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France 3 et l’Union sacrée

Dimanche, au journal télévisé de France 3 de 19 h 30, l’un des sujets était intitulé : "Déconfinement : le gouvernement présentera son plan mardi". Et il était présenté ainsi :

[Voix de Patricia Issa de Grandi, journaliste de FR3] : "Ce matin Édouard Philippe reprend la main et prend de court les oppositions. Via un tweet, il annonce : "Je présenterai la stratégie nationale de déconfinement mardi après-midi à l’Assemblée nationale..."

[Voix de Patricia Issa de Grandi] : "Le débat portera sur le plan de déconfinement et le traçage des personnes. Un tir groupé, alors qu’au départ les deux thèmes devaient faire l’objet de deux votes distincts. Et c’est bien là que, pour l’opposition, le bât blesse".

[Cadrage de Jean-Luc Mélenchon] : "Monsieur Édouard Philippe va arriver mardi devant l’Assemblée. Il va réciter son discours, il va le lire, il va nous apprendre quelles sont les mesures, et après, séance tenante, sans aucun temps de réflexion ni d’examen critique, nous devrons voter pour ou contre..."

[Voix de la journaliste] : "Si Jean-Luc Mélenchon annonce d’ores et déjà qu’il ne participera pas au vote, à droite aussi la méthode est critiquée. D’autant que l’Assemblée fonctionne en mode confinement. Seulement 75 députés dans l’hémicycle et pas d’examen en commission.

[Cadrage de Christian Jacob, chef du groupe LR à l’Assemblée] : "A l’issue du discours du Premier ministre, il doit y avoir un débat en commission pour évaluer les mesures. On a le droit d’avoir un avis dessus. Peut-être les améliorer, peut-être d’en reprocher quelques-unes et encore une fois on peut le faire dans des délais assez contraints".

[Voix de la journaliste] : "Les députés Républicains demandent un délai de 24 heures avant le vote afin d’avoir le temps d’étudier le texte et de se concerter. Mais l’accélération de l’agenda voulue par l’exécutif fissure un peu plus l’unité nationale déjà fragile."

[Cadrage sur Yannick Jadot, d’EELV] : "Tout ça n’est pas sérieux au regard de la démocratie. Les députés s’expriment au nom de la République..."

[Voix de la journaliste] : "La présentation du plan de déconfinement pourrait bien, dans le même temps, déconfiner les oppositions".

[Cadrage sur Djamel Mazi, présentateur du journal] : "Édouard Philippe, donc, à l’Assemblée nationale mardi prochain. On retrouve Julien Gasparutto en direct de Matignon. Bonsoir Julien, on vient de le voir, l’Union sacrée a plutôt tendance à se fissurer.

[Cadrage sur Julien Gasparutto] : "Oui, je peux vous le dire que ces déclarations des leaders de l’opposition ont un peu énervé l’exécutif : pas de vote, ils hurlent, un vote, ils hurlent aussi, s’agace un ministre. Avant, on était trop longs, maintenant on est trop rapides, complète un conseiller. A Matignon, on répète qu’Édouard Philippe n’a aucune obligation, n’avait aucune obligation législative de présenter ces mesures devant les députés et encore moins de les soumettre au vote. Et on assume la volonté d’aller vite, car dès le lendemain, mercredi, donc, toutes ces mesures seront présentées aux élus locaux pour être déclinées dans les territoires. Ce plan de déconfinement sera quelque chose d’opérationnel, d’assez précis, explique Matignon, mais tout en laissant une certaine latitude aux élus locaux en concertation avec les préfets. Alors ce soir il reste encore quelques questions à trancher, comme la généralisation du port du masque. Ce sera Emmanuel Macron qui aura le dernier mot, mais attention, tout ce qui sera annoncé mardi ne sera pas forcément figé et définitif, puisque ces mesures pourront être réévaluées en fonction de l’évolution de l’épidémie".

Remarque 1. D’entrée de jeu, l’action du gouvernement est présentée de façon positive, si ce n’est laudative : Édouard Philippe "reprend la main", autrement dit, il reprend l’initiative, il distribue de nouveau le jeu, il oblige ses adversaires à jouer "en contre", à être en retard d’une manœuvre, à être sans cesse, comme le dit la journaliste "pris de court". On entend presque l’interjection qui suit nécessairement - et que Patricia Issa de Grandi incite ses auditeurs à subvocaliser : "Bien joué !".

Remarque 2. Cette impression de complaisance envers le gouvernement se retrouve dans la tirade finale de Julien Gasparutto : l’opposition y est présentée comme capricieuse, n’ayant d’autre objectif que de s’opposer par principe, et de n’être jamais d’accord, quoi que fasse le gouvernement. [Ce qui, notons-le, est une présentation de mauvaise foi, puisque ce qui compte, en l’occurrence, ce n’est pas tant la forme (existence d’un vote, délai de la procédure) que l’esprit dans lequel agit le gouvernement. Or, cet esprit, c’est : "l’initiative du gouvernement est à prendre ou à laisser - aussi bien dans la forme que sur le fond et il n’est pas question d’en discuter."]

Remarque 3. Même complaisance envers le gouvernement, lorsque le journaliste rapporte (sans commentaire) que le Premier ministre n’avait aucune obligation législative de présenter les mesures et de les soumettre au vote [Sa Seigneurie est trop bonne...] mais que lesdites mesures seront présentées aux élus [grand merci, votre Altesse...] tout en laissant une "certaine latitude" aux élus locaux, en "concertation avec les préfets". Cette "certaine latitude", on pressent qu’à l’inverse d’une "latitude certaine", elle sera limitée et que la "concertation" avec le préfet se résumera à claquer les talons en criant : "zu Befehl, Herr Oberst !"

