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À quoi doit servir un parti communiste aujourd’hui ?

Réflexions d’un idiot après une conférence départementale préparatoire au congrès du PCF

Le prochain week end, le Parti communiste français tient son congrès « extraordinaire ». Extraordinaire il l’est déjà non pas tant à cause d’un calendrier et des arguments initiaux avancés – « se réinventer » après la nouvelle chute de son score électoral aux législatives de 2017 (un score de 2%)- mais bien plutôt par la victoire relative (42%) obtenue par un texte proposé contre celui de la direction nationale actuelle et du secrétaire national Pierre Laurent (37%). Un texte de ce qu’il faut bien désormais appeler une tendance d’opposition, devient la base de discussion pour établir le programme du Parti. C’est la première fois ! Est-ce un pas vers plus de démocratie et de débats fructueux ?

Parmi les signataires de ce texte (il en fallait un certain nombre pour qu’il puisse être proposé au vote), on compte bon nombre de cadres permanents, plusieurs figures de députés et sénateurs actuels ou anciens, les responsables des revues (internet) officielles du PCF « Économie et Politique », et Progressistes (sur les sciences), quelques anciens qualifiés de « staliniens » autrefois, deux journalistes de l’Humanité et plusieurs députés ou anciens députés.

Ces responsables et élus ont de plus en plus pesé ces dernières années, du fait d’une base militante affaiblie. Fin 2016, ils avaient déjà montré qu’ils étaient désormais majoritaires parmi les cadres en faisant adopter lors d’une conférence nationale sur les présidentielles de 2017 le choix de présenter un candidat communiste (André Chassaigne) … contre Jean-Luc Mélenchon. Heureusement, cette option avait été refusée par une majorité (53%) des adhérents, et le choix de soutenir JLM l’avait emporté, sans doute aussi grâce au poids de Pierre Laurent en faveur de l’union ; appui qui lui coûtera peut-être son éviction ! Malgré tout, ce choix avait été assorti d’un refus de se soumettre aux exigences de La France Insoumise suite aux tensions très vives entre LFI et le PCF. L’histoire précise reste à écrire mais la stratégie de la direction faut incompréhensible pendant les mois précédents, ressemblant à un « Tout sauf Mélenchon ».

Avec de tels choix stratégiques, quelles sont les thèses de ce texte alternatif intitulé « Pour un manifeste du Parti communiste du XXIe siècle » ? Ce texte contient plusieurs passages clés accusant sur un ton de tribunal les directions communistes depuis 2002 au moins, d’avoir abandonné l’identité et le programme communiste au profit de la recherche d‘une union à tout prix sur des contenus insuffisants et avec des alliés peu fiables, le plus critiqué étant… La France Insoumise ! Bref il s’agit de redevenir des vrais « révolutionnaires ». Le programme : des candidats du PCF à toute les élections et surtout à la prochaine élection présidentielle de 2022 ; un Parti « à l’avant-garde des luttes et des idées [pour] jouer le rôle d’éclaireur qui [devrait être le sien] » ! De là découle tout une série de propositions pour éclairer les habitants de notre pays afin de les « rendre autonomes » en s’appuyant en premier sur le travail de ses cadres : montrer « le coût du capital » sur lequel « ses » économistes autoproclamés ont travaillé depuis des années sans qu’on les écoute dans le Parti même par exemple. Tout n’est certainement pas rejetable dans ce qui est proposé dans ce texte. Néanmoins le cœur des propositions constitue un retour assez surréaliste à des conceptions qu’on croyait disparues à jamais. Il est de plus marqué par un économisme fort qui l’entraîne évidemment parfois vers un discours quasi patronal, comme dans ce passage : « élever le niveau de formation et de qualification pour répondre aux besoins de souplesse et d’adaptabilité de la production moderne » ! Cet économisme explique la priorité donné à un objectif de toute façon inatteignable par le seul PCF : l’organisation dans les entreprises. Difficile pour un parti réduit à un peu plus de 30 000 militants, dont beaucoup de retraités ou proches de l’être.

