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Le ministre britannique qui a approuvé la demande d’extradition d’Assange s’est exprimé lors de conférences américaines secrètes demandant qu’il soit "neutralisé". (Daily Maverick)

Le ministre britannique qui a approuvé la demande controversée des États-Unis pour que le Royaume-Uni extrade l’éditeur Julian Assange a assisté à six réunions secrètes organisées par un institut américain qui a publié des appels à l’assassinat ou la neutralisation d’Assange

Sajid Javid, qui a été ministre de l’Intérieur britannique d’avril 2018 à juillet 2019, a participé à des "discussions de stars" et à des "cocktails" dans le cadre d’une série de conférences officieuses auxquelles participaient des personnalités de haut niveau de l’armée et des services de renseignement américains dans une station balnéaire insulaire 5 étoiles au large des côtes de Géorgie (États-Unis). Nombre des participants ont été exposés dans les publications de WikiLeaks et ont demandé la fermeture de l’organisation. 

Javid a signé la demande d’extradition de l’administration Trump pour Assange en juin 2019. Il était ministre de l’intérieur de la Grande-Bretagne jusqu’à sa démission il y a 9 jours. Un des critères selon lequel un ministre de l’intérieur britannique peut bloquer l’extradition vers les Etats-Unis est que "la personne risque la peine de mort".

Le mois précédant sa nomination au poste de ministre de l’Intérieur en avril 2018, Javid s’est rendu en Géorgie pour le "forum mondial" de l’American Enterprise Institute (AEI) - une organisation américaine néoconservatrice influente ayant des liens étroits avec la communauté du renseignement américain. L’AEI mène une campagne contre WikiLeaks et Assange depuis 2010. 

On peut maintenant révéler que Javid s’est exprimé lors de la réunion de 2018, tout comme Jonah Goldberg, un membre de l’AEI qui a demandé qu’Assange soit "garrotté". Dans un article publié sur le site de l’AEI, Goldberg a écrit : "WikiLeaks constitue de loin l’une des violations les plus importantes et les plus médiatisées de la sécurité nationale américaine depuis que les Rosenberg ont donné la bombe aux Soviétiques. Je pose donc à nouveau la question suivante : pourquoi Assange n’a-t-il pas été garrotté dans sa chambre d’hôtel il y a des années ? C’est une question sérieuse".

Bill Kristol, un proche associé de l’AEI qui s’est également entretenu avec Javid en Géorgie, a écrit une chronique intitulée "Tabassez WikiLeaks" dans laquelle il pose la question : « Pourquoi ne pouvons-nous pas utiliser nos différents atouts pour harceler, enlever ou neutraliser Julian Assange et ses collaborateurs, où qu’ils soient ? Pourquoi ne pouvons-nous pas perturber et détruire WikiLeaks dans le cyberespace et l’espace physique, dans la mesure du possible ? » L’article de Kristol a été promu sur les médias sociaux par un autre membre de l’AEI qui s’est entretenu avec Javid en Géorgie. 

Goldberg et Kristol ont tous deux pris la parole lors des quatre forums mondiaux de l’AEI auxquels Javid a participé de 2014 à 2018. 

En 2018, Elliott Abrams, l’un des principaux architectes néo-conservateurs de la guerre en Irak de 2003, connu pour sa condamnation lors du scandale Iran-Contra dans l’administration Reagan, était présent aux côtés de Javid. Abrams a déploré la publication de documents par WikiLeaks. Aux côtés de Javid se trouvait également Fred Kagan, un haut fonctionnaire de l’AEI qui a servi de conseiller à l’armée américaine en Afghanistan.

La signature par Javid de la demande d’extradition américaine était une décision controversée à laquelle s’est opposée à l’époque Diane Abbott (Membre de l’opposition chargée des questions de politique intérieure). "Julian Assange n’est pas poursuivi pour protéger la sécurité nationale des Etats-Unis, il est poursuivi parce qu’il a exposé les méfaits des administrations américaines et de leurs forces militaires", a déclaré Mme Abbott au Parlement britannique en avril 2019 après qu’Assange ait été enlevé à l’ambassade équatorienne à Londres. 

