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Assignons en justice les banques qui s’enrichissent sur le dos des prêts Macron.

A l'écouter Bruno Lemaire est devenu marxiste, en tout cas tendance Groucho. Voilà que l'Etat promet une pluie de prêts aux PME, PMI et autres, afin de les aider à passer le cap de la crise. C'est faux, comme toujours. Les hommes à la tête du système, pour ne pas dire de l'Etat qui a disparu, mettent de l'argent dans un toboggan, mais après ce sont les banques qui s'occupent de tout. Et d'abord d'elles mêmes. Cette disposition nous rappelle cette règle folle qui oblige la France, quand elle veut emprunter, à passer par les oukases du monde de la finance.

La communication gouvernementale le rabâche. Bruno Lemaire s’en gargarise : le « PGE », prêt garanti par l’Etat, concours pouvant représenter jusque 3 mois de chiffre d’affaires, va assurer la survie puis la pérennité des TPE françaises. Elles qui font le « maillage » essentiel de l’économie nationale.

Rendez-vous compte, c’est formidable, le dispositif prévu par l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 (modifié le 17 avril dernier) offre sans aucune condition la garantie de l’Etat à hauteur de 90% du montant emprunté par nos commerçants, libéraux et artisans en difficulté. En effet ce texte nous dit que « la garantie de l’Etat est accordée aux établissements de crédit et sociétés de financement pour les prêts ... consentis, sans autre garantie ou sûreté, à compter du 16 mars 2020 et jusqu’au 31 décembre 2020 inclus » à toutes « les entreprises personnes morales ou physiques en ce compris les artisans, commerçants, exploitants agricoles, professions libérales et micro-entrepreneurs, ainsi que les associations et fondations ayant une activité économique » (articles 1 et 3).

Les voilà sauvés, ces mal partis, de la banqueroute. La belle histoire d’un lendemain promis à n’a plus être comme « avant » ... Hélas, cette histoire reste une histoire, comme celle que l’on raconte quand on veut faire foi. Mais elle est fausse. Dans ses promesses Bruno Lemaire escamote une épreuve importante du parcours du combattant qui attend les candidats aux prêts, c’est le bon vouloir et l’avidité des banques. La crise est un outil comme un autre qui, pour les banques sans affect, doit rester le moyen de gagner de l’argent. Les « prêts Lemaire » en sont un.

L’arrêté ministériel, qui se veut salvateur, dispose que : « l’établissement prêteur qui souhaite faire bénéficier de la garantie de l’Etat [...] un prêt [...] qu’il consent [à ses clients,] notifie à Bpifrance Financement SA de l’octroi de ce prêt » (article 4). Il laisse ainsi aux banques, en dépit du risque minime de défaut pris par ces dernières puisque seuls dix pour cent viennent de leur concours, le choix d’accorder ou de refuser les prêts, de manière totalement discrétionnaire. L’établissement bancaire n’a pas à se justifier de son choix, celui d’accorder ou non un peu de trésorerie aux cafetiers, restaurateurs, petits commerçants de quartier ou du village, indépendants et artisans. Alors qu’ils meurent du confinement économique imposé par l’Etat, urgence oblige. Cette loterie des prêts venant s’ajouter à la dureté de la vie précaire, celle qui touche chacun avec l’impéritie qui a conduit au défaut de masques, de tests, de gel, de blouses, de surblouses, de respirateurs, de curare et de tout ce qu’il nous faudrait pour affronter avec moins d’angoisse la catastrophe économique annoncée.

Eh bien non, rien ne vient s’imposer à nos banques libres et sans contraintes. Sauf une, pour la BPI c’est différent. Elle, et elle seule, est tenue de garantir tous les prêts notifiés par les banques privées. Sans examen ni mot à dire. Or la BPI, c’est la banque « Publique » d’investissement. Autrement votre argent, notre argent, celui des citoyens qui acquittent taxes et impôts.
Pour les autres, les banques privées, c’est-à-dire l’univers de la finance, prêter ne relève que du « souhait », du « consentement », bref de la bonne volonté mise à accomplir leur métier, qui est de prêter. Les nouvelles règles que nous vivons, les anglo-saxons appellent cela du soft law. Un droit si souple et élastique qu’il n’impose plus rien, se joue à la tête du client et dans l’obscurité.

