La question est très rarement posée dans le récit dominant sur MAI 68 !
Comment en effet est-on passé du plus grand mouvement social, de la plus grande grève ouvrière au raz-de-marée électoral gaulliste des législatives des 23 et 30 juin ?
Comment ?
Dans le récit dominant une sorte de miracle se serait produit sans causses réelles investiguées !
Mais comment est-on passé des "10 ans ça suffit" adressé à de Gaulle le 13 mai pour condamner les ordonnances et la politique anti-sociale, du "Gouvernement populaire avec les communistes" scandé notamment dans la manifestation du 29 mai, mots d’ordre largement partagés, aux contre-manifestations massives du 30 mai à l’Etoile et à la contre-offensive gaulliste ?
Oui, comment ?
Car la réponse à cette question éclaire non seulement sur l’enchaînement de ce qui s’est passé à l’époque, sur le comportement et la stratégies des différents acteurs,
MAIS comporte aussi un certain nombre d’enseignements au-delà !
A l’époque trois éléments décisifs sont combinés pour aboutir au retournement d’une situation au départ extrêmement difficile pour le pouvoir en place, acculé à d’importantes concessions et reculs :
- Le rassemblement de toutes les droites
- Les manoeuvres de la gauche non-communiste
- l’utilisation des violences gauchistes comme élément du retournement de l’opinion
1. Le rassemblement de toutes les droites
Nous sommes à peu de temps de la fin de la guerre d’Algérie qui a vu la droite se diviser gravement, cette division allant jusqu’aux tentatives d’attentats du chef de l’Etat de la part de l’extrême droite rageusement opposée à la politique algérienne du général De Gaulle.
Le 24 mai l’annonce par De Gaulle d’un referendum sur la participation et les réformes se solde par un échec tandis que les réelles avancées du constat de Grenelle ne mettent pas non plus fin à la grève de millions de travailleurs.
A partir de ces constats, fin mai 68 le pouvoir procède à une mise en scène de vacance du pouvoir, de Gaulle se rendant le 29 mai à Baden-Baden où le général Massu engagé en première ligne en Algérie avec les pleins pouvoirs attribués à l’armée par le socialiste Robert Lacoste commande les forces françaises en Allemagne (30.000 hommes).
Pour y faire quoi comme l’atteste plusieurs déclarations ?
Eh bien à la fois pour s’assurer de la fidélité au pouvoir de l’armée, de sa disposition à réprimer le mouvement en cours si le besoin s’en faisait sentir.
Et politiquement à créer les conditions du rassemblement de toutes les composantes de la droite, y compris de celles qui durant la guerre d’Algérie s’étaient violemment opposées à De GAULLE. Le pacte scellé comportant l’amnistie des partisans de l’OAS encore incarcérés et qui effectivement seront amnistiés par un texte au journal Officiel seulement quelques semaines après et datant du 2 août 1968.
Les traces de ces réalités dans la presse :
"En 1968, des anciens de l’OAS rencontrent Jacques Foccart pour lui proposer leur ralliement au régime gaulliste contre la "chienlit" et demander l’amnistie des membres de l’organisation encore incarcérés, ce qu’ils obtiendront. Cette amnistie est promise par De Gaulle à Massu, lors de sa visite à Baden Baden"
Le Monde du 22 mai 2008
"les chefs militaires ainsi consultés ont non seulement assuré le général de Gaulle de leur loyauté, mais ils ont également précisé que l’armée garantira, le cas échéant, la sécurité des élections générales annoncées le 30 mai. En même temps, un plan prévoyant en cas d’urgence l’implantation à Verdun d’un PC opérationnel a été établi au cas où des troupes françaises ramenées d’Allemagne auraient à intervenir."
Dans le même temps les réseaux gaullistes s’affairent (les Pasqua, Foccart ...), les Comités de Défense de la République agissent pour mettre sur pied le rassemblement de la Concorde à l’Etoile du 30 mai qui mettra dans la rue des centaines de milliers de manifestants en soutien aux déclarations de De Gaulle annonçant qu’il ne se retirerait pas, qu’il ne renverrait pas le Premier ministre G. Pompidou et qu’il dissolvait l’Assemblée nationale.