La demande d’extradition de l’administration Trump est sans précédent dans la mesure où le Royaume-Uni n’a jamais extradé un journaliste et un éditeur vers un pays tiers.
 
Les délibérations au sein du ministère britannique de l’intérieur concernant l’extradition d’Assange et son incarcération dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, où il est actuellement détenu, sont opaques. Le site « Declassified » a envoyé une demande dans le cadre de la liberté d’information au ministère de l’intérieur, demandant que tout appel téléphonique ou courriel reçu ou envoyé par Sajid Javid pendant qu’il dirigeait le ministère et mentionnant Assange lui soit communiqué. Le Home Office a répondu : "Nous avons effectué une recherche approfondie et nous avons établi que le Home Office ne détient pas les informations que vous avez demandées". 

Il n’est pas clair si Javid a seulement discuté de la demande d’extradition d’Assange en personne alors qu’il était ministre de l’intérieur ou s’il a utilisé un courriel ou un téléphone privé pour le faire. 

Réunions secrètes liées au renseignement

Les participants, l’ordre du jour et même les dates du forum mondial de l’AEI sont un secret bien gardé. Mais Declassified publie désormais les listes de présence et les ordres du jour - marqués "confidentiels" - des quatre dernières conférences auxquelles Javid a assisté : en 2014, 2015, 2016 et 2018 (voir fin de l’article original). Declassified n’a pas pu obtenir d’informations sur les deux premières réunions de l’AEI auxquelles Javid a participé en 2011 et 2013. 

Depuis sa première participation au "forum mondial" à l’AEI en 2011, moins d’un an après être devenu député, Javid a ensuite participé à six des huit conférences annuelles de l’AEI jusqu’en 2018. De juin 2012 à aujourd’hui, le registre des intérêts parlementaires de Javid indique qu’il n’a effectué aucun voyage à l’étranger payé par un tiers, à l’exception de ceux financés par l’AEI. Au total, Javid a reçu £31 285,19 ($40 800) en dons de l’AEI. 

Javid est l’invité britannique le plus fréquent de l’organisation américaine et, la plupart des années, il a été l’un des rares invités britanniques. Le seul autre habitué britannique est Michael Gove, une autre figure de proue du cabinet de Boris Johnson. 

L’AEI a accès aux plus hauts niveaux de la communauté du renseignement américaine. Parmi les invités aux événements auxquels Javid a assisté, on comptait deux anciens directeurs de la Central Intelligence Agency (CIA) et deux directeurs en exercice de la National Security Agency (NSA). En 2018, H.R. McMaster, alors conseiller à la sécurité nationale du président Trump, s’est exprimé aux côtés de Javid. Toutes les discussions entre le ministre britannique et les chefs des services de renseignement sont restées secrètes.

La CIA a clairement indiqué qu’elle "travaille à faire tomber" WikiLeaks après que cette dernière ait publié en 2017 la plus grande fuite de matériel classifié de la CIA jamais enregistrée. Il a récemment été révélé que la CIA a reçu d’une société de sécurité espagnole des enregistrements audio et vidéo des réunions privées de Julian Assange, y compris des conversations privilégiées avec des avocats, à l’ambassade équatorienne. La NSA a également été largement exposée par WikiLeaks. 

Lors de l’événement de l’AEI en 2016, Javid a pris la parole lors d’une conférence intituléé "Le défi à l’étranger et les implications pour les États-Unis", aux côtés du sénateur américain Lindsay Graham qui a demandé qu’Assange soit inculpé en 2010 uniquement pour avoir reçu des fuites. 

Une autre conférence, intitulée "Simuler la prochaine attaque contre les Etats-Unis", a réuni l’ancien directeur de la CIA, Michael Hayden, ainsi que Marc Thiessen et Gary Schmitt, deux collaborateurs de l’AEI qui ont beaucoup écrit sur la nécessité de faire taire Assange et de WikiLeaks. Le sénateur Mitch McConnell, qui a qualifié Assange de "terroriste high-tech", et le membre du Congrès Mike Rogers, qui a demandé l’exécution de Chelsea Manning, source de WikiLeaks, ont également pris la parole en 2016. 