Pour parler grossièrement Emmanuel Macron et Bruno Lemaire font comprendre aux banquiers, mais sans oser le dire, qu’il ne faut prêter qu’aux riches. Et que voit-on depuis le 17 avril dernier ? Et bien le monde à l’envers et l’argent aller vers l’argent au détriment de ceux qui en ont réellement besoin. Et les entreprises dont la trésorerie est dans le rouge se voient refuser très largement, trop en tout cas, l’accès au PGE.

On peut ainsi lire dans la Tribune du 15 avril dernier, que le Président national de la branche restauration de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (lui-même !) a espéré « décrocher [le PGE] et finalement c’est niet, la banque n’a pas voulu me l’accorder » alors que son « entreprise est pourtant solide. Elle existe depuis plus de quatre ans et j’emploie sept salariés à l’année » . Le Président de l’Union des entreprises de proximité explique quant à lui que des « témoignages d’entreprises qui peinent à obtenir un Prêt garanti par l’état, j’en reçois par kilos » .

Dans un courriel conjointement adressé, le 22 avril, au ministre de l’Economie, le Conseil national des barreaux, l’ordre des avocats de Paris et la conférence des bâtonniers, s’alarment des « nombreux refus d’octroi de PGE aux avocats par leurs agences bancaires, le plus souvent en raison d’une situation de trésorerie négative, alors que le risque des banques est ici minime puisque le prêt est garanti par l’Etat à 90 %. En réalité certaines agences analysent sans aucune bienveillance les demandes des avocats et se refusent à appliquer des critères plus souples que pour l’octroi d’un prêt classique ».

Citons enfin une enquête de France Inter qui relate plus globalement que « pour "éviter l’image de la banque qui a coulé les entreprises", les établissements de crédit affichent leur volontarisme. Mais face aux mauvais dossiers, des chargés d’affaire ont pour consigne de faire traîner les choses. »

Faire trainer, pourquoi ? Ce serait à n’y rien comprendre si ce n’était pas évident. Derrière la « com » sur le risque » pris par les prêteurs se cache une très vilaine réalité : pour les banques tous leurs clients « à découvert » sont profitables.

Le paradoxe n’est qu’apparent et la manœuvre simple : les entreprises vides de liquidités sont débitrices d’agios. Or les agios sont beaucoup, mais alors beaucoup plus rémunérateurs que les 0,25% d’intérêt offert par le PGE. Les agios, qui sanctionnent le solde négatif d’un compte-courant, sont en effet d’un taux proche de l’usure. Si on rajoute à cela les frais exorbitants de découvert, on atteint assez vite 5% et on peut tenter 7%, voire plus...

Les petites entreprises en difficulté représentent une véritable manne pour les banques. Prêter devient sans intérêt, si l’on peut dire...

Mais gare à l’indigestion. « La contradiction reste la loi fondamentale des choses » comme l’enseigne Hegel, elle est le moteur de l’histoire, ajouta Marx. La mise en piste, pour guérir le mal économique, de libres banquiers pourrait provoquer un retour de manivelle.

Si tant est que nous autres, avocats, plaidions un jour à nouveau - et que le juge veuille bien juger- on trouve dans notre droit commun, et cela avant les mesures exceptionnelles de confinement, un arsenal de textes qui pourraient pousser vers une jurisprudence douloureuse pour l’usure. Elle viendrait conduire à la barre tous les banquiers au commerce si peu équitable. En effet, l’article 225-1 du code pénal retient comme discriminatoire la « distinction opérée entre les personnes », qu’elles soient physiques (ce qui couvre ici les artisans, libéraux, entreprises unipersonnelles) ou morales (recouvrant les sociétés, associations, syndicats), reposant sur « la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur ».