J’ai participé à la conférence de mon département préparant le congrès national du 23-25 Novembre 2018. Quoique minoritaire puisque j’avais voté pour un texte (« Pour un Printemps du communisme ») qui n’a obtenu que 11% (mais 25% dans mon département des Hauts-de-Seine), j’ai assisté à une réunion animée et où une majorité avait à cœur de réussir un bon congrès. L’émergence d’une génération de jeunes trentenaires talentueux, permet d’ailleurs de penser que la transcendance communiste n’est pas morte. Le département est animé depuis plusieurs années par des directions ouvertes et intelligentes et grâce à qui trois villes à direction communiste échappent toujours à la droite ou au PS. Un siège de député a été aussi regagné en 2017 malgré la présence incompréhensible d’un candidat LFI. Dans ce contexte, les « identitaires », assez minoritaires, n’ont pu empêcher une très large réécriture du texte–programme, enrichissant les nombreux acquis et de nouvelles évolutions du PCF : ni parti d’avant-garde, ni productiviste, ni pro-nucléaire, mais écologiste face à l’urgence climatique et environnementale, éco-communiste, plaçant les luttes contre le racisme, les violences sexistes et sexuelles, la défense de émigrés et des migrants, pour les droits des LGBT… au même plan que les luttes sociales, les droits des salariés, le combat contre le chômage et la précarité, et évidemment pour une autre logique économique pour sortir du capitalisme. Parfait ! Un peu trop ?

Car à l’opposé les débats stratégiques pour répondre rapidement à l’urgence absolue d’une prise de pouvoir sont restés en cale sèche, que ce soit sur l’Europe ou le rassemblement des forces antilibérales. Lors de cette conférence départementale la nécessité d’une bataille contre la violence de plus en plus ouverte exercée par le capitalisme contre les hommes et les femmes, la multiplication des atteintes aux libertés, des mesures anti-démocratiques et de l’autoritarisme a été évoquée (sans citer et c’est plus que regrettable, les perquisitions contre LFI, qui en font partie). Mais ont-ils répondu à cette constatation : « Si un changement politique n’est pas acte dans les quelques années qui viennent, le capitalisme tuera et nous fera complices de notre propre suicide » (marie-Jean Sauret, L’Humanité du 2 novembre). L’exigence d’apporter sa pierre à la construction d’un rassemblement victorieux pour stopper au plus vite la société de mort qui s’avance a été bien trop négligée. Pourquoi ? La majorité des militants semble encore tétanisée par le sentiment d’humiliation face à LFI (oublié les couleuvres socialistes pour tenter de faire pencher les mesures d’un gouvernement PS en faveur d’un vrai changement ?). Mais il y a autre chose : n’y a–t-il pas une part d’aveuglement des militants même jeunes par des arbres du « populisme » qui leur cachent la forêt des potentialités pour des batailles antilibérales victorieuses comme l’a démontré JLM ? Et si on posait la question de savoir qui a été le plus léniniste dans la période récente ?! Loin de ces réflexions idiotes, la majorité semble penser qu’il faudrait d’abord que le Parti se renforce : Y aurait-il un diplôme révolutionnaire qui me manque ?

Dans un passage du texte initial de ce manifeste (heureusement modifié dans le 92), LFI est placé dans le pôle social-démocrate, péjoratif pour les communistes français. Pour les « identitaires », une seule solution : « faire des campagnes autonomes afin de faire progresser le rapport des forces ( !) en faveur de nos idées ». Un autre passage non modifié, préconise de « tendre la main à toutes les forces politiques de gauche, sans partenaire privilégié, sur des questions précises posées par des luttes. » Sans fixer de curseur par rapport à l’opposition au libéralisme ? Sans l’ambition de rassemblement majoritaire le plus rapidement possible ? Très significatif aussi, la critique du PS est expédiée en 2 lignes sans même dire son alignement sur les politiques libérales depuis de nombreuses années. On peut donc rétorquer aux rédacteurs « révolutionnaires » de ce texte ce qu’ils écrivent sur les autres : « une parole forte en apparence peut masquer des options réformistes », voire pire !

