienne de la RTBF « Au bout du jour », le journaliste Eddy Caekelberghs a donné la parole le lundi 13 juin 2022 à Thomas Guénolé qu’il avait déjà interviewé le 23 mai à propos de son livre "Le Souverainisme" (Que sais-je ?, PUF, 2022). Cette fois, il s’agissait de Jean-Luc Mélenchon et de la France Insoumise, parti auquel Guénolé avait adhéré avant d’en être exclu à l’issue d’une procédure probablement contestable (*).

Pendant les dix premières minutes de l’entretien, Thomas Guénolé se livre à une critique sans merci des pratiques de Jean-Luc Mélenchon : le « procès stalinien » auquel il a été soumis lui fait penser au Procès de Kafka. Autre référence littéraire : 1984 d’Orwell, en ce sens que la France Insoumise se caractériserait par l’invocation de valeurs démocratiques pour masquer une dictature interne. En qualité d’ « intellectuel de gauche » comme il se définit lui-même, Guénolé se dit « absolument mortifié (...) de constater (...) que nous nous retrouvons maintenant avec une gauche française sous l’hégémonie d’un parti au fonctionnement antidémocratique. » Il parle encore d’ « apologie de la dictature » et de « Grand Bond en arrière ».

Le journaliste intervient alors pour interroger Guénolé sur – je cite – « les relations que Jean-Luc Mélenchon entretient avec ce qu’il faut bien appeler un certain nombre de dictatures ou des dictateurs. On se rappelle le discours qu’il a fait à la mort de Fidel Castro pour l’honorer. Il y a la rencontre non moins problématique sans doute avec Chávez. Il y a déjà même, plus lointainement, le soutien en 2008 de l’annexion du Tibet par la Chine. Là ce sont des faits objectifs (sic). »

À cette perche complaisamment tendue, Guénolé renchérit à propos du discours prononcé à la mort de Castro : « c’est quand même absolument délirant quand on y réfléchit (sic) ». Concernant Chávez, il botte en touche parce que cet exemple « a déjà été tellement médiatisé (...) que c’est difficile d’avoir une discussion raisonnable et apaisée là-dessus. »

« Donc, continue-t-il, je préfère un autre exemple, qui est celui du Tibet, c’est-à-dire que dans le cadre des Jeux Olympiques de Pékin, Jean-Luc Mélenchon s’est exprimé sur la question du Tibet. Il a déclaré que le Tibet est chinois depuis des siècles et que l’annexion du Tibet par la Chine est un événement intérieur à la Chine, ce qui est en fait une négation totale du droit du peuple tibétain à la souveraineté et un soutien radical aussi à la légitimité de l’annexion du Tibet par la Chine totalitaire, qui est, je vous le rappelle, un régime totalitaire avec un parti unique et dont le bilan au Tibet, notamment en termes de persécutions religieuses est avéré et très bien documenté. Donc, c’est effectivement tout à fait inquiétant et donc on se demande où va la gauche française » (fin de citation).

Dans ce texte d’anthologie, ce que Thomas Guénolé reproche à Jean-Luc Mélenchon, c’est finalement d’avoir rappelé des réalités bien établies par l’historiographie moderne : effectivement, le Tibet est devenu une province chinoise plusieurs siècles avant que le duché de Bretagne, la Corse ou le Comté de Nice ne soient rattachés à la France. Il est donc erroné de parler d’ « annexion » alors qu’il s’est agi en 1951 de récupérer un territoire qui s’était autoproclamé indépendant en 1913, mais qui n’était en réalité qu’un protectorat britannique. Oui, la question du Tibet est bien une affaire intérieure à la Chine comme en atteste l’unanimité de la communauté internationale, y compris les États-Unis. La souveraineté dont parle Guénolé n’est qu’un fantasme cultivé par une minorité d’exilés, et le Tibet jouit, au sein de la République populaire de Chine, d’une réelle autonomie que pourraient lui envier nombre de minorités de par le monde.

Quant aux persécutions religieuses, s’il a pu y en avoir durant la Révolution culturelle, au Tibet comme partout en Chine, elles font partie du passé : s’il subsiste des tensions, c’est seulement dans les cas où la liberté de culte est instrumentalisée à des fins séparatistes. C’est avéré et très bien documenté. Ce qui aujourd’hui frappe tout visiteur, c’est la munificence des monastères et des temples, l’omniprésence des moines (quelque 60 000 rien qu’en Région autonome du Tibet) et la vitalité des pratiques religieuses.

Je laisse aussi à Guénolé la responsabilité de ses approximations sur le régime chinois comme si le multipartisme était synonyme de démocratie et je le renvoie à ma critique de certains préjugés universitaires antichinois : https://www.legrandsoir.info/ideologie-antichinoise-primaire-a-l-ulb-lettre-ouverte-au-professeur-jacques-englebert.html.

Eh oui !, cher Monsieur Guénolé, à vous entendre, on se demande où va la gauche française quand elle se contente, comme vous, de ressasser des propos de café du commerce.

Il existe heureusement d’autres personnalités, dans les milieux scientifiques (surtout anglo-saxons) et politiques (à gauche et à droite), pour tenir des propos plus sensés. À cette occasion, je me permets de vous conseiller la lecture de mon petit livre qui fait le point sur les contre-vérités à propos du Tibet Dharamsalades. Les masques tombent (éd. Amalthée, 2019), disponible en librairie et sur internet.

(*) Pour écouter cette interview d’une durée de 17 minutes, il suffit de taper : RTBF Auvio → Émissions → lettre A → Au bout du Jour Thomas Guénolé 13.06.22.

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