J’étais un bébé, je marchais à peine...
J’ai une vision terrible dans la mémoire...
Mes parents avaient été arrêtés par la milice, celle-ci oeuvrait au Lycée Thiers à Marseille, on m’a conduit dans ce lycée pour que je puisse voir mes parents, j’ai courru, j’ai échappé à la main qui me retenait et j’ai pénétré dans une salle, un jeune homme nu était pendu par les mains et les pieds comme un chevreau, on le battait.
Est-ce qu’il s’agissait de lui, mais quelques temps après j’ai entendu parler d’un jeune communiste qui s’était coupé la langue avec ses dents pour ne pas vendre ses camarades sous la torture...
Les souvenirs de la toute petite enfance sont des cauchemars dans lequel on tente de mettre de l’ordre.
En tous les cas plus tard, j’avais quinze ans, je suis devenue communiste parce que j’ai vu un reportage de Paris Match où en en 56, les hongrois pendaient les communistes à des crocs de bouchers.
J’ai adhéré au parti pour défendre le jeune homme dans la salle de torture.
Quand je vois un parti communiste devenu un clown, en train de transformer en clown le Che supplicié dans une forêt bolivienne, alors qu’une telle espérance renait en Bolivie, j’ai l’impression de voir mon jeune homme de la milice, avec un nez de clown et ses bourreaux avec des langues de belle mère en train de se moquer de ses souffrances... Je me dis qu’il s’est coupé la langue pour rien, il aurait pu vendre ses camarades puisqu’ils étaient capables de telles trahisons.
Danielle Bleitrach