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« Les gouvernements oppriment les journalistes indépendants » selon John Shipton

Julian n’a obtenu le soutien d’aucun grand média. Ces médias, selon son père, à la botte du gouvernement, ont oublié leur mission d’information. John Shipton nous appelle ainsi tous à lutter tant pour la quête de la vérité que pour la libération de Julian Assange.

Olivier Berruyer (Élucid) : Quel impact aura selon vous, l’élection de Joe Biden sur l’affaire Assange ?

John Shipton : En 2010, alors qu’il était vice-président, Joe Biden a déclaré qu’il n’était pas possible d’engager des poursuites contre Julian Assange, car cela porterait atteinte au premier amendement. Mais la dynamique institutionnelle lancée par Mike Pompeo sous l’administration Trump semble se poursuivre. En outre, Biden a affirmé que la Maison-Blanche ne devait pas interférer dans une décision qui appartenait au procureur général, Merrick Garland. Cela semblerait donner au procureur général Garland une certaine marge de manœuvre pour mettre fin aux poursuites contre Julian.

Élucid : Que pensez-vous des journalistes mainstream ?

John Shipton : Les circonstances ont changé pour les journalistes, car dans la sphère numérique, toute la bande passante est sous licence gouvernementale. Le gouvernement peut vous retirer votre droit de publier très rapidement. C’était le cas pour la distribution de journaux, mais ces derniers n’ont plus de réelle importance aujourd’hui. Les journalistes lisent Twitter et couvrent des évènements qui se sont déjà déroulés. Tout cela a rendu les journalistes occidentaux extrêmement frileux.

Les grands médias ne sont de toute façon plus en position de prendre des décisions indépendantes. Ils travaillent tous pour de grands groupes qui dépendent de faveurs gouvernementales. Au Royaume-Uni par exemple, un groupe composé des principaux rédacteurs en chef de la presse et des chaînes de télévision se réunit une fois par mois au ministère de la Défense pour recevoir des analyses et des instructions sur les sujets que le gouvernement juge sensibles.

Tous ces grands organes de presse ne souhaitent pas raconter l’histoire d’un journaliste éditeur persécuté pour avoir révélé des informations véridiques, mais classées secret-défense. Elles risqueraient de mettre en danger leur prestige et d’être attaquées au nom de la sécurité nationale et du secret d’État. Le cas Assange confirme bien ces dangers qui menacent nos démocraties : l’ère de la liberté d’expression s’est achevée.

Julian n’était pas lanceur d’alerte, mais journaliste et directeur de publication. Lorsque des lanceurs d’alerte lui ont apporté les informations, il a eu l’idée brillante de publier l’information sur le Net, où elle est sauvegardée, afin que n’importe qui avec un ordinateur et un peu de temps pour l’analyser puisse construire sa propre opinion. Quand Wikileaks est sorti, il y avait un réel enthousiasme à l’idée d’avoir accès à de vraies informations.

Mais, la plupart des grands médias sont complètement corrompus, devenus de simples porte-paroles des gouvernements, comme on le voit avec le Covid-19. Dans le monde entier, tous les journaux occidentaux publient la même chose le même jour à propos de l’épidémie. Parce que tout le monde suit l’actualité de l’épidémie, ils n’hésitent pas à publier n’importe quoi. Ils sont devenus complètement cyniques, ce qui arrange bien le gouvernement.

Quelles leçons avez-vous d’ailleurs tirées de la crise du Covid ?

Que ces gouvernements ne peuvent même pas s’occuper de leurs propres populations ! On se demande alors comment ils peuvent s’imaginer s’occuper des affaires du monde. Comment pourraient-ils prendre les bonnes décisions à Bagdad ou Kaboul, quand ils n’ont pas pu prendre les bonnes pour s’occuper des habitants de Seattle !

Et par ailleurs, on a bien vu que, lorsqu’ils utilisaient à tout bout de champ l’expression « immunité collective » comme quelque chose de scientifique, c’est qu’ils envisageaient sereinement de laisser mourir des centaines de milliers de personnes âgées.

Une telle attitude est incompréhensible, comme l’est le néolibéralisme : personne ne comprend pourquoi nous l’avons, mais il est là.

