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Google n’est pas ce qu’il paraît être.

Extrait de When Google Met WikiLeaks, publié par OR Books.

Eric Schmidt est une personnalité influente, même parmi le défilé des personnalités influentes que j’ai croisées depuis la fondation de WikiLeaks. À la mi-mai 2011, j’étais assigné à résidence dans la campagne de Norfolk, en Angleterre, à environ trois heures de route au nord-est de Londres. La répression contre notre travail battait son plein et chaque moment perdu semblait être une éternité. C’était difficile d’attirer mon attention.

Mais quand mon collègue Joseph Farrell m’a dit que le président exécutif de Google voulait prendre rendez-vous avec moi, j’ai dressé l’oreille.

D’une certaine façon, les échelons supérieurs de Google me semblaient plus distants et obscurs que les couloirs de Washington. Cela faisait des années que nous nous affrontions aux hauts responsables américains. La mystique s’était dissipée. Mais les centres de pouvoir qui ont grandi dans la Silicon Valley étaient encore opaques et j’étais soudain conscient de la possibilité de comprendre et d’influencer ce qui devenait l’entreprise la plus influente au monde. Schmidt avait pris la direction générale de Google en 2001 et l’avait transformée en un empire.

J’étais intrigué que la montagne vienne à Mahomet. Mais ce n’est que bien après que Schmidt et ses compagnons soient partis que j’ai compris qui m’avait vraiment rendu visite.

La raison déclarée de la visite était un livre. Schmidt rédigeait un traité avec Jared Cohen, le directeur de Google Ideas, un groupe qui se décrit comme le ’think/do tank’ [« groupe de pensée/action » - NdT] interne de Google.

Je ne savais pas grand-chose d’autre sur Cohen à l’époque. En fait, M. Cohen avait quitté le département d’État américain pour Google en 2010. Il avait été un homme d’idées, parlant avec un débit rapide, de la ’génération Y’ sous deux administrations américaines, un courtisan du monde des groupes de réflexion et des instituts politiques, repéré lorsqu’il avait vingt ans.

Il est devenu conseiller principal des secrétaires d’État Rice et Clinton. Au Département d’Etat, au sein de l’équipe de planification de la politique, Cohen fut rapidement baptisé le « party-starter » [le « bout en train », celui qui démarre les festivités... - NdT] de Condoleezza Rice, canalisant les mots à la mode de la Silicon Valley dans les cercles politiques américains et produisant de délicieuses concoctions rhétoriques telles que ’Public Diplomacy 2.0’. Sur sa page de membre du Council on Foreign Relations, il présente son expérience ainsi : ’ terrorisme ; radicalisation ; impact des technologies de connexion sur l’art politique du XXIe siècle ; Iran ’.

C’est Cohen, alors qu’il était encore au département d’État, qui aurait envoyé un courriel à Jack Dorsey, PDG de Twitter, pour retarder la maintenance programmée afin d’aider le soulèvement avorté de 2009 en Iran. Son histoire d’amour documentée avec Google a commencé la même année quand il s’est lié d’amitié avec Eric Schmidt alors qu’ils enquêtaient ensemble sur la ruine post-occupation de Bagdad. Quelques mois plus tard, Schmidt a recréé l’habitat naturel de Cohen au sein même de Google en créant un ’think/do tank’ basé à New York et en nommant Cohen à sa tête. Google Ideas est né.

Plus tard dans l’année, les deux ont co-écritun article politique pour la revue « Foreign Affairs » du « Council on Foreign Relations », louant le potentiel réformateur des technologies de la Silicon Valley en tant qu’instrument de la politique étrangère américaine. Décrivant ce qu’ils appelaient les ’coalitions des connectés’, Schmidt et Cohen ont écrit :

Les États démocratiques qui ont formé des coalitions de leurs forces armées ont la capacité de faire de même avec leurs technologies de connexion...

Ils offrent une nouvelle façon d’exercer le devoir de protéger les citoyens du monde entier [mis en gras par l’auteur].

Schmidt et Cohen ont dit qu’ils voulaient m’interviewer. J’étais d’accord. Une date a été fixée pour juin.

Au mois de juin, il y avait déjà beaucoup de choses à dire. Cet été-là, WikiLeaks était toujours en train de publier des milliers de câbles diplomatiques américains chaque semaine. Lorsque, sept mois plus tôt, nous avions commencé à libérer les câbles, Hillary Clinton avait dénoncé la publication comme ’une attaque contre la communauté internationale’ qui ’déchirerait le tissu’ du gouvernement.

C’est dans ce ferment que Google s’est projeté en juin de la même année, atterrissant à l’aéroport de Londres et faisant le long trajet jusqu’à East Anglia, Norfolk et Beccles.

Schmidt est arrivé le premier, accompagné de sa partenaire de l’époque, Lisa Shields. Lorsqu’il l’a présentée comme vice-présidente du « Council on Foreign Relations » - un groupe de réflexion sur la politique étrangère des États-Unis ayant des liens étroits avec le département d’État - je n’y ai guère prêté d’attention. Shields elle-même venait tout droit de Camelot, après avoir été repérée par les hommes de John Kennedy Jr. au début des années 1990.

