Heureusement, le quatrième de couverture nous en dit plus : «
Dans ce récit vif et puissant, Vincent Robin-Gazsity nous offre une immersion sans précédent dans le rouleau compresseur chinois en Afrique. Son sens de l’observation, sa plume faussement candide et son humour pince-sans-rire font de l’auteur, un chroniqueur hors pair proposant, par sa seule expérience, un reportage de première importance sur l’une des recompositions mondiales les plus spectaculaires. »
Vincent Robin-Gazsity a épousé une chinoise. Parfois, ça, aide à développer une empathie, une indulgence (non béate) pour la Chine. Pas toujours. Prenez Pierre Haski qui annone chaque matin une chronique bien pensante, droitière et pro-yankee sur France Inter. Son épouse chinoise ne l’a pas dispensé d’un manichéisme sinophobe à front de taureau. Il est vrai qu’il est président de Reporters sans frontières, fausse ONG créée par le maire d’extrême-droite de Béziers, Robert Ménard. J’ai fait la démonstration irréfutable (et irréfutée) que RSF reçoit des dollars de la CIA, via la National Endowment for Democracy, un paravent transparent. Je l’ai fait par exemple dans un livre publié par Max Milo : « Le dalaï lama pas si Zen » (2011). Et comme la Chine est un sérieux concurrent des Etats-Unis, elle est l’adversaire, l’ennemi, pour RSF, pour Ménard, pour Haski et les médias français que la mort de De Gaulle a libérés.
Vincent Robin-Gazsity, « sa plume faussement candide et son humour pince-sans-rire ». Non seulement l’auteur a des qualités d’écriture qui soutiennent l’intelligence du texte, mais il trouve le moyen de nous amuser, de persifler, de nous faire rire dans un récit où on le voit marcher sur un câble d’acier tendu au-dessus de ceux pour qui la Chine est une dictature et un péril (jaune) et ceux qui la voient parée de toutes les vertus. Il y aussi (c’est mon cas) ceux qui espèrent que sa puissance finira par obliger les armées de l’Oncle Sam à rester chez elles. Dès lors, des milliers, dizaines de milliers, centaines de milliers d’êtres humains ne connaîtront plus le poids des bombes et l’effroi de la mort en famille.
Pourquoi « Chinafrique » dans le titre de cet ouvrage ? On pense évidemment à l’exécrable « Françafrique », système de poursuite déguisée de la colonisation à grand renfort de coups tordus, de crimes et de corruption. Le titre n’est qu’une « provocation » dit l’auteur qui précise que les relations sino-africaines n’ont « rien à voir avec la colonisation européenne » .
Ce sont des relations économiques très différentes. Les Chinois proposent des accords « gagnants-gagnants » sans s’immiscer dans les affaires politiques. Et ça marche, non sans problèmes, mais ça marche.
La France a perdu beaucoup de son influence en Afrique. La place était à prendre et la Chine est devenue le premier partenaire économique du continent noir.
Vincent Robin-Gazsity a travaillé au Gabon pour CCC, géant chinois du BTP et il a eu des efforts d’adaptation à consentir, avec des trésors de patience. Chacun connaît ce mot : « Vous, Occidentaux, avez des montres ; nous, nous avons le temps… ». Pour l’auteur, il faut désormais dire : « « Les Occidentaux ont des montres, mais les Chinois ont deux téléphones portables (P 109). Moi aussi, désormais, comme l’exige le règlement de l’entreprise. Les employés sont tenus d’avoir deux ou trois téléphones, équipés de cartes SIM de compagnies différentes pour être sûrs d’avoir du réseau partout. Il est strictement défendu de tous les éteindre en même temps. En général, j’essaye de faire en sorte que mes interlocuteurs chinois m’appellent sur l’un et les Gabonais sur l’autre. Ça me permet de ne pas me mélanger trop les pinceaux entre les langues et d’éviter de décrocher par erreur un coup de téléphone de francophone en répondant avec le « wei ? » qui correspond au « allo ? » français mais ressemble fortement à un « ouais ? » un tantinet désinvolte ».
