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Salvini, la gauche et la décence (Sinistrainrete)

Malgré toutes les choses dont on peut accuser Salvini, pour le moment, au point de vue de la décence, il a gagné contre la France, contre l'Espagne et contre la gauche. Trois à zéro.

J’ai publié le 12 juin 2018 un article critique à l’égard de la politique sécuritaire de Salvini.

J’y soutenais deux choses : la première, c’est que cette politique ne résoudra pas le "problème migrants", la deuxième, c’est qu’on ne peut s’opposer à cette même politique qu’à partir d’une opposition que j’appelais "de classe" faute d’un autre mot hélas pas encore en vue. Car qu’il puisse y avoir une opposition "de gauche", ce n’est qu’une déplorable illusion.

La gauche des bons sentiments et la Ligue des mauvais sentiments, expliquais-je, sont comme belle-mère et belle-fille.

Je soulignais en particulier, dans cet article, que ce que je considère aujourd’hui comme effrayant, ce n’est pas tant que Salvini accomplisse des actes "inhumains" à l’encontre des migrants – comme nous le verrons, ceux qui le critiquent l’ont fait et le font – qu’un dangereux empoisonnement culturel qui pourrait finir par banaliser la méfiance et le dégoût envers l’Autre.

Une fois cette accusation énoncée, le problème qui se pose – et c’est un grave problème – c’est que la rhétorique et le mode de raisonnement grossier, irritant et culturellement dangereux de Salvini et d’autres leaders de la Ligue cachent des vérités.

Si cela cachait des mensonges, le problème serait bien moins important. Par contre, cacher et se cacher des vérités, c’est le pire qu’une opposition aux politiques sécuritaires puisse faire.

Mais quelles sont ces vérités ?

- 1 -

En 2017, l’Italie a accueilli 70% des migrants qui sont arrivés en Europe. Ce chiffre devrait déjà inciter à faire entendre des accents plus modérés la langue fourchue de tous les leaders européens, qui ne sont rien d’autre que des scribes et pharisiens hypocrites.

Nous pouvons faire la fine bouche sur bien des points, mais, s’il n’y avait pas l’Italie, les autres pays européens auraient fait couler à pic ces migrants en Méditerranée (pour ensuite pleurer sur eux).

En outre, il y a une norme intrinsèquement anti-européenne, qui veut que, si un immigré débarque dans un pays, c’est le problème de ce pays. Vive l’Europe Unie !

- 2 -

Il n’est pas vrai que les personnes qui arrivent chez nous soient surtout des réfugiés fuyant des conflits armés. Sur 100 immigrés arrivés en Italie, 85 y viennent pour des motifs économiques. C’est du moins ce que disent les statistiques de l’ISPI.

Or, personnellement, je considère le pillage néo-colonial des pays d’où proviennent par exemple les migrants de l’Afrique subsaharienne comme une guerre faite par d’autres moyens. Une guerre aux conséquences atroces et sournoises. Si sournoises qu’ensuite, ici, en Occident, nous nous complaisons dans cette subdivision byzantine ; réfugiés vs migrants économiques.

Non ! Ce n’est pas la réalité : les guerres qu’on fait avec les projectiles et les bombes et celles qu’on fait avec la dette et le pillage des biens nationaux font partie du même paquet. Les statistiques de l’ISPI n’absolvent pas notre conscience occidentale et ne nous dédouanent pas de nos responsabilités.

Au contraire, l’insistance sur la donnée (fausse) de la prépondérance des réfugiés sert précisément, qu’on le veuille ou non, à cacher un aspect de la guerre à deux faces, celui que préconisent les politiques néo-libérales de globalisation et de financiarisation. Qui sont par ailleurs les politiques qui conduisent à la guerre avec projectiles et bombes.

 3 -

Sur l’immigration, la France est aussi hypocrite que son président Macron.

La France, qui devait accueillir plus de 9600 immigrés, n’en a en fait accueilli qu’environ 960. Les autres, y compris des femmes enceintes, elle est allée les matraquer directement en Italie ou dans la zone de passage de Vintimille, pour bien leur faire comprendre qu’il ne s’agit pas pour eux, accords ou pas accords, d’essayer d’atteindre son accueillant pays.