Ils se sont assis avec moi et nous avons échangé des politesses. Ils ont dit qu’ils avaient oublié leur dictaphone, alors on a utilisé le mien. Nous avons convenu que je leur transmettrais l’enregistrement et qu’en échange, ils m’enverraient la transcription, qui serait corrigée par souci d’exactitude et de clarté. Nous avons commencé. Schmidt s’est toute suite jeté à l’eau, m’interrogeant d’emblée sur les fondements organisationnels et technologiques de WikiLeaks.

* * *

Quelque temps plus tard, Jared Cohen arriva. Il était accompagné de Scott Malcomson, présenté comme l’éditeur du livre. Trois mois après la réunion, M. Malcomson entrera au département d’État en tant que rédacteur principal des discours et conseiller principal de Susan Rice (alors ambassadrice des États-Unis auprès des Nations unies, aujourd’hui conseillère à la sécurité nationale).

À ce moment-là, la délégation était composée d’un membre de Google et de trois membres de l’establishment de la politique étrangère des États-Unis, mais j’étais toujours dans le brouillard. Une fois les poignées de main échangées, nous nous sommes mis au travail.

Schmidt était un bon débatteur. La cinquantaine, les yeux plissés derrière des lunettes chics, l’apparence sombre de Schmidt, vêtu comme un gestionnaire, cachait une capacité d’analyse froide. Ses questions portaient souvent sur le cœur du sujet, trahissant une puissante intelligence structurelle non verbale.

C’était la même intelligence qui avait bâti les principes de l’ingénierie logicielle pour hisser Google à l’échelle d’une méga-entreprise, assurant que l’infrastructure de l’entreprise correspondait toujours au taux de croissance. C’était une personne qui comprenait comment construire et maintenir des systèmes : des systèmes d’information et des systèmes de personnes. Mon monde était nouveau pour lui, mais c’était aussi un monde de processus humains, d’échelle et de flux d’informations en évolution.

Pour un homme d’intelligence systématique, les politiques de Schmidt – pour ce que j’ai pu en tirer de notre échange - étaient étonnamment conventionnelles, voire banales. Il comprenait rapidement les relations structurelles, mais il avait du mal à en verbaliser un grand nombre, souvent en introduisant des subtilités géopolitiques dans le marketing de la Silicon Valley ou dans le micro-langage ossifié de ses compagnons du département d’État. Il était à son meilleur lorsqu’il parlait (peut-être sans s’en rendre compte) en tant qu’ingénieur, décomposant les complexités en leurs composantes orthogonales.

J’ai trouvé que Cohen savait écouter, mais qu’il était un penseur moins intéressant, possédé par cette convivialité implacable qui afflige régulièrement les généralistes de carrière et les boursiers de Rhodes. Comme on pouvait s’y attendre de par sa formation en politique étrangère, Cohen avait une connaissance des points chauds et des conflits internationaux et passait rapidement de l’un à l’autre, en détaillant différents scénarios pour tester mes affirmations. Mais on avait parfois l’impression qu’il s’en prenait aux orthodoxies pour impressionner ses anciens collègues de Washington.

Malcomson, plus âgé, était plus pensif, d’un apport réfléchi et généreux. Shields fut silencieuse pendant une grande partie de la conversation, prenant des notes, flattant les plus gros ego autour de la table pendant qu’elle s’occupait du vrai travail.

En tant que personne interrogée, on s’attendait à ce que ce soit moi qui parle le plus. J’ai cherché à les guider dans ma vision du monde. À leur crédit, je considère que l’entrevue est peut-être la meilleure que j’ai donnée. J’étais hors de ma zone de confort et j’aimais ça.

Nous avons déjeuné puis nous nous sommes promenés dans le parc, tout en enregistrant nos échanges. J’ai demandé à Eric Schmidt de nous divulguer les demandes d’information du gouvernement américain sur WikiLeaks, et il a refusé, soudain nerveux, en invoquant l’illégalité de la divulgation des demandes effectuées dans le cadre du Patriot Act. Et puis, la nuit est tombée, c’était fini et ils sont repartis, retournant dans les salles irréelles et éloignées de l’empire de l’information, et je suis retourné à mon travail.

Fin de l’histoire. C’est du moins que je pensais.

* * *

Deux mois plus tard, la divulgation des câbles du département d’État par WikiLeaks touchait à sa fin. Pendant neuf mois, nous avons minutieusement géré la publication, rassemblant plus d’une centaine de partenaires médias mondiaux, distribuant des documents dans leurs régions d’influence et supervisant un système mondial et systématique de publication et de rédaction, en cherchant à obtenir un impact maximum pour nos sources.

Mais le journal The Guardian - notre ancien partenaire - avait publié le mot de passe confidentiel de décryptage des 251 000 câbles dans un titre de chapitre de son livre, sorti précipitamment en février 2011.