Plusieurs téléphones pour des employés (P 115) dont chacun « est capable de téléphoner sur un fixe et un portable à la fois tandis qu’ils envoient un courriel et accueillent un visiteur. Un médecin classique sait mener de front plusieurs consultations, ausculter vos amygdales en palpant les ovaires de votre voisine et signer au passage l’ordonnance d’un autre patient pressé.
Même aux toilettes, l’homme chinois aime à envoyer un Texto, pendant qu’il fume une cigarette et lit son journal. Au travail, l’ordre donné par un supérieur doit être exécuté avant ce qui est en cours et, surtout, surtout, vite […]. Le temps des Chinois est vite. Quant aux Gabonais « ils accomplissent plusieurs tâches à la fois. L’employé de bureau de base parvient en général à me recevoir, à décrocher l’appel de son meilleur ami qu’il écoute raconter sa soirée de la veille tout en décrivant à son collègue l’accompagnement qu’il souhaite avec son bâton de manioc prévu pour le repas du midi. Il est difficile aux Gabonais de séparer le travail, la famille, le clan et l’ethnie ».
Plus loin (P 116) l’auteur constate que les Gabonais arrivent toujours seconds dans la course : « Chacun de leurs gestes me semble nécessiter une microseconde de plus que ceux des Chinois : ouvrir un dossier, saisir un tampon, décrocher son téléphone, éclater d’un rire tonitruant qui éclabousse le bureau, remercier le collègue qui apporte le bâton de manioc accompagné de poulet sauce piment, tamponner mon papier, me tendre le dossier. Ces microsecondes sont à peine perceptibles mais, mises bout à bout, elles deviennent des secondes, des minutes et des heures ».
Quant à l’auteur, pris en sandwich entre les vifs et les lents, il confie : « J’apprends à parler dans deux téléphones en même temps, souvent à trois personnes à la fois, qui me donnent quatre ou cinq informations différentes et fondamentales pour mener à bien les charges qui m’incombent. Je m’occupe maintenant des tampons, des conteneurs, de l’assurance des véhicules, de l’achat des pièces détachées et des livraisons de pétrole » (P 117).
Une réception est donnée (suivie d’un apéritif dînatoire) en l’honneur d’un changement de directeur de Total Gabon (Pp 123/124). « C’est une mission pour Bao [son épouse] et moi […].Le patron nous envoie établir quelques contacts dans l’élite gabonaise. Il faudra boire du champagne, manger des petits fours et ramener le plus possible de cartes de visite. Je pense que c’est dans nos cordes ».
Je gare notre 4x4 à côté des autres, devant une haie de cyprès disposées à travers un gazon coupé ras permettent aux femmes à la réception sans enfoncer leurs talons aiguille dans la pelouse. Au-dessus d’une porte de verdure, une enseigne de néons roses clame que nous sommes au Beach Club. La crème de Libreville est arrivée : des hommes noirs en costume avec leurs compagnes embijoutées discutent avec leurs homologues français en chemisette, un peu ploucs, accompagnés de leurs femmes peinturlurées. Plus loin, au bord de la piscine, deux paires de Chinois papotent gentiment en sirotant du kir. Dans le fond de la salle, des petits fours sur des plateaux en fer blanc, du poulet en sauce, des bananes sautées et des frites gardés par des cuisiniers patibulaires, attendent d’être jetés en pâture à l’assemblée. C’est coquet, mais timoré pour une soirée cocktail dans une entreprise pétrolière.
Je crois que nous sommes en retard… d’une bonne vingtaine d’années. Pour vivre la folie de l’or noir, il aurait fallu venir avant que Total ait absorbé la célèbre compagnie pétrolière Elf Aquitaine, alias Elf Africaine pour les intimes. Jacques Foccart, monsieur « Françafrique », avait alors placé le Gabon au centre de sa politique de contrôle des états francophones du continent. Il finançait ses actions à travers les comptes truqués du groupe. L’argent coulait à flots et arrosait copieusement les élites de notre pré carré.