Et l’enfer de Calais ? Et les migrants congelés dans les Alpes ? Salvini a-t-il tort quand il renvoie l’expression "à vomir" à son impudent envoyeur, l’hypocrite Macron ?

Non ! Moi, Salvini ne me plaît pas, mais Macron me plaît beaucoup moins. Au moins, le leader de la Ligue a dénoncé, à juste titre, même selon le droit international, les bombardements de la France, du Royaume-Uni et des EU sur Damas en tant qu’actes d’agression. Par contre, Macron a bombardé Damas pour signaler à Poutine que "la France aussi est de la partie" (sic !). Qui est donc le champion du cynisme ? Pour moi, cela ne fait aucun doute : il est à l’Elysée.

 4 -

L’Espagne a dressé des barrières à Ceuta et Melilla à coups de dizaines de millions d’euros. Les migrants qui tentent de les contourner à la nage sont tués par les gaz lacrymogènes et les projectiles en caoutchouc (car, évidemment, s’ils vous touchent quand vous êtes en train de nager, ils vous font couler !).

Or l’Espagne passe pour le pays qui a le cœur sur la main, le pays de l’accueil, contre la cynique Italie salvinienne. L’Espagne qui tire sur les immigrés et qui, même aujourd’hui, n’accueille que la moitié des immigrés de l’Italie de Minniti (1) ose parler ? Quelle indécence ! Et quelle indécence chez ceux qui la citent en exemple !

L’indécence espagnole et l’hypocrisie à vomir de la France sont en effet enjolivées par la gauche italienne. Tout comme les démocrates étasuniens braillaient contre le projet de Trump de construire un mur face au Mexique, oubliant tout simplement les milliers de kilomètres de palissade déjà construits par Clinton et Obama, ici, chez nous, la gauche, aujourd’hui, a tranquillement oublié son Minniti, elle a oublié que, sous la conduite de Napolitano, elle a récupéré Berlusconi pour qu’il fasse la guerre à la Libye, elle a oublié son soutien aux djihadistes coupeurs de têtes en Syrie, et elle a même oublié le massacre (car ce fut un massacre, pas une tragédie) du Canal d’Otrante, lorsque notre corvette "Sibilla" éperonna un navire chargé de 120 réfugiés albanais, causant la noyade de 81 d’entre eux. C’était en 1997. C’était l’époque du blocus naval anti-immigrés décrété par le gouvernement Prodi : "La surveillance de l’immigration clandestine effectuée également en mer rentre dans la juste protection de notre sécurité et dans le respect de la légalité que le gouvernement a le devoir d’assurer" (interview de Romano Prodi à Ballaro). L’ONU a dénoncé le blocus comme illégal. La Justice a déclaré coupable le commandant de la "Sibilla". Le gouvernement Prodi était à gauche, très à gauche.

Les Etats-Unis sont le seul pays au monde à avoir utilisé des armes nucléaires. Mais les méchants, ce sont les autres, la Corée du Nord, l’Iran. La gauche italienne a été jusqu’à présent la seule force politique à avoir délibérément tué des immigrés, mais le méchant, c’est Salvini. Même style de raisonnement, même arrogance, même hypocrisie. Même peur de peser de moins en moins lourd.

Comprenez-vous pourquoi je regrette le manque d’une opposition "de classe" ? C’est une question, non seulement de lucidité politique, mais aussi de décence morale.

Malgré toutes les choses dont on peut accuser Salvini, pour le moment, au point de vue décence, il a gagné contre l’Espagne, contre la France et contre la gauche. Trois à zéro.

Que cela plaise ou non, c’est ainsi.

Remettons le ballon au centre, et essayons, pour notre part du moins, de mieux jouer.

(1) Marco Minniti, membre du PD (Parti Démocrate, né de la dissolution du Parti Communiste Italien), a été Ministre de l’Intérieur du gouvernement Gentiloni (lui aussi du PD) de 2016 à 2018. Il est parvenu à réduire considérablement le nombre de migrants arrivant en Italie en négociant avec les tribus libyennes participant au trafic des migrants.

Traduction : Rosa Llorens

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