À la mi-août, nous avons découvert qu’un ancien employé allemand - que j’avais suspendu en 2010 - entretenait des relations d’affaires avec une variété d’organisations et d’individus en monnayant autour de lui l’emplacement du fichier crypté, couplé avec l’emplacement du mot de passe dans le livre. Au rythme où l’information se répandait, nous estimions qu’en deux semaines, la plupart des services de renseignement, des entrepreneurs et des intermédiaires seraient en possession de tous les câbles, mais pas le public.

J’ai décidé qu’il était nécessaire d’avancer de quatre mois notre calendrier de publication et de contacter le département d’État pour qu’il soit pris acte du fait que nous leur avions donné un préavis. La situation serait alors plus difficile à transformer en une autre agression juridique ou politique.

Incapables de joindre Louis Susman, alors ambassadeur des États-Unis au Royaume-Uni, nous avons essayé la voie officielle. Sarah Harrison, rédactrice en chef des enquêtes chez WikiLeaks, a appelé la réception du département d’État et a informé l’opérateur que ’Julian Assange’ voulait avoir une conversation avec Hillary Clinton. Comme on pouvait s’y attendre, cette déclaration a d’abord été accueillie avec une incrédulité bureaucratique.

Nous nous sommes vite retrouvés dans une reconstitution de cette scène dans Dr. Strangelove [Dr Folamour en français - NdT], où Peter Sellers appelle la Maison Blanche pour prévenir d’une guerre nucléaire imminente et est immédiatement mis en attente. Comme dans le film, nous avons gravi les échelons de la hiérarchie, parlant à des fonctionnaires de plus en plus supérieurs jusqu’à obtenir le conseiller juridique principal de Clinton. Il nous a dit qu’il nous rappellerait. On a raccroché et on a attendu.

Quand le téléphone a sonné une demi-heure plus tard, ce n’était pas le département d’État à l’autre bout de la ligne. C’était Joseph Farrell, l’employé de WikiLeaks qui avait organisé la rencontre avec Google. Il venait de recevoir un courriel de Lisa Shields qui voulait confirmer qu’il s’agissait bien de WikiLeaks qui avait appelé le département d’État.

C’est à ce moment-là que j’ai réalisé qu’Eric Schmidt n’avait peut-être pas été uniquement un émissaire de Google. Qu’officiellement ou non, il avait entretenu des relations qui le plaçaient très près de Washington D.C., y compris une relation bien documentée avec le président Obama. Non seulement les gens d’Hillary Clinton savaient qu’Eric Schmidt m’avait rendu visite, mais ils avaient aussi choisi de l’utiliser comme canal de communication.

Alors que WikiLeaks avait été profondément impliqué dans la publication des archives internes du Département d’Etat américain, le Département d’Etat américain s’était, en effet, glissé dans le centre de commandement de WikiLeaks et m’avait contacté pour un déjeuner gratuit. Deux ans plus tard, à la suite de ses visites en Chine, en Corée du Nord et en Birmanie au début de l’année 2013, il sera envisagé que le président de Google avait mené, d’une manière ou d’une autre, une ’diplomatie parallèle’ pour le compte de Washington. Mais à l’époque, c’était encore une idée nouvelle.

Je n’y ai plus pensé jusqu’en février 2012, lorsque WikiLeaks - avec plus de trente de nos partenaires médias internationaux - a commencé à publier le Global Intelligence Files : les archives des courriers électroniques internes de la société de renseignement privé Stratfor, basée au Texas. L’un de nos partenaires d’enquête les plus solides, le journal Al Akhbar basé à Beyrouth, a fouillé les courriels à la recherche de renseignements sur Jared Cohen.

Les gens de Stratfor, qui aimaient se considérer comme une sorte de CIA privée, étaient très conscients des autres entreprises qu’ils percevaient comme des incursions dans leur secteur d’activité. Google avait attiré leur attention. Dans une série de courriels au langage coloré, ils ont discuté de l’activité mené par Cohen sous l’égide de Google Ideas, spéculant sur ce que le mot ’action’ dans ’think/do tank’ signifiait réellement.

La direction de Cohen semblait passer des relations publiques et du travail de ’responsabilité d’entreprise’ à l’intervention active des entreprises dans les affaires étrangères à un niveau qui est normalement réservé aux États. Jared Cohen pourrait être nommé ironiquement le ’directeur du changement de régime’ de Google.

D’après les courriels, il tentait d’influer sur certains des événements historiques majeurs du Moyen-Orient contemporain. On le retrouvait en Egypte pendant la révolution, rencontrant Wael Ghonim, l’employé de Google dont l’arrestation et l’emprisonnement quelques heures plus tard feraient de lui un symbole du soulèvement dans la presse occidentale. Des réunions étaient prévues en Palestine et en Turquie, deux pays qui - selon les courriels de Stratfor - ont été finalement ignorés par les dirigeants de Google car jugés trop risqués.

Quelques mois seulement avant notre rencontre, Cohen prévoyait un voyage aux confins de l’Iran en Azerbaïdjan pour ’rencontrer les communautés iraniennes plus près de la frontière’, dans le cadre d’un projet de Google Ideas sur ’les sociétés répressives’. Dans des courriels internes, le vice-président du renseignement de Stratfor, Fred Burton (lui-même un ancien agent de sécurité du département d’État), a écrit :

Google obtient le soutien de la Maison-Blanche, du ministère de l’Intérieur et une couverture aérienne. En fait, ils font ce que la CIA ne peut pas faire...

