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L’émergence des trois Espagnes

. 42,2 % seulement des Espagnols soutiennent le modèle actuel des Communautés Autonomes (CCAA).

.L’Espagne se trouve divisée au niveau territorial entre trois paris sur le futur non seulement différents mais antagoniques.

L’article 2 de la Constitution Espagnole est ainsi libellé : « La Constitution se fonde sur l’unité indissoluble de la Nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols, et elle reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et régions qui la constituent et la solidarité entre toutes. » Ainsi donc, il faut présupposer qu’au moment de l’approbation du texte constitutionnel, la majorité de la population espagnole était d’accord sur deux principes fondamentaux : l ‘indivisibilité de l’État et l’autonomie de ses parties. C’est sur la base de ces deux idées qu’on a construit, tout au long de quatre décennies, ce qu’on a appelé le « modèle autonomique ».

Mais, 40 ans après, ce consensus existe-t-il toujours ? Les données du CIS [Centre d’Investigations Sociologiques et d’enquêtes électorales] semblent indiquer que non. Selon son dernier baromètre publié le 31 janvier de cette année, 42,2 % seulement des Espagnols soutiennent le modèle actuel des CCAA, tandis que 51,3 % tablent sur des modèles alternatifs. En tout état de cause, que le modèle en vigueur ne donne pas satisfaction à la majorité ne veut pas dire non plus qu’il existe une majorité alternative, puisque, parmi ceux qui ne soutiennent pas le statu quo, 28,1 % tablent sur la recentralisation de l’État (que ce soit en éliminant les CCAA ou en réduisant leur degré d’autonomie), tandis que 23,2 % tablent sur un niveau supérieur de décentralisation (en donnant plus de pouvoir aux autonomies ou en leur reconnaissant le droit à l’autodétermination).

Cela étant, il serait intéressant, en plus de constater cette majorité en faveur d’un changement, et, en même temps, le désaccord sur la direction à prendre, de se demander – étant donné le point où se trouve actuellement le débat territorial – si cette division entre trois propositions est homogène au niveau de tout l’État, ou si, au contraire, les préférences se modifient en fonction de la CA. C’est important, car cela peut nous offrir des pistes sur le point de savoir ce qu’il faudrait pour reconstruire un hypothétique nouveau consensus autour d’un nouveau modèle territorial susceptible de mener à une certaine stabilisation de la situation politique espagnole.

Trois paris sur le futur sous un même toit.

Un premier coup d’œil aux données nous permet de tirer une conclusion : le désaccord sur le modèle territorial n’affecte pas seulement la société dans son ensemble, mais sépare les CCAA quant aux préférences sur le futur. Comment se manifeste donc cette division ?

Nous pouvons clairement classer les territoires de l’État en trois grandes catégories, qui coïncident avec les trois préférences majoritaires qui se dégagent au niveau général parmi les Espagnols. En suivant un ordre géographique qui va de Madrid vers l’extérieur, nous trouvons, dans une première couronne autour de la capitale, les territoires partisans de la recentralisation, c’est-à-dire ceux où les citoyens qui choisissent d’avancer vers « un Etat où les communautés autonomes auraient moins d’autonomie qu’actuellement » ou vers « un Etat avec un seul Gouvernement central sans autonomies », forment le groupe le plus nombreux. Cet ensemble de territoires, constitué par les CCAA de Madrid, Castille-La Manche, Castille et Léon, Région Cantabrique et Aragon, coïncide parfaitement avec la partie la plus intérieure de ce qu’on connaissait jadis comme la Castille (plus l’Aragon), entité politique sur laquelle se construisit à partir de l’Age Moderne ce que nous considérons aujourd’hui comme l’État Espagnol. Dans toutes ces CCAA, les partisans de la recentralisation dépassent 45 % des citoyens, atteignant un maximum dans la Communauté de Madrid avec 47,9 %.