Les cocktails de passation de pouvoir à la direction d’Elf Gabon, à l’époque, c’était autre chose : fontaines de champagne, batailles de caviar, tapis de pétales de roses, robes de princesse, diamants gros comme des boules à facettes et danseuses du Lido.
La fête, façon sacre de Bokassa. Autres temps, autres mœurs. De Gaulle s’en est allé, Mitterrand n’a pas réussi à soigner sa prostate, Chirac ne boira plus de bière, Foccart est mort, et Loïc Le Floch-Prigent, le directeur d’Elf, a été condamné.
Nous écoutons poliment le discours de l’ancien directeur… »
Et puis (P 135 par exemple) la corruption, l’habitude de tendre ses papiers à l’agent de police après avoir glissé des billets à l’intérieur. « Moi, j’oublie souvent. J’oublie qu’un homme qui travaille un dimanche sous un cagnard infernal pour un salaire dérisoire qui ne tombe même pas un mois sur deux, même s’il porte un uniforme, est de meilleure humeur quand on lui offre de quoi s’acheter une cannette de Coca bien fraîche chez le boutiquier du coin. Chez moi, ce qui est ici un petit arrangement naturel tomberait sous le coup de la loi. Ce que Mauss, le père de l’anthropologie française, a identifié, il y a presque un siècle, comme la salutaire pratique du don-contre-don, est simplement classé sous l’étiquette de corruption…. ».
Et aussi (Pp 142 à 147), une scène de licenciement d’un colosse noir qui nous rappelle furieusement un sketch d’Omar et Fred où Omar Sy apprend qu’il est viré.
Le racisme ?
(Pp 205/206) « En Chine, la nationalité s’acquiert par le droit du sang. On est Chinois si l’un de ses parents au moins l’est. Il est très rare que quelqu’un devienne chinois. D’abord parce que c’est très compliqué ; ensuite parce que cela suppose de renoncer à son ancienne nationalité ; enfin parce que ça n’a pas d’intérêt.
Personne, quand je vivais là-bas, ne m’a jamais demandé de me comporter comme un Chinois, ni d’adopter leur façon de vivre, encore moins de croire à leur système politique.
Globalement, les Chinois se considèrent comme incompréhensibles par les gens de l’extérieur, les étrangers. On peut vivre chez eux sans parler leur langue, sans manger leur nourriture, adopter leurs coutumes. Personne ne vous demandera de vous intégrer. Vous êtes différent, personne feindra de ne pas le voir ni n’attendra de vous que vous changiez quoi que ce soit.
Je me souviens d’une légende chinoise qui raconte l’origine de l’homme. Une même pâte introduite dans un four par le Créateur : le Blanc fut retiré trop tôt, le Noir trop cuit et l’Asiatique à point.
Les Chinois sont-ils racistes ? Peut-être pas tous, mais ceux que je connais le sont un chouïa. Ils viennent en Afrique mais ne veulent pas du sang des Noirs [pour une transfusion]. Ils veulent travailler et rentrer chez eux. Dans leur famille, sur la terre de leurs ancêtres. Ils ne sont jamais allés sur d’autres continents pour imposer leurs lois à des millions de gens, les mettre à genoux et leur demander de leur ressembler.
En France, on n’est pas raciste, à l’exception d’un petit vingt pour cent de la population parce que ces gens n’ont pas les grandes idées de nos philosophes. Les Français veulent qu’on leur ressemble, chez eux comme ailleurs. Peu importe l’origine ou la couleur, on est tous pareil, on est tous des hommes et tous régis par des principes universels. Les nôtres. Notre culture, nos lois et nos valeurs sont valables pour tous. Ce sont les meilleures. Nous ne sommes pas racistes, nous sommes ouverts. Chez nous, on n’est pas Français uniquement par le sang, on devient Français aussi par le droit du sol. Si vous n’êtes pas nés dans l’Hexagone, pas grave, nous sommes venus sur le vôtre, pour vous intégrer, pour vous offrir les bienfaits de notre civilisation, que vous le vouliez ou non. Les Français ne sont pas racistes, ils acceptent volontiers le sang des Noirs.