[Cohen] va se faire kidnapper ou tuer. Peut-être la meilleure chose qui puisse arriver pour exposer le rôle secret de Google dans les soulèvements, pour être franc. Le gouvernement américain pourrait alors nier toute implication et laisser Google s’en démerder.

Dans d’autres communications internes, Burton a dit que ses sources sur les activités de Cohen étaient Marty Lev, directeur de la sécurité et de la sûreté de Google, et Eric Schmidt lui-même.

Cherchant quelque chose de plus concret, j’ai commencé à chercher des informations sur Cohen dans les archives de WikiLeaks. Les câbles du département d’État publiés dans le cadre de Cablegate révèlent que Cohen était en Afghanistan en 2009, essayant de convaincre les quatre principales compagnies afghanes de téléphonie mobile de transférer leurs antennes sur les bases militaires américaines. Au Liban, il travaillait discrètement à la création d’un rival intellectuel et religieux du Hezbollah, la ’Higher Shia League’. Et à Londres, il avait offert à des dirigeants de Bollywood [industrie cinématographie de l’Inde – NdT] des fonds pour insérer des contenus anti-extrémistes dans leurs films, et a promis de les mettre en relation avec Hollywood.

Trois jours après sa visite à Ellingham Hall, Jared Cohen s’est envolé pour l’Irlande pour diriger le ’Save Summit’, un événement coparrainé par Google Ideas et le Council on Foreign Relations. Rassemblant en un même lieu d’anciens membres de gangs du centre-ville, des militants de droite, des nationalistes violents et des ’extrémistes religieux’ du monde entier, l’événement visait à trouver des solutions technologiques au problème de ’l’extrémisme violent’. Où était le problème ?

Le monde de Cohen semble se composer d’une succession d’événements similaires : des soirées interminables de fécondation croisée entre les élites et leurs vassaux, sous la rubrique pieuse de la ’société civile’. La sagesse préconçue dans les sociétés capitalistes avancées est qu’il existe toujours un ’secteur de la société civile’ organique dans lequel les institutions se forment de manière autonome et se réunissent pour manifester les intérêts et la volonté des citoyens. Selon cette fable, l’autonomie de ce secteur est respectée par les acteurs du gouvernement et du ’secteur privé’, ce qui permet aux ONG et aux organismes sans but lucratif de défendre les droits de la personne, la liberté d’expression et de contrôler les gouvernements.

Ça a l’air d’être une bonne idée. Mais si cela a été vrai un jour, ça ne l’est plus depuis des décennies. Depuis au moins les années 1970, des acteurs authentiques comme les syndicats et les églises se sont repliés sous l’assaut soutenu de marché libre, transformant la ’société civile’ en un marché d’acheteurs pour les factions politiques et les intérêts des entreprises qui cherchent à exercer une influence à distance. Au cours des quarante dernières années, on a assisté à une prolifération considérable de groupes de réflexion et d’ONG politiques dont le but, sous tout leur verbiage, est d’exécuter les agendas politiques par procuration.

Il ne s’agit pas seulement de groupes néoconservateurs évidents comme Foreign Policy Initiative. On y trouve également des ONG occidentales stupides comme Freedom House, où des travailleurs de carrière sans but lucratif naïfs, mais bien intentionnés, sont corrompus par les flux de financement politique, dénonçant les violations des droits de l’homme non occidentales tout en gardant fermement le silence sur les abus locaux.

Le circuit des conférences de la société civile - qui se déplace des centaines de fois par an à travers le monde pour bénir l’union impie entre les ’acteurs gouvernementaux et privés’ lors d’événements géopolitiques comme le ’Forum Internet de Stockholm’ - ne pourrait tout simplement pas exister s’il n’était pas noyé sous des millions de dollars en financement politique chaque année.

Examinez la liste des membres des plus grands groupes de réflexion et instituts américains et les mêmes noms ne cessent d’apparaître. Save Summit de Cohen a ensuite lancé AVE, ou AgainstViolentExtremism.org, un projet à long terme dont le principal bailleur de fonds, outre Google Ideas, est la Gen Next Foundation. Le site web de cette fondation indique qu’il s’agit d’une ’organisation exclusive de membres et d’une plateforme pour les personnes qui réussissent’ qui vise à apporter un ’changement social’ soutenu par le financement du capital-risque. « Le soutien du secteur privé et des fondations sans but lucratif » de Gen Next « permet d’éviter certains des conflits d’intérêts potentiels auxquels font face les initiatives financées par les gouvernements ». Jared Cohen est membre de l’exécutif.