Puis on trouve, constituant une deuxième couronne autour du cœur de l’ancienne Castille, les territoires partisans du statu quo, groupe formé par les CCAA des Canaries, d’Extrémadure, Andalousie, Murcie, Pays Valencien, Iles Baléares, La Rioja, Navarre, des Asturies et de Galice. Dans ces territoires, les partisans d’un « Etat avec des communautés autonomes comme actuellement » constituent le groupe le plus nombreux, avec des majorités qui vont de 47 % dans les Iles Baléares à 63,3 % en Galice. Dans ce sens, les majorités en faveur du statu quo sont plus vigoureuses dans ces territoires que celles qu’obtiennent les partisans de la recentralisation dans ceux où cette option est la plus importante. La Communauté Forale de Navarre mérite une mention à part, les partisans du statu quo étant à égalité, à 42,9 %, avec les partisans d’une plus grande décentralisation.

Et finalement, en une troisième couronne autour de la Ville et Cour [périphrase désignant Madrid, ndt], on trouve les territoires partisans d’une plus grande décentralisation. Il n’est pas difficile de déduire, par élimination, que nous parlons d’Euskadi et de Catalunya. Sur ces deux territoires, les partisans d’un Etat dans lequel on reconnaîtrait aux communautés autonomes la possibilité de devenir des Etats indépendants totalisent une confortable majorité de 56,8 % et 63,2 % respectivement. Ce sont donc des territoires où le consensus social se fait autour d’une avancée vers des degrés supérieurs d’auto-gouvernement, incluant la reconnaissance du droit à l’autodétermination (qui, dans le cas de la Catalogne, est défendu par 37,7 % des sondés).

Solutions « à la carte » : le seul consensus possible.

La conclusion est claire : l’État espagnol se trouve divisé, au niveau territorial, entre trois paris sur le futur, non seulement différents, mais antagoniques. L’ancienne Castille penche vers la recentralisation, Euskadi et Catalunya vers une plus grande décentralisation, et, au milieu, on trouve les territoires qui se sentent d’ores et déjà à l’aise dans le schéma actuel. Peut-on réconcilier ces trois options ?

Les Pères de la Constitution espéraient (c’est dans ce sens que se sont exprimés certains d’entre eux) que la décentralisation qui se produisit à partir de 1978 ne toucherait que quelques territoires ayant des revendications historiques d’auto-gouvernement ; mais, dans les années 80 et 90, les élites qui gouvernent l’État décidèrent (dans un accès de zèle ou d’aveuglement politique, on ne sait trop), que cette décentralisation devait s’élargir à tous les coins de l’État. Ceci annule l’efficacité de la solution asymétrique ou « à la carte » qui avait été inscrite dans la Constitution de 1978 pour mettre à l’aise les territoires ayant une personnalité nationale. C’est ainsi qu’on est arrivé à la situation actuelle, où certains territoires veulent rendre des compétences à l’État (peut-être parce qu’ils ne les avaient, légitimement, jamais demandées), entraînant avec eux (et là est l’erreur monumentale des élites politiques) l’ensemble des territoires vers une situation que les autres ne désirent pas non plus. Peut-être le secret de la recette pour un nouveau consensus consisterait-il à reconnaître, comme l’avaient déjà fait les rédacteurs de la Constitution, que cet Etat est si divers dans les intérêts et les attentes d’auto-gouvernement qu’il n’y a pas place pour des solutions universelles et homogènes, mais qu’on a besoin de solutions multiples adaptées à chaque réalité.

Dans tous les cas, le temps qui reste pour la construction de nouveaux consensus s’épuise, il pourrait même s’être déjà écoulé. Les élites qui gouvernent l’État font un pari sur le futur (avancer vers une recentralisation homogène de l’État), qui ne peut que provoquer un plus grand éloignement non seulement d’Euskadi et de Catalunya, mais aussi d’autres territoires qui ne désirent pas, actuellement, cette recentralisation. Tant que ces élites (et l’ensemble de la société espagnole) ne comprendront pas qu’on ne peut construire aucun consensus sans adapter le modèle aux demandes et expectatives de chacun, l’Etat continuera à avancer de façon inexorable (tôt ou tard) vers sa rupture territoriale. Et il ne servira à rien de faire comme si ce problème politique était étranger à l’ensemble de l’État et n’était focalisé que sur certains territoires particuliers. Le temps ne passe en vain pour personne.

Pol Carrión i Huguet (dernière actualisation : 12 février 2019)

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