Pensez-vous que les gouvernements s’en prennent aux journalistes pour nous empêcher de comprendre ces évènements ?

Bien sûr ! C’est pour cela qu’ils oppriment les journalistes et les médias qui continuent à exposer leurs politiques criminelles. Nous dépendons de vous, journalistes et éditeurs, pour être informés des crimes commis par le gouvernement, afin que nous trouvions l’énergie de faire bouclier pour empêcher tous ces meurtres.

Il faut simplement que les gens ordinaires apprennent à se connaître, y compris par-delà les frontières, et discutent de questions importantes, échangent des idées. Si les gens arrivent à savoir où trouver de bonnes informations, les choses changeront.

J’ai une foi inébranlable dans la capacité et la bonté de l’humanité en général, et j’ai raison chaque fois. Pour l’Irak par exemple, il y a eu dix millions de manifestants dans le monde contre la guerre, contre seulement quelques centaines qui, dans une volonté de manipulation, réclamaient la destruction de l’Irak. Les gens ordinaires ne veulent pas la guerre. Ils veulent voir leurs amis et prendre soin de leur famille. C’est pour cela qu’ils nous mentent, pour pouvoir déclencher ces guerres pour leurs petits profits. C’est monstrueux, et nous avons besoin d’informations pour pouvoir leur dire : Non !

Quelle est votre réaction lorsque la presse grand public a relayé l’information selon laquelle Julian travaillerait pour le Kremlin ou que WikiLeaks mettait des personnes en danger ?

Je suis surpris que des gens qui n’ont jamais rencontré Julian aient tant d’énergie et de temps pour l’insulter. Ces calomnies insupportables que la presse colporte bien volontiers sur Julian Assange semblent indiquer que les anciens médias sont des organes du gouvernement, qui s’adressent aux différentes couches de la société — le Guardian ment aux progressistes, le Telegraph aux gens de droite, etc.

Julian a dit un jour dans un discours que la Seconde Guerre mondiale, la guerre du Vietnam, la guerre d’Irak avaient toutes été déclenchées par des mensonges calculés. Tous ces mensonges et les morts qui en ont été la conséquence sont la responsabilité des journalistes.

Il existe toutefois quelques personnes intègres. John Pilger, dans le Daily Mirror en 1973, avait publié une enquête de six pages sur la guerre du Vietnam, remplie de graphiques et commentaires sur la tragédie de cette guerre.

Le journalisme indépendant est sévèrement attaqué, quel est le meilleur moyen de le soutenir ?

En réalité, le journalisme indépendant est le seul journalisme qui existe à l’heure actuelle. Occasionnellement, vous obtiendrez des informations, comme dans le cas de Yahoo. Cependant, dans ce cas précis, il s’agissait simplement de l’opposition d’une section de la CIA qui utilise Yahoo contre une autre section, celle qui obéissait à Mike Pompeo. En dehors de ces cas exceptionnels, le journalisme n’existe que dans la sphère indépendante.

Evans-Pritchard, un bon reporter du Telegraph, un homme bien informé, nous dit que les médias indépendants sont ceux qui reprennent le flambeau, sauf quand quelqu’un du gouvernement les piège et les utilise pour planter un couteau dans le dos de l’un de ses ennemis.

C’est à nous de rétablir notre capacité à avoir une conversation bien informée, et par « bien informée » je veux dire que l’on doit disposer de livres, de journaux ou de sites où l’on puisse puiser une information de qualité. Cependant, si publier une information vous coûte douze ans de prison, il y a un grave problème !

Je suppose que vous devez être très fier de ce que Julian a fait ?

Oui, bien sûr, je suis fier de tous mes enfants. Ils sont tous plus intelligents que moi. J’admire beaucoup Julian, sa capacité d’adaptation et son aptitude à continuer à se battre pour ce en quoi il croit, malgré douze années de torture psychologique impitoyable. S’il croit qu’il y a une part de vérité dans ce pour quoi il se bat, alors il n’abandonne jamais. C’est un trait de caractère.

Je n’ai jamais eu peur de me battre et je l’ai fait plusieurs fois dans ma vie. Mais, je suis encore plus revigoré par le fait de me battre pour Julian. Chaque attaque, chaque offense, chaque insulte contre Julian augmente ma détermination.