Gen Next soutient également une ONG, lancée par M. Cohen vers la fin de son mandat au département d’État, qui intègre des ’militants pro-démocratie’ mondiaux sur Internet dans le réseau de mécénat des relations extérieures des États-Unis. Le groupe a vu le jour sous le nom d’’Alliance of Youth Movements’ avec un sommet inaugural à New York en 2008, financé par le département d’État et incrusté des logos des entreprises sponsors. Le sommet a réuni des militants des médias sociaux soigneusement sélectionnés de ’zones à problèmes’ comme le Venezuela et Cuba pour assister aux discours de l’équipe des nouveaux médias de la campagne Obama et de James Glassman, du département d’État, et pour rencontrer des consultants en relations publiques, des ’philanthropes’ et des personnalités américaines des médias.

Le groupe a tenu deux autres sommets, sur invitation uniquement, à Londres et à Mexico, où Hillary Clinton s’est adressée directement aux délégués par liaison vidéo :

Vous êtes à l’avant-garde d’une génération montante d’activistes citoyens...

Et cela fait de vous le genre de leaders dont nous avons besoin.

En 2011, Alliance of Youth Movements fut rebaptisé ’Movements.org’. En 2012, Movements.org est devenu une division de ’Advancing Human Rights’, une nouvelle ONG créée par Robert L. Bernstein après sa démission de Human Rights Watch (qu’il avait fondée à l’origine) parce qu’il estimait qu’elle ne devait pas couvrir les violations des droits humains israéliens et américains. Advancing Human Rights vise à redresser les torts de Human Rights Watch en se concentrant exclusivement sur les ’dictatures’.

Cohen a déclaré que la fusion de son site Movements.org avec Advancing Human Rights était ’irrésistible’, soulignant le ’réseau phénoménal de cyberactivistes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord’ de ce dernier. Il s’est ensuite joint le conseil d’administration de Advancing Human Rights, qui comprend également Richard Kemp, l’ancien commandant des forces britanniques en Afghanistan occupé. Sous sa forme actuelle, Movements.org continue de recevoir des fonds de Gen Next, ainsi que de Google, MSNBC et du géant des relations publiques Edelman, qui représente General Electric, Boeing et Shell, entre autres.

Google Ideas est plus grand, mais il suit le même plan. Consultez la liste des conférenciers de ses rencontres annuelles sur invitation seulement, comme « Crisis in a Connected World » (’Crise dans un monde connecté’ - NdT) en octobre 2013. Les théoriciens et les activistes des réseaux sociaux donnent à l’événement un vernis d’authenticité, mais en réalité il s’enorgueillit d’une mixture toxique de participants : Des officiels américains, des magnats des télécommunications, des consultants en sécurité, des capitalistes financiers et des vautours de la politique étrangère comme Alec Ross (le jumeau de Cohen au département d’État).

Au noyau dur se trouvent les fabricants d’armes et les militaires de carrière : les chefs actifs du Cyber Command américain, et même l’amiral responsable de toutes les opérations militaires américaines en Amérique latine de 2006 à 2009. Pour emballer le tout, on trouve Jared Cohen et le président de Google, Eric Schmidt.

J’ai commencé à penser à Schmidt comme à un brillant mais politiquement malchanceux technico-milliardaire californien qui avait été exploité par les types de politique étrangère américaine qu’il avait rassemblés pour servir d’intermédiaires entre lui et le Washington officiel - une illustration du dilemme côte-est/côte-ouest du principe du principal-agent

J’avais tort.

* * *

Eric Schmidt est né à Washington, D.C., où son père avait travaillé comme professeur et économiste pour le Nixon Treasury. Il a fait ses études secondaires à Arlington, en Virginie, avant d’obtenir un diplôme d’ingénieur de Princeton.

En 1979, M. Schmidt s’est rendu dans l’Ouest, à Berkeley, où il a obtenu son doctorat avant de se joindre Sun Microsystems, un produit de Stanford/Berkeley, en 1983. Lorsqu’il a quitté Sun, seize ans plus tard, il faisait déjà partie de la direction exécutive de l’entreprise.

Sun avait d’importants contrats avec le gouvernement américain, mais ce n’est qu’à son arrivée dans l’Utah en tant que PDG de Novell que les dossiers montrent Schmidt stratégiquement engagé dans la classe politique de Washington. Les dossiers fédéraux de financement des campagnes électorales montrent que le 6 janvier 1999, M. Schmidt a fait deux fois un don de 1 000 $ au sénateur républicain de l’Utah, Orrin Hatch. Le même jour, l’épouse de Schmidt, Wendy, est également inscrite sur la liste, faisant également deux dons de 1 000 $ au sénateur Hatch.

Au début de 2001, plus d’une douzaine d’autres politiciens et PACs [organismes de récolte de fonds pour le financement des campagnes électorales - NdT], dont Al Gore, George W. Bush, Dianne Feinstein et Hillary Clinton, recevaient des dons des Schmidt, dans un cas pour 100 000 $.

En 2013, Eric Schmidt- qui était devenu publiquement omniprésent à la Maison-Blanche d’Obama - est devenu plus politique. Huit républicains et huit Démocrates ont été directement financés, de même que deux PAC. En avril de la même année, 32 300 $ ont été versés au Comité sénatorial républicain national. Un mois plus tard, le même montant, soit 32 300 $, a été remis au Comité de campagne des sénateurs démocrates. Pourquoi Schmidt versait exactement le même montant aux deux partis reste un mystère à 64 600 $.