Infirmant l’idée martelée depuis d’une panique au sommet de l’état !
A partir de là la situation ne laisse de place qu’à une seule alternative : l’acceptation des élections dans le cadre légal et constitutionnel de la Ve République OU la guerre civile !
La contre-offensive gaulliste combinant à la fois l’assurance du recours éventuel à la force armée ET le soutien populaire de la "majorité silencieuse" révulsée par le désordre, inquiète de l’incertitude quant à l’issue du conflit en cours.
2. Les manoeuvres de la gauche non-communiste
Face à ces manœuvres et à ces dangers réels comment réagit la gauche non-communiste de l’époque : le parti socialiste, F. Mitterrand, Mendès France, M. Rocard, la CFDT ...
Eh bien ils donnent dans le panneau, font de la surenchère gauchiste, un Michel Rocard dont on connaît la brillante carrière de guerillero ultérieurement préconisant à l’époque l’insurrection armée par exemple.
F. MITTERRAND déclarant sa candidature à la présidence de la République le 28 mai au cours d’une conférence de presse mémorable où il considère que De gaulle doit partir et que le pouvoir est vacant !
Avec une donnée de fond à l’époque unissant toutes ces forces : le refus de toute alliance avec les communistes, le même Mitterrand ne se convertissant à l’union ultérieurement après l’échec en 1969 de la candidature Gaston Deferre / Pierre Mendès-France et n’y consentant que pour parvenir au pouvoir et mieux en finir avec la force communiste.
Ce faisant compte tenu du poids du PCF et de la CGT à l’époque ils rendaient impossible toute perspective d’alternative politique réelle prenant en compte les revendications populaires.
3. l’utilisation des violences gauchistes comme élément du retournement de l’opinion
Mais le retournement de l’opinion s’explique aussi par l’exploitation intensive des violences urbaines largement relayées dans les médias et dans la propagande de toutes les forces opposées à un changement profond de société en faveur des travailleurs.
Affrontements répétés avec les CRS, voitures brûlées, mobilier urbain détruit : sous le thème du refus de l’anarchie, du chaos, de la violence, de la "chienlit " le pouvoir gaulliste va s’efforcer de retourner une opinion publique au départ favorable aux étudiants tant qu’ils sont apparus comme victimes de la violence policière, mais rétive à l’idée que les affrontements sont recherchés, làs d’une situation dont ils ne perçoivent pas une issue politique alternative réellement crédible.
D’ailleurs on peut remarquer que la bourgeoisie française possède une longue expertise de l’utilisation politique de la violence comme repoussoir des transformations révolutionnaires qui mettent en cause sa domination.
Cette utilisation étant récurrente.
Et dans la conjoncture présente on peut constater comment le pouvoir macronien utilise la violence des casseurs et des black-blocs pour tenter de rassembler autour de lui, tenter de discréditer le mouvement social et menacer de s’en prendre au droit de manifester comme on vient de le constater avec les récentes déclarations du ministre de l’intérieur Gérard Collomb !
Remarquons donc en cet anniversaire du mai 68, que depuis 50 ans le récit dominant sur des points essentiels est destiné à masquer les enjeux réels, à maquiller le comportement et la stratégie des différents acteurs et aboutissent le plus souvent à survaloriser le rôle des dirigeants gauchistes qualifiés de révolutionnaires, dont on connaît pourtant la trajectoire ultérieure disons opportuniste, au détriment du rôle pourtant décisif de la classe ouvrière et de ses organisations syndicales et politiques.
Car autre constante récurrente de l’idéologie bourgeoise, c’est toujours la nécessité de l’intervention organisée et disciplinée des travailleurs qui est dévalorisée au profit d’une mise en valeur d’une intervention "spontanée" et d’un individualisme hors structures !
Gilbert Rodriguez
VOIR également l’article "Les travestissements du mai 68"
http://www.frontsyndical-classe.org/2018/03/les-travestissements-du-mai-68.html