Vous avez d’ailleurs rencontré la mère de Julian, Christine, en 1970 lors d’une manifestation contre la guerre du Vietnam.

Oui, il y a une continuité amusante, peut-être biologique. Mais je n’ai pas été un activiste comme lui, je n’en avais pas les capacités intellectuelles. J’aime faire des choses concrètes, c’est une thérapie, tandis que les intellectuels comme Julian préfèrent écrire.

À 77 ans, cela doit être difficile de parcourir le monde et de mener ce combat pour Julian Assange et pour la vérité. Qu’est-ce qui vous aide le plus ?

Nous sommes très reconnaissants envers les porte-paroles, mais je pense particulièrement aux « soldats », à ces gens ordinaires qui ont porté ce mouvement dans tous les pays, et je les suivrai jusqu’en enfer.

Où en est le mouvement de soutien à Julian ?

Julian a passé douze ans à se battre, douze ans enfermé. Il a des équipes juridiques en France, à Bruxelles, à Strasbourg, en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Australie. Il dispose de centaines de milliers de soutiens : des dirigeants politiques célèbres comme le président du Mexique ou l’ancienne présidente du Brésil, des intellectuels célèbres, comme Noam Chomsky, des activistes célèbres comme Daniel Ellsberg, des journalistes célèbres, comme John Pilger ou Chris Hedges, et des poètes et des musiciens, comme Roger Waters.

Vingt-neuf villes d’Allemagne et chaque grande ville d’Australie ou de Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni également, des gens manifestent toutes les semaines ou tous les deux ou trois semaines. En France, il y a des manifestations et des réunions, je ne sais pas à quelle fréquence, mais il y a 20 000 membres sur le groupe Facebook de soutien à Assange, et un total de 100 000 soutiens. C’est extrêmement important !

Et vous et moi pouvons nous ajouter à la vague de soutiens qui arrive, en utilisant Julian comme une icône. Qui parmi nous, pourrait imaginer recueillir les millions de dollars nécessaires à la défense d’Assange, les centaines de milliers de personnes, les groupes transpartisans dans sept parlements ?

Comment peut-on concrètement aider Julian ?

À ceux qui veulent être actifs, la chose la plus simple à faire est de parler. Dans l’Évangile, il y a une belle expression : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. » [Matthieu 18:20]

C’est une allégorie de la vérité. Quand deux ou trois personnes se réunissent et cherchent la vérité, elle émerge. Les gens doivent se parler et développer leur compréhension de ce qui se passe réellement pour faire émerger la vérité.

D’autres choses peuvent être faites : monter une pétition et la porter à votre député. Le député portera alors les revendications de son électorat à l’Assemblée qui, souveraine, donne des instructions à l’exécutif.

Le cas de Julian est très inhabituel : il a des soutiens dans tous les groupes parlementaires. 90 députés au parlement grec, 30 au parlement australien, 39 au parlement français, 26 au Bundestag, 17 (je crois) au Royaume-Uni. Pour nous, ça rétablit la beauté des gouvernements parlementaires, qui prennent les demandes du peuple et les transmettent au Parlement souverain. L’exécutif sera alors forcé de constater le problème et d’agir en conséquence. C’est vraiment beau.

Pour conclure, quelle est pour vous la révélation la plus importante de Wikileaks ?

Wikileaks a montré que la vérité est une arme contre l’injustice. Mais, je ne souhaite pas vous donner un exemple isolé, cela n’aurait pas de sens, il faut prendre en compte le phénomène global.

Une idée en particulier pour vos lecteurs concerne les révélations sur la guerre d’Irak, les journaux de guerre d’Afghanistan, les documents de Guantanamo, et tous ces évènements qui ont conduit à la conscience collective de ces « guerres sans fin ». Ça n’a pas été créé dans les hautes sphères, mais par la base, par la compréhension populaire du phénomène et le retrait du soutien des populations aux guerres qui, de fait, se sont terminées.