C’est également en 1999 que Schmidt rejoint le conseil d’administration d’un groupe basé à Washington, D.C. : la New America Foundation, une fusion de forces centristes (selon la norme à Washington) bien connectées. La fondation et ses 100 employés servent de lobby, utilisant son réseau de spécialistes de la sécurité nationale, de la politique étrangère et de la technologie pour placer dans la presse chaque année des centaines d’articles et d’éditoriaux.

En 2008, M. Schmidt est devenu président de son conseil d’administration. En 2013, les principaux bailleurs de fonds de la New America Foundation (chacun contribuant plus d’un million de dollars) étaient Eric et Wendy Schmidt, le département d’État américain et la Bill & Melinda Gates Foundation. Les bailleurs de fonds secondaires comprennent Google, l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et Radio Free Asia.

L’engagement de Schmidt dans la New America Foundation le place fermement au cœur de l’establishment de Washington. Parmi les autres membres du conseil d’administration de la fondation, dont sept se déclarent également membres du Council on Foreign Relations, citons Francis Fukuyama, l’un des pères intellectuels du mouvement néoconservateur, Rita Hauser, qui a siégé au conseil consultatif du président Bush et Obama, Jonathan Soros, le fils de George Soros, Walter Russell Mead, un américain. Helene Gayle, qui siège aux conseils d’administration de Coca-Cola, Colgate-Palmolive, de la Fondation Rockefeller, de l’Unité des affaires étrangères du Département d’État, du Council on Foreign Relations, du Center for Strategic and International Studies, du programme White House Fellows et ONE Campaign de Bono (chanteur du groupe de rock U2 - NdT), et Daniel Yergin, géostratège dans l’industrie du pétrole et ancien président du Task Force du ministère de l’énergie américain.

La directrice générale de la fondation, nommée en 2013, est l’ancienne patronne de Jared Cohen à l’état-major de la planification politique du département d’État, Anne-Marie Slaughter, une juriste de Princeton et spécialiste des relations internationales passionnée par les « portes tournantes » [expression pour désigner les passerelles de carrières entre Service Publique et entreprises privées - NdT]. On la trouve partout, lançant des appels à Obama pour qu’il réponde à la crise ukrainienne non seulement en déployant des forces américaines secrètes dans le pays, mais aussi en larguant des bombes sur la Syrie - sur la base que cela enverrait un message à la Russie et la Chine. Avec Mme Schmidt, elle participe à la conférence Bilderberg en 2013 et siège au Conseil de la politique étrangère du Département d’État.

Il n’y avait rien de politiquement douteux chez Eric Schmidt. J’avais trop hâte de voir un ingénieur de la Silicon Valley, sans ambitions politiques, un vestige du bon vieux temps de la culture informatique de la côte ouest. Mais ce n’est pas le genre de personne qui assiste à la conférence Bilderberg quatre années de suite, qui se rend régulièrement à la Maison-Blanche ou qui tient des ’discussions au coin du feu’ au Forum économique mondial à Davos.

L’émergence de Schmidt en tant que ’ministre des Affaires étrangères’ de Google - qui effectue en grande pompe des visites d’État à travers les lignes de faille géopolitiques - n’était pas sortie de nulle part ; elle avait été annoncée par des années d’assimilation au sein des réseaux de copinage et d’influence de l’establishment américain.

Sur le plan personnel, Schmidt et Cohen sont des gens très sympathiques. Mais le président de Google est un ’capitaine d’industrie’ classique avec tout le bagage idéologique inhérent à ce poste. Schmidt est exactement là où il doit être : au point où se rencontrent les tendances centristes, libérales et impérialistes de la vie politique américaine.

Selon toute apparence, les patrons de Google croient sincèrement au pouvoir civilisateur des multinationales éclairées, et ils considèrent cette mission dans la lignée de la reformation du monde selon le meilleur jugement de la ’superpuissance bienveillante’. Ils vous diront que l’ouverture d’esprit est une vertu, mais toutes les perspectives qui remettent en question l’élan exceptionnaliste au cœur de la politique étrangère américaine resteront invisibles pour eux. C’est la banalité impénétrable du ’ne soyez pas mauvais’ [slogan de Google - NdT]. Ils croient qu’ils font le bien. Et c’est un problème.

* * *

Google est différent. Google est visionnaire. Google est l’avenir. Google est plus qu’une simple entreprise. Google rend à la communauté. Google est une force du bien.

Même lorsque Google affiche publiquement son ambivalence, il ne fait pas grand-chose pour faire y remédier. La réputation de l’entreprise est apparemment inattaquable. Le logo coloré et ludique de Google est imprimé sur la rétine humaine un peu moins de 6 milliards de fois par jour, 2,1 mille milliards de fois par an, une occasion de conditionnement dont aucune autre entreprise n’a bénéficié dans l’histoire.

