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Jimmy Massey : Le devoir de raconter ce que j’ai fait en Irak », par Simon Petite.





Le Courrier, samedi 18 mars 2006.


Irak (An IV)

Lorsqu’il réclame le retour des boys, Jimmy Massey sait de quoi il parle. Il a vu et participé aux exactions US en Irak. L’ex-sergent-chef sera aujourd’hui au Festival du film sur les droits humains.


Son bail chez les Marines aura duré douze ans. Il s’est terminé en avril 2003 dans le bourbier irakien, lorsque le sergent-chef Jimmy Massey, 32 ans, dénonce alors auprès de ses supérieurs les exactions commises par l’armée étasunienne. Rapatrié aux Etats-Unis, il est rendu à la vie civile quelques mois plus tard avec un diagnostic attestant d’un syndrome de stress post-traumatique. « L’armée me paye une pension ainsi que mes médicaments. Moi, je mets tout cet argent dans le mouvement anti-guerre », rigole-t-il. Avec d’autres, l’ex-sergent-chef a fondé les « vétérans d’Irak contre la guerre » (Iraq Veterans against the War). L’association compte 400 membres. Rencontre avec Jimmy Massey en marge du Festival international du film sur les droits humains (FIFDH) et à la veille du troisième anniversaire de l’invasion de l’Irak.



Le Courrier : Il y a trois ans, vous étiez l’un des premiers soldats à entrer en Irak.

Jimmy Massey : Nous avons franchi la frontière koweïtienne le 20 mars. Un ou deux jours plus tard, je ne me souviens pas exactement, notre bataillon subissait la première perte de cette guerre. Un marine a eu la jambe arrachée par une sous-munition d’une bombe à fragmentation lancée par notre propre artillerie. Ce soldat essayait d’éloigner les civils irakiens, car nous avions bombardé une zone habitée.


Si vous deviez vous souvenir d’une image...

- Nous étions à un check point. Une voiture s’est dirigée à toute vitesse vers nous. Comme elle ne s’arrêtait pas, nous avons vidé nos chargeurs contre le véhicule. Trois des occupants étaient mourants. Le quatrième, étrangement indemne, a demandé pourquoi nous avions tiré, parce qu’ils n’étaient pas des terroristes. J’ai ensuite compris que l’une des victimes était le frère du conducteur. Ce dernier m’a regardé et m’a dit : « Pourquoi vous avez tué mon frère ? »


Avez-vous eu connaissance de bavures similaires ?

- La configuration du check-point et des véhicules ne s’arrêtant pas toujours était fréquente en Irak. Lorsque nous sommes arrivés à Bagdad, les renseignements transmis par radio ont commencé à changer. On a entendu parler de fedayin, de soldats de la garde républicaine déguisés en civils, de pilleurs, de kamikazes... Cela faisait de nombreuses raisons d’avoir la gâchette facile. Mais aucun des civils que nous avons tués n’étaient armés, pas plus qu’ils n’avaient sur eux de documents compromettants. A cause de toute cette brutalité, nous avons très rapidement perdu la considération des Irakiens, alors qu’ils nous avaient d’abord accueillis en libérateurs.


Combien de civils irakiens avez-vous vu mourir ?

- En trois mois, ma section, soit une quarantaine d’hommes, a tué plus de 30 civils.


Qu’imaginiez-vous avant de pénétrer en Irak ?

- Bien sûr, je savais que nous allions mener des missions de combat. On nous avait aussi dit qu’on ferait de l’humanitaire, parce que l’Irak se trouvait sous embargo économique depuis des années. En réalité, notre premier objectif a été de sécuriser les champs pétroliers près de Bassora pour « faire économiser beaucoup d’argent aux contribuables américains ».


Aujourd’hui, regrettez-vous de vous être engagé ?

- J’étais volontaire pour l’infanterie car je voulais être dans une unité de combat. Ce que je regrette, c’est plutôt la trahison de l’administration Bush, qui utilise les forces armées américaines dans une guerre illégale. Je me suis senti trahi d’avoir été placé dans une situation où j’ai dû violer les Conventions de Genève.


Est-il possible de surmonter une telle expérience ?

