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le neolibéralisme expliqué à mon zadiste

L’Etat semble avoir renoncé à l’idée d’une opération d’expulsion de grande ampleur. Elle susciterait trop de mobilisation de la part de tout le mouvement anti-aéroport et au-delà. Nouveau plan : expulser violemment au coup par coup, en espérant prendre tout le monde par surprise et essayer d’éviter l’embourbement et la résistance. Mais comment seront « ciblés », parmi les 97 squats de la zone, ceux à expulser ?

Il a d’abord fallu une gigantesque entreprise politico-médiatique de division du mouvement puis de la ZAD elle-même. Maintenant, tous les occupants ne sont plus des djihadistes verts. Il y a d’un côté les gentils, les normaux, les néo-ruraux, les interlocuteurs éventuels, les gens responsables. De l’autre côté, les méchants, les marginaux, les radicaux, les violents, les incorrigibles. Cette construction complètement fantasmagorique doit permettre de justifier l’abandon d’une vaste opération d’expulsion, donc le maintien d’une zone de sécession et l’échec fondamental de l’Etat à faire régner sa loi mafieuse sur tout le territoire. Tandis que la fabrication de l’ennemi intérieur (les incorrigibles) doit permettre de déchaîner contre eux toute la brutalité de l’Etat.

Mais si l’on ne peut pas expulser cette zone du non-droit, alors tentons au moins de la pacifier et normaliser. La préfète de la Loire-Atlantique l’a affirmé : ne seront pas expulsés les zadistes capables de présenter et « défendre un projet individuel », qui puisse s’inscrire dans un statut officiel (un travail). Que dit au fond la voix doucereuse et ferme de l’Etat ? Toi, petit zadiste... oui, oui ! je m’adresse à toi seul petit zadiste : si tu ne veux pas te faire expulser par mes Robocops et voir ta petite maison rasée de la surface de la terre, toi, petit zadiste, tu dois faire un Choix. Car enfin, dans ce beau pays, tout le monde est libre, ce n’est que parce qu’il l’a choisi qu’un individu finit à la rue ou en prison. Donc, tu as toi aussi le Choix. Tu dois devenir un Vrai Individu. Pas cet espèce d’être-lié, qui cohabite au milieu du bocage et des bois, avec des frères et des sœurs, des outils et des armes, des blés semés et des mûres sauvages, des chiens fidèles et des poules vagabondes, des toits végétaux et des puits d’eau fraîche, des écureuils-voisins et des oiseaux-nicheurs... Pas cet être pétri par la pâte qu’il pétri, parcouru des chemins qu’il arpente, aimé des murs de sa maison ouverte... Pas cet être qui œuvre à plusieurs, qui joue, qui jouit, qui trébuche, qui se bat, qui râle, qui invente, qui découvre, qui aime et qui souffre à plusieurs.

A cet être-lié, tu dois renoncer

Car, enfin ! Cet être-là appartient au passé, dans cette fange impure où rien n’est clairement séparé, cette fange où tes anciens amis radicaux t’ont entraîné. Tout comme tu as du écouter ton Père qui t’a dis un jour : « Tu seras un Homme, mon fils », aujourd’hui, tu dois m’écouter, moi, l’Etat qui te dis : « Tu seras un Individu, mon Citoyen/ma Citoyenne ». Tu as peut-être oublié tout le bonheur qu’il y a à être un Individu-Citoyen...?

En redevenant Individu, tu pourras à nouveau gagner ta vie, tu pourras à nouveau profiter de tous les fruits de notre belle civilisation marchande et du loisir universel. Tu pourras de nouveau investir dans le temps plutôt que de simplement le vivre ; tu pourras trouver le travail qui correspond le mieux à tes compétences, trouver le hobby qui correspond le mieux à tes envies, le sport le plus adéquat à tes besoins énergétiques et à ton bilan-santé. Tu pourras même recommencer de nouvelles et vraies relations : des relations de travail, ou d’amitié, ou de famille, ou d’amour. Tu pourras enfin être toi-même ! Et si tu vas mal, ne t’en fais pas ! il y aura toujours des professionnels que tu pourras payer pour qu’ils accompagnement sans danger ta dépression : nos médecins, psychanalystes, coachs, présentateurs TV, personnels Pôle emploi, vendeurs de Smart-box, écrivains, producteurs de cinéma, etc, etc.
Ne me dis pas que ça ne te fais pas envie ?

Pour acquérir tout cela, il te suffit de me faire confiance, à Moi et aux entreprises qui voudront bien t’accompagner dans ta transition. Si tu suis bien les démarches administratives, légales, professionnelles et médiatiques que nous t’indiqueront, tu ne seras pas expulsé. Tu pourras rester dans ta maison ou ta cabane, et même – car je sais que tu feras un excellent Citoyen engagé – tu pourras donner l’exemple, tu pourras montrer ta vie comme une vie écologiquement propre, quotidiennement éthique et passionnément rurale. Nous sommes certains que d’autres Individus-Citoyens pourront s’inspirer de ta vie pour inventer de nouveaux concepts, de nouvelles formes de travail, de nouveaux hobbies...

Que pourrais-tu espérer de mieux ?

Texte recueilli par Assimbonanga sur le site des zadistes de Bure.

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Claude Lanzmann. Le Lièvre de Patagonie. Paris : Gallimard, 2009.
Bernard GENSANE
Il n’est pas facile de rendre compte d’un livre considérable, écrit par une personnalité culturelle considérable, auteur d’un film, non seulement considérable, mais unique. Remarquablement bien écrit (les 550 pages ont été dictées face à un écran d’ordinateur), cet ouvrage nous livre les mémoires d’un homme de poids, de fortes convictions qui, malgré son grand âge, ne parvient que très rarement à prendre le recul nécessaire à la hiérarchisation de ses actes, à la mise en perspective de sa (…)
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« Il n’existe pas, à ce jour, en Amérique, de presse libre et indépendante. Vous le savez aussi bien que moi. Pas un seul parmi vous n’ose écrire ses opinions honnêtes et vous savez très bien que si vous le faites, elles ne seront pas publiées. On me paye un salaire pour que je ne publie pas mes opinions et nous savons tous que si nous nous aventurions à le faire, nous nous retrouverions à la rue illico. Le travail du journaliste est la destruction de la vérité, le mensonge patent, la perversion des faits et la manipulation de l’opinion au service des Puissances de l’Argent. Nous sommes les outils obéissants des Puissants et des Riches qui tirent les ficelles dans les coulisses. Nos talents, nos facultés et nos vies appartiennent à ces hommes. Nous sommes des prostituées de l’intellect. Tout cela, vous le savez aussi bien que moi ! »

John Swinton, célèbre journaliste, le 25 septembre 1880, lors d’un banquet à New York quand on lui propose de porter un toast à la liberté de la presse

(Cité dans : Labor’s Untold Story, de Richard O. Boyer and Herbert M. Morais, NY, 1955/1979.)

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