Pris en flagrant délit l’an dernier en mettant des pétaoctets [beaucoup, beaucoup de données – NdT] de données personnelles à la disposition des services de renseignement américain par le biais du programme PRISM, Google continue néanmoins de s’appuyer sur la bonne volonté générée par son double langage ’ne soyez pas mauvais’. Quelques lettres ouvertes symboliques à la Maison-Blanche plus tard et il semble que tout soit pardonné. Même les militants anti-surveillance ne peuvent s’en empêcher, condamnant d’emblée l’espionnage du gouvernement mais essayant de modifier les pratiques de surveillance invasives de Google en utilisant des stratégies d’apaisement.

Personne ne veut reconnaître que Google est devenu grand et méchant. Mais c’est le cas. Au cours de son mandat de PDG, M. Schmidt a vu Google s’intégrer à la structure de pouvoir la plus discrète des États-Unis, qui s’est transformée en une méga-entreprise géographiquement envahissante. Mais Google a toujours été à l’aise avec cette proximité. Bien avant que les fondateurs Larry Page et Sergey Brin n’embauchent Schmidt en 2001, leur recherche initiale sur laquelle Google était basé avait été partiellement financée par la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA). Et tandis que Google de Schmidt développaient une image de géant de la technologie mondiale un peu trop gentil, il était en train d’établir une relation étroite avec les services de renseignement.

En 2003, la National Security Agency (NSA) des États-Unis avait déjà commencé à violer systématiquement la Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA) sous la direction de son directeur général Michael Hayden. C’était l’époque du programme ’Total Information Awareness’. Avant même que l’on ait rêvé de PRISM, sous les ordres de la Maison Blanche de Bush, la NSA avait déjà pour objectif de ’tout collecter, tout aspirer, tout savoir, tout traiter, tout exploiter’.

Au cours de la même période, Google - dont la mission déclarée publiquement est de recueillir et ’d’organiser l’information mondiale et de la rendre accessible et utile à tous’ - acceptait des fonds de la NSA à hauteur de 2 millions de dollars pour fournir à l’agence des outils de recherche pour son trésor en croissance rapide d’informations volées.

En 2004, après avoir repris Keyhole, une jeune entreprise de technologie de cartographie cofinancée par la National Geospatial-Intelligence Agency (NGA) et la CIA, Google a développé la technologie pour créer Google Maps, une version entreprise dont elle a depuis vendue au Pentagone et aux agences fédérales et étatiques associées avec des contrats de plusieurs millions de dollars.

En 2008, Google a participé au lancement d’un satellite espion NGA, le GeoEye-1. Google partage les photographies du satellite avec l’armée et les services de renseignement américains. En 2010, la NGA a attribué à Google un contrat de 27 millions de dollars pour des ’services de visualisation géospatiale’.

En 2010, après que le gouvernement chinois était accusé d’avoir piraté Google, l’entreprise s’est engagée dans une relation ’formelle de partage d’informations’ avec la NSA, qui permet aux analystes de la NSA d’’évaluer les vulnérabilités’ du matériel et des logiciels Google. Bien que les contours exacts de l’accord n’ont jamais été divulgués, la NSA a fait appel à d’autres agences gouvernementales, dont le FBI et le Département de la Sécurité Intérieure.

A peu près à la même époque, Google s’engageait dans un programme connu sous le nom de ’Enduring Security Framework’ (ESF), qui impliquait le partage d’informations entre les entreprises de technologie de la Silicon Valley et les agences affiliées au Pentagone ’à la vitesse du réseau’. Les courriels obtenus en 2014 dans le cadre des demandes d’accès à l’information montrent Schmidt et son collègue Sergey Brin correspondant, en s’appelant par leurs prénoms, avec le chef de la NSA, le général Keith Alexander, au sujet du FSE.

Le reportage sur les courriels a porté sur la familiarité de la correspondance : ’Général Keith... Ravi de vous voir... !’ a écrit Schmidt. Mais la plupart des rapports ont négligé un détail crucial. « Vos idées en tant que membre clé de la base industrielle de la défense », écrit Alexander à Brin, « sont précieuses pour s’assurer que les efforts de l’ESF ont un impact mesurable ».

Le Département de la sécurité intérieure [Homeland Security] définit la base industrielle de la défense comme ’ le complexe industriel mondial qui permet la recherche et le développement, ainsi que la conception, la production, la livraison et l’entretien de systèmes, sous-systèmes et composants ou pièces d’armes militaires pour répondre aux besoins militaires des États-Unis ’ [gras ajouté]. La base industrielle de défense fournit ’des produits et des services essentiels à la mobilisation, au déploiement et au soutien des opérations militaires ’.

Comprend-il les services commerciaux réguliers achetés par l’armée américaine ? Non. La définition exclut expressément l’achat de services commerciaux réguliers. Ce qui fait de Google un ’membre clé de la base industrielle de la Défense’, ce ne sont pas les campagnes de publicité menées par le biais de Google AdWords ou les soldats qui consultent leur Gmail.