Grâce à Wikileaks, vous pouvez regarder la vidéo Collateral Murder (« Meurtre collatéral ») qui montre le massacre de onze êtres humains à Bagdad par un hélicoptère Apache, puis le meurtre de deux bons samaritains qui tentaient de mettre l’un des hommes blessés à l’abri dans sa voiture – c’était un cameraman de l’agence de presse Reuters. Ils emmenaient leurs enfants à l’école, ont voulu aider leur prochain et ils ont été assassinés après que les pilotes d’hélicoptère aient obtenu l’autorisation de tirer sur un homme blessé, des bons samaritains et des enfants.

La guerre d’Irak s’est terminée au moment où ont été mises au jour les révélations sur l’irruption des soldats américains dans une habitation pour le massacre des occupants, le père, la mère, les enfants, les oncles et tantes, etc. Se rendant compte qu’ils auraient des ennuis pour cet acte, ils ont demandé une frappe aérienne, et ont détruit depuis les airs toute preuve d’existence de ces personnes. Mais, cela a été révélé dans les câbles publiés par Wikileaks puis lus par le parlement irakien, qui a alors rassemblé son courage et annoncé que l’accord entre les gouvernements irakien et américain ne serait pas signé. En conséquence, tout soldat américain sur le sol irakien serait passible de procédures pénales selon la loi irakienne. Ils se sont donc retirés.

Extrait de la lettre du 27 mars 2006 du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, révélée par Wikileaks.

En Afghanistan également, les révélations ont permis la fin des conflits. Grâce au travail de cinq ou six journalistes indépendants, grâce à Wikileaks !

WikiLeaks a également publié l’extraordinaire bibliothèque de câbles de la diplomatie américaine depuis 1970. C’est une base incroyable pour tout journaliste ou historien, et chacun d’entre nous peut y rechercher les noms des personnes qui ont été impliquées dans la diplomatie américaine dans leur propre pays.

L’entreprise Trafigura a jeté des déchets électroniques près des côtes africaines, détruisant la vie de villages côtiers et tuant 124 personnes, mortes d’un empoisonnement étrange. Ils étaient pris de convulsions, se vomissaient et se déféquaient dessus[1]. Tout cela pour que quelqu’un à Londres puisse se servir un verre de Champagne Dom Perignon plutôt qu’un verre de Saint-Émilion. C’est répugnant, et ça a été publié par Wikileaks.

L’archipel des Chagos a été entièrement pris par le Royaume-Uni à ses habitants, qui ont tous été envoyés sur l’île Maurice. Une des îles Chagos a été donnée aux États-Unis pour faire une base aérienne appelée Diégo Garcia, où ils ont fait décoller des B-52 pour bombarder et détruire l’Irak. Les insulaires et leurs avocats ont tout lu dans les câbles et ont présenté un dossier à la Cour Internationale de Justice et ont gagné. Le Royaume-Uni a fait appel et a perdu à nouveau. Voilà quelques exemples.

Et concernant Guantanamo, Clive Stafford Smith a pu présenter l’ensemble des dossiers ; par exemple, celui d’un citoyen britannique torturé, à qui l’on avait coupé des parties du pénis à Guantanamo. Grâce à lui, ces personnes ont été libérées une par une et Guantanamo est sur le point de fermer. Il ne reste que 80 personnes là-bas.

Wikileaks est un nom, comme Le Monde. Pourtant, ils n’ont pas la même taille. Wikileaks (tout comme vous chez Élucid) ne compte que 5 ou 12 personnes. Et ils arrêtent les guerres et réparent les injustices.

Wikileaks montre la capacité, en utilisant internet et votre intelligence, de mettre des informations à portée des gens pour qu’ils en discutent entre eux, se les approprient, et agissent en conséquence et en connaissance de cause, pour changer le cours de l’Histoire. Voilà ce qui est important.

Propos recueillis par Olivier Berruyer pour Élucid le 14 novembre 2021 lors de la venue à Paris de John Shipton organisée avec l’aide de Viktor Dedaj et du collectif Robin des lois qui exhortent le gouvernement français à accorder l’asile politique à Julian Assange.

Pour soutenir l’action de John Shipton, vous pouvez faire un don sur le site officiel de soutien à Julian Assange : https://www.assangecampaign.org.au/donate/

Pour accéder à la 1ère Partie : https://www.legrandsoir.info/julian-assange-est-victime-de-torture-physique-et-morale-d-apres-son-pere.html

»» https://elucid.media/democratie/les...
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