- Je crois que jamais je ne surmonterai tout ça. Je pense tous les jours à la guerre. C’est devenu une partie de moi, il faut que j’apprenne à vivre avec.


Que vous inspire la situation aujourd’hui en Irak ?

- Une immense tristesse. Des Irakiens innocents perdent leur vie tous les jours, tout comme des soldats américains et britanniques, tout cela pour un mensonge. Nous cherchions des armes de destruction massive mais, avec les munitions à l’uranium appauvri, nous en avons utilisé nous-même.


Les Américains voient-ils les choses de la même manière ?

- Ils n’ont pas la moindre idée de ce qui se passe réellement en Irak. Chaque fois que les médias en parlent, c’est pour passer les mêmes images. Jamais de combat. Rien sur les pertes infligées à la population irakienne.


Avez-vous parlé avec vos anciens camarades de guerre ?

- Le Pentagone leur a conseillé de se la boucler. J’ai quand même pu en atteindre un. Après une brève conversation, il a raccroché. C’est très difficile. Ils sont en train d’accomplir leur troisième période de six mois en Irak. J’étais l’aîné de la section. Les autres avaient entre 19 et 25 ans. Ils sentiront les séquelles de la guerre bien après moi, lorsqu’ils repenseront à tout ce qui s’est passé. Beaucoup de vétérans du Vietnam ont pu retravailler dès leur retour pendant dix, voire même quinze ans, avant qu’ils réalisent enfin ce qu’ils avaient vécu. Les vétérans du Vietnam sont comme nos grands frères, ils sont déjà passés par là . Sur leurs conseils, nous encourageons ceux qui reviennent d’Irak à se décharger de leur poids le plus rapidement possible.


Que diriez-vous aux jeunes tentés de s’enrôler ?

- Que le fait d’avoir des études payées par l’armée ne vaut pas le risque d’être tué ou de tuer des innocents. S’ils pensent que cela vaut le coup, ils n’ont qu’à signer ! J’ai moi-même été recruteur pendant trois ans, de 1999 à 2002. Aucun jeune ne s’est engagé par patriotisme. Certains n’avaient jamais pu aller chez le dentiste avant que l’armée le leur paye.


Vos camarades sont encore là -bas, vous pas. Comment le gérez-vous ?

- Quitter les Marines a été comme quitter une famille. J’y avais passé douze ans. Cela a été très difficile de se réajuster à la vie civile. La camaraderie militaire, ce sens de fraternité, cela me manque encore, même si je sais pertinemment que c’était un faux sentiment qui nous a été inculqué pour nous obliger à faire certaines choses.


Et le regard de la société ?

- C’est comme si je portais sur mon front le fait d’avoir brisé la loi du silence. Je le sens lorsque je me promène là où j’ai grandi. Les gens me regardent de façon insistante, soupirent ou hochent la tête. Il faut dire que c’est aussi là que j’ai recruté 75 jeunes pour l’armée. Tous, j’en suis sûr, sont passés par l’Irak. Parfois, il y a des lettres dans le journal local, me traitant de traître, de lâche ou de je ne sais quoi, alors que d’autres lecteurs écrivent pour me soutenir.


Certains vétérans d’Irak ont choisi d’émigrer au Canada.

- Mon épouse et moi y avons songé (Jimmy Massey a deux enfants, ndlr) mais j’ai trop d’espoir. Si je pars, je donne raison à tous ceux qui me traitent de lâche. Je sens comme un devoir de raconter ce que j’ai fais en Irak, pour changer les choses.


Propos recueillis par Simon Petite


- Source : Le Courrier www.lecourrier.ch

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Irak : « Femmes et enfants tués par les bombes au phosphore », témoignage d’ un marine, par Patricia Lombroso.


Démocratie au phosphore, par Giuliana Sgrena


Les Escadrons de la Mort de Bush, par Robert Parry.


Je refuse d’obéir. Jean Giono. Falluja, les preuves du massacre au phosphore.

Irak : Détails d’un nettoyage ethnique soutenu par les USA, par Patrick Martin.

Des escadrons de la mort en Irak. Comme au Vietnam, par Nick Schou.

Irak : Autopsie d’un crime contre la paix, par Jean-Michel Vernochet.



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