En 2012, Google est apparu sur la liste des lobbyistes les plus dépensiers à Washington, D.C., une liste généralement réservée exclusivement aux membres de la Chambre de Commerce des États-Unis, aux fournisseurs de l’armée et aux géants de l’industrie pétro-carbone. Google est entré dans le classement devant le géant de l’aérospatiale militaire Lockheed Martin, avec un total de 18,2 millions de dollars dépensés en 2012 contre 15,3 millions de dollars pour Lockheed. Boeing, l’entrepreneur militaire qui a absorbé McDonnell Douglas en 1997, est également passé derrière Google, avec 15,6 millions de dollars dépensés, tout comme Northrop Grumman, avec 17,5 millions.

À l’automne 2013, l’administration Obama s’efforçait d’obtenir un soutien pour les frappes aériennes des États-Unis contre la Syrie. Malgré les revers, l’administration a continué de faire pression en faveur d’une action militaire jusqu’en septembre avec des discours et des annonces publiques du président Obama et du secrétaire d’État John Kerry. Le 10 septembre, Google a prêté sa première page - la plus populaire sur Internet - à l’effort de guerre en insérant une ligne sous le champ de recherche ’En Direct ! Le secrétaire Kerry répond aux questions sur la Syrie. Aujourd’hui, via Hangout à 14h, Côte Est.’

Comme l’écrivit en 1999 le chroniqueur Tom Friedman, qui se décrivait lui-même comme un ’centriste radical’ dans le New York Times, laisser la domination mondiale des sociétés technologiques américaines à quelque chose d’aussi imprévisible que ’le libre marché’, parfois ne suffit plus :

La main invisible du marché ne fonctionnera jamais sans un poing invisible. McDonald’s ne peut pas prospérer sans McDonnell Douglas, le concepteur du F-15. Et le poing invisible qui permet aux technologies de la Silicon Valley de s’épanouir dans le monde en toute sécurité s’appelle l’armée de terre, l’armée de l’air, la marine et le corps des marines américains.

Si quelque chose a changé depuis que ces mots ont été écrits, c’est que la Silicon Valley rêve de plus remplir le rôle passif, aspirant plutôt à incarner le poing invisible sous un gant en velours. Écrivant en 2013, Schmidt et Cohen ont déclaré,

Ce qu’était Lockheed Martin au XXe siècle, les entreprises de technologie et de cybersécurité le seront au XXIe siècle.

Une façon de voir les choses c’est de dire que tout ça n’est que du business. Pour qu’un monopole américain des services Internet assure sa domination sur le marché mondial, il ne peut pas simplement continuer à faire ce qu’il fait et laisser la politique s’occuper d’elle-même. L’hégémonie stratégique et économique américaine devient un pilier essentiel de sa domination du marché. Que doit faire une méga-entreprise ? Si elle veut chevaucher le monde, elle doit faire partie de l’empire ’ne soyez pas mauvais’ original.

Mais une partie de l’image persistante de Google comme ’plus qu’une simple entreprise’ vient de la perception qu’il n’agit pas comme une grande et mauvaise entreprise. Son penchant pour attirer les gens dans son piège des services avec des gigaoctets de ’stockage gratuit’ donne l’impression que Google le donne gratuitement, ce qui va directement à l’encontre du but lucratif des entreprises.

Google est perçu comme une entreprise essentiellement philanthropique - un moteur magique présidé par des visionnaires d’un autre monde - pour créer un avenir utopique. L’entreprise s’est parfois montrée soucieuse de cultiver cette image, en investissant des fonds dans des initiatives de ’responsabilité d’entreprise’ pour produire un ’changement social’ - comme l’illustre Google Ideas.

Mais comme le montre Google Ideas, les efforts ’philanthropiques’ de l’entreprise l’amènent aussi, de manière dérangeante, à proximité du côté impérial de l’influence américaine. Si Blackwater/Xe Services/Academi dirigeait un programme comme Google Ideas, il attirerait un examen critique intense. Mais d’une façon ou d’une autre, Google s’en voir dispensé.

Qu’il s’agisse d’une simple entreprise ou de ’plus qu’une simple entreprise’, les aspirations géopolitiques de Google sont fermement ancrées dans le programme de politique étrangère de la plus grande superpuissance du monde. Au fur et à mesure que le monopole de Google en matière de recherche et de services Internet s’accroît et que son cône de surveillance industrielle s’étend à la majorité de la population mondiale, dominant rapidement le marché de la téléphonie mobile et se précipitant pour étendre l’accès Internet dans le Sud, Google devient progressivement l’Internet pour de nombreuses personnes. Son influence sur les choix et le comportement de l’ensemble des êtres humains se traduit par un pouvoir réel d’influencer le cours de l’histoire.

* * *

Si l’avenir de l’Internet doit être Google, cela devrait préoccuper sérieusement les gens du monde entier - en Amérique latine, en Asie de l’Est et du Sud-Est, dans le sous-continent indien, au Moyen-Orient, en Afrique subsaharienne, dans l’ex-Union soviétique et même en Europe - pour qui l’Internet représente la promesse d’une alternative à l’hégémonie culturelle, économique et stratégique américaine.

Un empire qui professe ’ne soyez pas mauvais’ reste un empire.

Julian Assange

traduction "ah ben, je comprends des choses maintenant..." par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

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