Remarque 4. L’expression "tir groupé" est une métaphore militaire, bien dans l’esprit du discours guerrier d’Emmanuel Macron, qui avait employé six fois le mot guerre dans son allocution. Un tir groupé est un tir dont tous les impacts de balles, même loin du centre de la cible, sont très proches les uns des autres, ce qui, dans les manuels de tir, est considéré comme un meilleur tir qu’un autre dont une balle serait certes dans le mille, mais dont toutes les autres seraient à deux ou trois mètres de distance, ce qui témoigne de plus de maîtrise et de concentration chez le tireur. L’expression "un tir groupé" indique donc une bonne opération de la part du gouvernement...

Remarque 5. L’expression "Union sacrée" se réfère également à une guerre, celle de 14-18, qui vit la SFIO (Parti socialiste) et les syndicats (notamment la CGT) se ranger comme un seul homme derrière le gouvernement, à l’instar de ce qu’avaient fait leurs homologues allemands, alors qu’avant guerre, de part et d’autre de la frontière (mais aussi dans les autres pays européens) tous s’étaient promis (par des grèves, des désobéissances, des manifestations) d’empêcher leurs gouvernements respectifs de s’affronter. L’Union est dite "sacrée" car la patrie, attaquée par un ennemi extérieur, représente une valeur devant laquelle doivent alors s’effacer toutes préoccupations (politiciennes, sociales, syndicales, religieuses, sociétales...) réputées subalternes, mesquines, partisanes et causes de divisions.

Remarque 6. Le non-dit, l’impensé de cette "Union sacrée" est que la valeur censée cimenter la "Patrie" est située dans un empyrée pur de toutes contingences. Or, même lorsque ladite "Patrie" est attaquée par l’ennemi, que celui-ci s’appelle "Kaiser Guillaume" ou "Covid-19", les divisions, les disparités qui préexistaient au conflit n’en perdurent pas moins : il y a toujours des inégalités (et sans doute plus que jamais), entre riches et pauvres, entre patrons et salariés, entre hommes et femmes, entre Français et immigrés, entre confinés dans les tranchées et embusqués dans les bureaux (comme aujourd’hui entre entassés dans un F3 de HLM et étalés dans leur villa de l’île de Ré), etc.

Remarque 7. Cette valeur mythique de la "Patrie", qu’on se garde de définir (mais qui, de fait, est une tambouille de trognons de manuels d’histoire 1900, d’épluchures du Rassemblement National, de rogatons du Puy du Fou, baignant - "en même temps", comme dirait l’autre... - dans la friture du Medef), il n’est pas question de la contester : on ne conteste pas les contrôles policiers (parfois musclés) dans la rue et les amendes en progression géométrique, on ne conteste pas la surveillance par drone et le pistage des téléphones portables, la semaine de 60 heures et l’instauration du travail du dimanche, la suppression des jours de congé (et, symétriquement, la suppression de l’ISF...), le blocage des salaires, le gel des heures supplémentaires à 10 % au-dessus des heures normales (au lieu de 50 %), l’interdiction des rassemblements à plus de 3 personnes (bien commode pour annuler meetings et manifestations sauf quand il s’agit de s’entasser dans le métro pour engraisser les actionnaires).

Remarque 8. L’Union sacrée est un mot codé qui sert de prétexte pour réprimer les oppositions et régler ses comptes avec les déviants (on ne se déchire pas devant l’ennemi !), comme, en 1918, lorsque Clemenceau en profita pour amener Joseph Caillaux, son opposant politique, au bord du peloton d’exécution.

Pour stigmatiser le plébiscite de 1870 (Napoléon III était friand de ce type de scrutin), une caricature présentait un ouvrier questionnant son maire : "M’sieur le maire, c’est quoi, un "bibisite" ?" Et le notable de répondre : "C’est un mot latin qui veut dire oui". Traduction en langage de 2020 : "Dis papa, c’est quoi l’Union sacrée ?". Et le père : "C’est la façon, pour la droite, de dire : ferme ta gueule..."

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« Si le Président se présente devant le Peuple drapé dans la bannière étoilée, il gagnera... surtout si l’opposition donne l’impression de brandir le drapeau blanc de la défaite. Le peuple américain ne savait même pas où se trouvait l’île de la Grenade - ce n’avait aucune importance. La raison que nous avons avancée pour l’invasion - protéger les citoyens américains se trouvant sur l’île - était complètement bidon. Mais la réaction du peuple Américain a été comme prévue. Ils n’avaient pas la moindre idée de ce qui se passait, mais ils ont suivi aveuglement le Président et le Drapeau. Ils le font toujours ! ».

Irving Kristol, conseiller présidentiel, en 1986 devant l’American Enterprise Institute

Le 25 octobre 1983, alors que les États-Unis sont encore sous le choc de l’attentat de Beyrouth, Ronald Reagan ordonne l’invasion de la Grenade dans les Caraïbes où le gouvernement de Maurice Bishop a noué des liens avec Cuba. Les États-Unis, qui sont parvenus à faire croire à la communauté internationale que l’île est devenue une base soviétique abritant plus de 200 avions de combat, débarquent sans rencontrer de résistance militaire et installent un protectorat. La manoeuvre permet de redorer le blason de la Maison-Blanche.

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