Pourtant, il y eut d’autres prémisses qui laissent espérer. Un débat significatif eut lieu sur le terme « populistes » que les identitaires avaient bien sûr placé dans la liste des tendances à combattre aujourd’hui. Une majorité a imposé le terme « populistes de droite » (mais mentionner dans ce cas simplement l’extrême-droite n’aurait-il pas suffi ?) dans la volonté de bien faire savoir que LFI n’est pas l’ennemi du PCF. Tout n’est pas perdu !

Maintenant quelle(s) directions(s) va prendre le PCF ? Quelle stratégie, avec quels dirigeants ? Déjà le camp des « identitaires » réclame le poste de secrétaire national. Car c’est bien des relations basées sur le rapport de forces au sein même du Parti que ces « identitaires » ont peu à peu imposé ces dernières années grâce aux aveuglements d’une direction politiquement faible et comme sans boussole depuis 2014. Il en résulte un débat politique littéralement étouffé, sinon paralysé.

D’aucuns diront « Bon débarras ». J’en connais à l’inverse qui n’y sont plus mais qui espèrent un sursaut de ce parti, pour un retour de l’unité des antilibéraux. Il y a en effet au moins quatre bonnes raisons de sauver le camarade PCF !

  • L’isolement du PCF ne profitera à personne. Sa marginalisation pourrait même « libéraliser » certains dans la gauche antilibérale (personne n’est parfait !).
  • L’Histoire du mouvement communiste fait qu’aujourd’hui il attire encore des forces vives, y compris en France, pour combattre le capitalisme.
  • La transcendance communiste, dont Marx est le nom, n’est pas morte… à condition d’en préserver l’esprit. Par exemple « Le communisme n’est ni un idéal… nous nommons communisme le mouvement réel qui abolit l’état des choses… » . Certes aucune carte d’aucun parti communiste ne garantit la compréhension de Marx, ni de voir ce qu’il a pu manquer pour qu’on en soit encore là, avec un capitalisme qui peut maintenant nous tuer tous (voir notamment de Pierre Bruno Lacan passeur de Marx). Mais partager le même engagement que lui peut aider !

Mais ça aide Le pôle communiste en France – même très minoritaire vu que « communisme » se résume à « échec économique » et/ou « absence de libertés » pour une grande majorité de Français – pourrait néanmoins représenter le « N+1 » qui tienne un rassemblement antilibéral : personne ne peut contester au PCF sa force rassembleuse à des moments dramatiques ou clés de notre Histoire.

Pour certains, une fraction communiste pourrait fonder un autre parti ou se fondre dans LFI. Pour exister dans combien de décennies ? Pour y apporter quoi ? En vérité, qui doute qu’une victoire des « identitaires » menacerait très vite l’existence d’un pôle communiste (que ce soit ou non le PCF) qui puisse compter et qui soit vraiment utile, y compris à LFI ?

Pour celles et ceux qui ont encore un lien avec ce parti et partagent quelques-unes des idées exposées ici, alors il est temps de le faire savoir auprès des militants de votre entourage, des dirigeants du PCF et de l’Humanité (dont la survie va à nouveau beaucoup dépendre des dons de ses lecteurs dont vous êtes peut-être).

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Thomas Frank. Pourquoi les pauvres votent à droite ? Marseille : Agone, 2008.
Bernard GENSANE
Rien que pour la préface de Serge Halimi (quel mec, cet Halimi !), ce livre vaut le déplacement. Le titre d’origine est " Qu’est-ce qui cloche avec le Kansas ? Comment les Conservateurs ont gagné le coeur de l’Amérique. " Ceci pour dire que nous sommes en présence d’un fort volume qui dissèque les réflexes politiques, non pas des pauvres en général, mais uniquement de ceux du Kansas, dont l’auteur est originaire. Cela dit, dans sa préface, Halimi a eu pleinement raison d’élargir (…)
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