Qu’on ne vienne pas nous dire, comme excuse, que le banquier ne connaît pas la situation économique de ses clients. Et que ne pas avoir de trésorerie ne caractérise pas la « vulnérabilité » des TPE, celle prévue par l’article 225-1. Ou alors la langue française n’est plus celle de la République et le journal officiel doit s’écrire en novlangue d’Oceania.

Lorsque l’on sait que l’article 225-2 , lui, sanctionne « de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende » toute discrimination consistant à « refuser la fourniture d’un bien ou d’un service », à « entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque » ou à « subordonner la fourniture d’un bien ou d’un service à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1 », il devient légitime de mettre en accusation le banquier qui refuse un PGE à une petite entreprise d’artisans, commerçants ou libéraux à découvert bancaire. Alors que, par ailleurs, il octroie, des prêts à des sociétés présentant un solde créditeur. A défaut de pouvoir pomper sur ces dernières le moindre agio ni le moindre frais.
Si cette fraude à la loi (i.e. à l’arrêté ministériel du 17 mars) n’est pas en soi punissable, le refus discriminatoire de PGE et l’entrave discriminante à l’activité économique en résultant, à raison de la vulnérabilité économique des TPE victimes, apparait quant à lui constitué. On a beau chercher en effet, alors que le prêt garanti par l’Etat est quasiment exclusif du risque de défaut - la BPI offrant, répétons-le, une garantie exceptionnelle au-delà de toute celle que prendrait normalement le banquier -, la seule raison expliquant le refus de PGE à l’égard des plus précaires, c’est la rentabilité à court terme. La rentabilité immédiate se fait au mépris du tissu économique français.

On chercherait à détruire du capital, comme après une guerre, pour maintenir la rentabilité du taux de profit, qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Plus terre à terre, contentons-nous de rappeler que, sans contre-pouvoir, la finance fait la loi du marché. La contre-offensive judiciaire existe, elle est prête. Pour tempérer les banques il nous reste à retrouver des juges qui veuillent bien siéger, considérant enfin que chaque page du Code n’est pas un piège à Corona.

Bérenger TOURNE

Notes

1 https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/pret-garanti-par-l-etat-refus-delais-obstacles-ces-entreprises-qui-rament-face-aux-banques-845283.html

2 https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/pret-garanti-par-l-etat-refus-delais-obstacles-ces-entreprises-qui-rament-face-aux-banques-845283.html

3 https://www.franceinter.fr/pret-garanti-par-l-etat-comment-les-banques-cherchent-a-sauver-leur-image-avant-les-entreprises

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Depuis 1974 en France, à l’époque du serpent monétaire européen, l’État - et c’est pareil dans les autres pays européens - s’est interdit à lui-même d’emprunter auprès de sa banque centrale et il s’est donc lui-même privé de la création monétaire. Donc, l’État (c’est-à -dire nous tous !) s’oblige à emprunter auprès d’acteurs privés, à qui il doit donc payer des intérêts, et cela rend évidemment tout beaucoup plus cher.

On ne l’a dit pas clairement : on a dit qu’il y avait désormais interdiction d’emprunter à la Banque centrale, ce qui n’est pas honnête, pas clair, et ne permet pas aux gens de comprendre. Si l’article 104, disait « Les États ne peuvent plus créer la monnaie, maintenant ils doivent l’emprunter auprès des acteurs privés en leur payant un intérêt ruineux qui rend tous les investissements publics hors de prix mais qui fait aussi le grand bonheur des riches rentiers », il y aurait eu une révolution.

Ce hold-up scandaleux coûte à la France environ 80 milliards par an et nous ruine année après année. Ce sujet devrait être au coeur de tout. Au lieu de cela, personne n’en parle.

Etienne Chouard

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