Dans leurs veines comme sur leur propre sol. Ou celui de leurs colonies ».
Pp 234 à 236, l’auteur nous compte longuement (trop ?) une expérience d’envoutement à laquelle il s’est soumis et qui conduit le cobaye, abondamment drogué par de plantes hallucinogènes, à un aller-retour jusqu’à la mort. Heureusement il en a réchappé, et il peut revenir à la « Chinafrique ».
Ainsi, il nous conte la construction d’une route (P 242) sur fond d’incompréhension entre les ouvriers gabonais et chinois : les uns disparaissant le temps nécessaire pour liquider leur paie, les autres ne comprenant pas ce dilettantisme. Mais « … la route avance. Ce tronçon touche à sa fin ; plus loin, un deuxième prend forme, et d’autres attendent que les contrats soient signés. Évidemment, cela fonctionne avec des dessous-de-table, des approximations et des arrangements : rien n’est précis, rectiligne et fidèle au plan. Ce n’est pas aussi blanc que le travail des Blancs, mais ça existe. Après les indépendances et les quarante années où le marché du bâtiment gabonais est resté la chasse gardée de la France, près de mille kilomètres de routes ont été bitumés. Six ans après que les Chinois sont entrés dans la partie, on en compte presque huit cents nouveaux ; et ce n’est qu’un début ! (P 245).
Aujourd’hui, face aux Chinois, les entreprises françaises, allemandes, turques, portugaises ou encore égyptiennes ne font pas le poids. Ils ont « des prix deux fois supérieurs ». Il reste les entreprises locales. Là, les affaires se règlent en « mouillant la barbe », expression du cru que nous traduirions par en « graissant la patte » de qui ferait obstacle.
Les routes de la soie
« Le projet des « nouvelles routes de la soie » ne cesse d’évoluer et ne se limite plus à l’Asie centrale, au Moyen-Orient et l’Europe : l’Afrique a été intégrée à la partie. Des routes, des voies ferrées, des pipelines, des gazoducs… La Chine a conscience que les alliances des États-Unis en Extrême-Orient, notamment chez ses grands ennemis japonais, leurs bases militaires aux Philippines également, et l’appui qu’ils trouvent en Asie du Sud-Est, pourraient leur permettre de bloquer le détroit de Malaka donc l’arrivée de pétrole et de minerais par la mer. L’empire du Milieu s’assure ainsi le passage par la route terrestre et, par la même occasion, construit les routes pour la circulation des matières premières exploitées sur le continent.
Les enjeux, encore locaux quand nous avons mis les pieds en Chinafrique, même s’ils étaient à l’échelle du continent, s’intègrent aujourd’hui à un plan mondial. Se construisent ici un équilibre des forces, un nouvel agencement des valeurs et probablement un nouveau cycle de domination. Qui sait jusqu’où l’on pourra aller en suivant cette route dans quelques années ? Peut-être même construira-t-on une voie ferrée, et l’on achètera des billets Lalara-Pékin ! (P 243).
[...] La question de savoir si on va vers le mieux a depuis longtemps perdu son sens. Seule certitude : les choses bougent, changent, se transforment. Chaque culture ne dévoile qu’un pan de la réalité. Trop longtemps, le monde n’a été observé que du point de vue de l’Occident. Cette ère est révolue ».
C’est sur ce constat que s’achève le livre de Vincent Robin-Gazsity.
Maxime VIVAS (recension).
« Un Français en Chinafrique ». Vincent Robin-Gazsity. Avril 2021. Editions Max Milo, 243 pages, 19,90 euros.