Javid s’est entretenu lors de l’événement de 2015 avec Paul Wolfowitz, un universitaire de l’AEI qui a été largement exposé par les fuites de WikiLeaks, sur la menace posée par le groupe terroriste d’État islamique. Karl Rove, un ancien conseiller du président George W. Bush, a également pris la parole lors de l’événement de 2015. Il a été rapporté en 2010 que Rove conseillait le premier ministre suédois Fredrik Reinfeldt sur la façon dont la Suède pourrait aider l’administration Obama à poursuivre WikiLeaks. 

Une autre conférence du forum 2015 était intitulée "Combattre une cyberguerre" : L’ancien directeur de la NSA, Keith Alexander, le directeur de la NSA de l’époque, Michael S. Rogers, ainsi que l’ancien directeur de la CIA, Michael Hayden, ont participé à une autre conférence lors du forum 2015 intitulée "Combattre une cyberguerre : la défense est-elle la seule option ? 

"On a beaucoup parlé de l’insécurité de la cybersphère, mais la réalité de la cyber-menace est beaucoup plus large et plus dévastatrice que ce que la plupart des gens pensent", peut-on lire dans la présentation de la conférence. La question posée était la suivante : "Notre seul choix est-il de nous protéger, ou le moment est-il venu de contre-attaquer ? Et qu’est-ce que cela signifie ?"

David Petraeus, un autre ancien directeur de la CIA, s’est exprimé lors de l’événement de l’AEI en 2014 aux côtés de l’ancien vice-président américain Dick Cheney, membre du conseil d’administration de l’AEI, et de John Bolton, souvent considéré comme la figure la plus belligérante et pro-guerre à Washington, qui était membre de l’AEI avant de devenir le conseiller à la sécurité nationale de Trump. Alors qu’il était à l’AEI, Bolton a écrit de façon ambiguë : "Quant à WikiLeaks elle-même, et à quiconque coopère avec son entreprise malveillante, il est temps de tester nos capacités de cyberguerre. Feu à volonté".

Assange et l’AEI

L’AEI mène une campagne contre WikiLeaks-et Assange en particulier dans les médias américains depuis 2010. Le site web de l’organisation répertorie 20 articles ou événements étiquetés "Julian Assange" et 43 articles étiquetés "WikiLeaks", qui sont tous négatifs.

Marc A. Thiessen, membre résident de l’AEI, a écrit de nombreux articles diabolisant Assange et le travail de WikiLeaks. Un article intitulé "WikiLeaks doit être arrêté", publié sur le site de l’AEI, conclut : "Si on ne le laisse faire, Assange deviendra encore plus audacieux et inspirera d’autres personnes à imiter son exemple". Un autre article de mai 2019, également sur le site de l’AEI, est intitulé "Assange est un espion, pas un journaliste. Il mérite la prison". Thiessen a participé à tous les forums annuels de l’AEI que Javid de 2014 à 2018. 

En 2012, l’AEI a parrainé un événement à Washington DC intitulé "L’asile d’Assange dans l’Équateur de Correa : Le dernier refuge pour les canailles", organisé par Roger F. Noriega, un autre membre de l’AEI, qui a également critiqué Assange. La question à laquelle il fallait répondre était la suivante : « Le président équatorien peut-il réussir à blanchir son image en promouvant la croisade anti-américaine d’Assange ? »

Sajid Javid et l’American Enterprise Institute n’ont pas répondu aux demandes de commentaires.

Matt Kennard, Mark Curtis

Matt Kennard est responsable des enquêtes et Mark Curtis rédacteur en chef de Declassified UK, une organisation médiatique qui enquête sur les politiques étrangères, militaires et de renseignement du Royaume-Uni. Ils tweetent sur @DCKennard et @markcurtis30. Suivez Declassified sur twitter à @DeclassifiedUK

Traduction "quoi de plus chic que de discuter de crimes en sirotant un cocktail ?" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

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